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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

personnes de son entourage. Elle-même n’était pas tranquille.

— Comment sont mes pieds et mes mains ? disait-elle. Quand ils seront froids, frottez-les, mettez-y des briques brûlantes, et envoyez chercher médecin et prêtre.

On s’était assuré de l’un et de l’autre ; mais elle ne voulut pas qu’on les appelât, avant que des symptômes plus alarmants se fussent manifestés. Les vomissements cessèrent, et la malade se trouva mieux.

Madame descendait au deuxième étage pour prendre ses repas ; elle admettait à sa table M. de Ménars et mademoiselle Stylite de Kersabiec, — qui était venue la rejoindre, — les deux demoiselles Duguigny, et, enfin, M. Guibourg, qui, après son évasion de la prison de Nantes, avait aussi cherché un refuge dans la même maison, mais seulement trois semaines avant l’arrestation de la duchesse. Bien souvent, les repas furent interrompus par de fausses alarmes que causait quelque détachement rentrant dans la ville ou en sortant ; alors, une sonnette qui, du rez-de-chaussée, communiquait dans la chambre donnait le signal de la retraite.

La duchesse passa ainsi cinq mois. Néanmoins, l’activité avec laquelle on poursuivait les chouans ne leur laissait aucun moyen de se rassembler ; d’ailleurs, l’âme et la tête de la guerre n’étaient plus avec eux. Le 56e régiment, qui arriva vers la fin de juin, permit à l’autorité militaire d’organiser encore une chasse plus vigoureuse et une plus étroite surveillance ; les cantonnements furent renforcés ; des colonnes mobiles sillonnaient le pays en tout sens ; enfin, tout espoir s’évanouit bientôt, pour les partisans d’Henri V, de rallumer une guerre sérieuse.

Pendant ce temps, le bruit s’était répandu que la duchesse était cachée à Nantes ; ce bruit était une certitude pour le général Dermoncourt, qui avait donné à l’autorité supérieure des preuves presque matérielles de la présence de Madame dans la ville ; mais, comme la retraite de la fugitive n’était connue que de peu de personnes, et que ces personnes lui étaient complètement dévouées, quelque créance que l’autorité civile et l’autorité militaire eussent accordée aux avis du