Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
171
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

thèses, est indigne de la générosité militaire, — vous ne me tiendriez pas sous votre bras à l’heure qu’il est.

Lorsqu’on sortit de la maison, M. Guibourg ouvrit la marche avec un magistrat du parquet et un autre fonctionnaire public, ; venaient ensuite mademoiselle de Kersabiec avec M. le préfet et M. le comte d’Erlon ; le général Dérmoncourt les suivait immédiatement avec la duchesse et M. de Ménars, et derrière la duchesse et M. de Ménars venaient plusieurs officiers de l’état-major.

Arrivé dans ta rue, M. le préfet invita le colonel de la garde nationale à prendre l’autre bras de la duchesse. Elle s’y décida, et même avec assez de grâce. La troupe de ligne et la garde nationale faisaient la haie depuis la maison des demoiselles Duguigny jusqu’au château, et derrière eux, formant, autant que les localités le permettaient, une ligne dix fois plus épaisse que celle des soldats, s’entassait toute la population.

Il y avait, parmi ces hommes qui regardaient passer la duchesse, les yeux étincelants, bien des souvenirs de haine ; aussi des murmures sourds grondèrent-ils sur la route, et même quelques cris commencèrent bientôt à battre l’air ; mais le général Dérmoncourt s’arrêta, fit rouler son œil noir de droite à gauche, et grogna plutôt qu’il ne dit ces mots :

— Ah çà ! où est donc le respect que l’on doit aux prisonniers, surtout quand ces prisonniers sont des femmes ? On se tut.

Mais, néanmoins, ce fut un bonheur que soixante pas à peine séparassent la maison de mesdemoiselles Duguigny du château : sans les égards dont les généraux entouraient la duchesse, cette distance eût encore été trop longue. Leur respect commanda le silence à cette multitude, cahotée par la guerre civile qui, depuis six mois, grondant aux alentours de Nantes, ruinait son commerce et décimait ses enfants.

On arriva enfin au château ; on traversa le pont-levis, et la porte se referma sur le cortège.

Madame, pendant tout le trajet, n’avait donné d’autre signe de crainte que de serrer plus fortement le bras du général.