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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/119

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

des avocats faisant une charte, un roi donnant des poignées de main à des chiffonniers… C’est triste à en mourir, surtout quand on est plein, comme moi, des grandes traditions de la monarchie. Je m’en allai.

» — D’après quelques mots qui vous sont échappés ce matin, l’avais cru que vous reconnaissiez la souveraineté populaire ?

» — Oui, sans doute, il est bon que, de temps en temps, la royauté se retrempe à sa source, qui est l’élection ; mais, cette fois, on a sauté une branche de l’arbre, un anneau de la chaîne : c’était Henri V qu’il fallait élire, et non Louis-Philippe.

» — Vous faites peut-être un triste souhait pour ce pauvre enfant, répliquai-je. Les rois du nom de Henri sont malheureux en France : Henri Ier a été empoisonné ; Henri II, tué dans un tournoi ; Henri III et Henri IV ont été assassinés.

» — Eh bien, mieux vaut, à tout prendre, mourir du poignard que de l’exil : c’est plus tôt fait, et l’on souffre moins !

» — Mais, vous, ne retournerez-vous pas en France ?

» — Si la duchesse de Berry, après avoir fait la folie de revenir dans la Vendée, fait la sottise de s’y laisser prendre, je retournerai à Paris pour la défendre devant ses juges, puisque mes conseils n’auront pu l’empêcher d’y paraître.

» — Sinon ?…

» — Sinon, poursuivit M. de Chateaubriand en émiettant un second morceau de pain, je continuerai à donner à manger à mes poules. »

Deux heures après cette conversation, je m’éloignais de Lucerne sur uu bateau conduit par deux rameurs…

À quelque temps de là, je me trouvais dans les Grisons, non loin de la petite ville de Reichenau, dont le nom éveillait dans ma mémoire un singulier souvenir.

J’avais été, pendant mon séjour dans les bureaux du duc d’Orléans, longtemps chargé de donner des billets aux personnes qui désiraient visiter les appartements du Palais-Royal, ou se promener au parc de Monceaux. — On visitait les appartements le samedi, et l’on se promenait dans le parc les jeudis et les dimanches.