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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/117

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

1830 n’avait chassé que le roi, et 1792 avait chassé la royauté. Je montrai à M. de Chateaubriand les noms de ces hommes qui avaient si bien fait honneur à leur signature, et je lui demandai, si l’on élevait un pareil monument en France, quels seraient les noms qu’on pourrait inscrire, sur la pierre funéraire de la royauté, pour faire pendant à ces noms populaires.

» — Pas un ! me répondit-il.

» — Comprenez-vous cela ?

» — Parfaitement : les morts ne se font pas tuer.

» L’histoire de la révolution de juillet était tout entière dans ces mots : la noblesse est le véritable bouclier de la royauté ; tant qu’elle l’a porté au bras, elle a repoussé la guerre étrangère, et étouffé la guerre civile ; mais, du jour où, dans sa colère, elle l’a imprudemment brisé, elle s’est trouvée sans défense. Louis XI avait tué les grands vassaux ; Louis XIII, les grands seigneurs, et Louis XIV, les aristocrates ; de sorte que, lorsque Charles X a appelé à son secours les d’Armagnac, les Montmorency et les Lauzun, sa voix n’a évoqué que des ombres et des fantômes.

» — Maintenant, me dit M. de Chateaubriand, si vous avez vu tout ce que vous vouliez voir, allons donner à manger à mes poules.

» — Au fait, vous me rappelez une chose : c’est que, quand je me suis présenté hier à votre hôtel, le garçon m’a dit que vous étiez sorti pour vous livrer à cette champêtre occupation. Votre projet de retraite irait-il jusqu’à vous faire fermier ?

» — Pourquoi pas ?… Un homme dont la vie aurait été, comme la mienne, poussée par le caprice, la poésie, les révolutions et l’exil sur les quatre parties du monde, serait bien heureux, ce me semble, non pas de posséder un chalet dans ces montagnes, — je n’aime pas les Alpes, — mais un herbage en Normandie, ou une métairie en Bretagne. Je crois, décidément, que c’est la vocation de mes vieux jours.

» — Permettez-moi d’en douter… Vous vous souviendrez de Charles-Quint à Saint-Just ; vous n’êtes pas de ces empereurs qui abdiquent, ou de ces rois qu’on détrône : vous êtes