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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Nous entrâmes ensemble chez Laffitte, où je n’étais pas entré depuis le mois de juillet 1830.

Voici quelles étaient les nouvelles arrivant, de tous les côtés de Paris, à ce centre de l’opposition, sinon de l’insurrection.

Sur la rive gauche, on était maître de la caserne des vétéraus ; la poudrière des Deux-Moulins était emportée ; le poste de la place Maubert, qui avait refusé de rendre ses armes, était tué ou pris ; on se battait aux alentours de Sainte-Pélagie ; toute la ligne des barrières appartenait aux républicains.

Sur la rive droite, on était maître de l’Arsenal, du poste de la Galioto, de celui du Château-d’Eau, de la mairie du huitième arrondissement ; les républicains dominaient le Marais ; la fabrique d’armes de Popincourt, enlevée d’assaut, leur avait livré douze cents fusils ; ils étaient arrivés à la place des Victoires, et se préparaient à attaquer la Banque et l’hôtel des postes.

Mais où l’insurrection s’était concentrée, le quartier qu’elle s’occupait de transformer en forteresse inabordable, c’était la rue Saint-Martin et les rues voisines.

La troupe, encore toute troublée des événements de-1830, ignorait pour qui elle devait se décider ; tiendrait-elle pour le gouvernement ? tournerait-elle au peuple ?

1830 lui traçait ce dernier chemin.

Quant à la garde nationale, l’apparition de l’homme au drapeau rouge l’avait consternée, elle ne voyait, dans l’insurrection du 5 juin, et dans les cris de « Vive la République ! » qu’un retour vers la Terreur ; elle se réunissait plutôt pour se défendre que pour attaquer, et l’on racontait qu’un bataillon tout entier, massé sur le pont Notre-Dame, s’était ouvert pour laisser passer huit insurgés.

Aussi le gouvernement, comprenant que la troupe ne ferait rien que de concert avec la garde nationale, avait-il concentré aux mains du maréchal Lobau la direction de toutes les forces militaires de la capitale.

Ce fut au moment où toutes ces nouvelles se croisaient que nous entrâmes dans le salon de M. Laffitte.