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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

deux raisons : la première, parce qu’il pouvait y avoir révolte parmi la population ; la seconde, parce qu’il fallait cerner tout un pâté de maisons. En conséquence, douze cents hommes environ furent mis sur pied. Depuis le matin, ils avaient l’ordre de se tenir prêts. Les deux bataillons se divisèrent en trois colonnes dont le général Dermoncourt prit le commandement, accompagné du comte d’Erlon et du préfet, qui dirigeaient l’opération. La première colonne, conduite par le commandant de la place, descendit le Cours, laissant des sentinelles jalonnées le long des murs du jardin de l’évêché et des maisons contiguës, longea les fossés du château, et se trouva en face de la maison Duguigny, où elle se déploya. La seconde et la troisième colonne, à la tête desquelles s’était mis le général Dermoncourt, traversèrent la place Saint-Pierre, et se divisèrent là : l’une, à la tête de laquelle resta le général, descendit la grande rue, fit coude par celle des Ursulines, et vint rejoindre, par la rue Basse-du-Château, la colonne de M. Simon Lorrière ; l’autre, après que le général l’eut quittée, descendit directement la rue Haute-du-Château, et, sous la conduite du colonel Lafeuille du 56e, et du commandant Viarès, vint rejoindre les deux premières, et se réunir à elles, en face de la maison Duguigny.

Ainsi l’investissement était complet.

Il était environ six heures du soir ; la nuit était belle : À travers les fenêtres de l’appartement où elle se trouvait, la duchesse voyait sur un ciel calme la lune se lever, et sur sa lumière se découper, comme une silhouette brune, les tours massives, immobiles et silencieuses du vieux château. Il y a des moments où la nature semble si douce et si amie, que l’on ne peut croire qu’au milieu de ce calme, un danger veille et vous menace ! Les craintes qu’avait éveillées chez la duchesse la lettre qu’elle avait reçue de Paris s’étaient évanouies à ce spectacle, lorsque, tout à coup, M. Guibourg, en s’approchant de la fenêtre, vit reluire les baïonnettes, et s’avancer vers la maison la colonne conduite par le colonel Simon Lorrière. À l’instant même, il se rejeta en arrière en criant :

— Sauvez-vous, madame ! sauvez-vous !