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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/11

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

qu’elle me permettait de voir sans être vu, un fait d’une grande signification s’accomplit en face du théâtre.

Un dragon accourait à toute bride, apportant un ordre.

Un enfant embusqué derrière un arbre du boulevard l’attendait, une pierre à la main.

Au moment où le dragon passait, l’enfant lança la pierre, qui rebondit sur le casque.

Le dragon chancela, mais ne s’arrêta point à poursuivre l’enfant, et continua son chemin au grand galop.

Mais une femme — la mère de l’enfant probablement — était sortie, était venue à pas de loup derrière lui, et, après l’avoir saisi au collet, lui donnait une effroyable rincée.

Je baissai la tête.

— Les femmes n’en sont point, cette fois-ci, dis-je ; nous sommes perdus !

En ce moment, j’entendis Harel qui m’appelait d’une voix lamentable.

Je descendis. Par la porte que j’avais enfoncée pour pénétrer dans le théâtre, une vingtaine d’homme venaient d’entrer, demandant des armes. Eux aussi se souvenaient de Napoléon à Schœnbrunn.

Harel voyait déjà son théâtre pillé de fond en comble, et m’appelait à son secours, comptant sur mon nom, déjà populaire, et sur mon uniforme d’artilleur.

J’allai au-devant du flot, qui s’arrêta en m’apercevant.

— Mes amis, leur dis-je, vous êtes d’honnêtes gens ! L’un d’eux me reconnut.

— Tiens, dit-il, c’est M. Dumas, le commissaire de l’artillerie.

— Justement ; vous voyez bien que nous pouvons nous entendre.

— Eh oui ! puisque vous êtes des nôtres.

— Alors, écoutez-moi, je vous en prie.

— Écoutons.

— Vous ne voulez pas la ruine d’un homme qui partage vos opinions, d’un proscrit de 1815, d’un préfet de l’Empire ?