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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/208

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Laissons l’auteur répondre à cette accusation formulée en si beau langage.

« Si l’ouvrage est moral par l’invention, est-ce qu’il serait immoral par l’exécution ? La question, ainsi posée, nous paraît se détruire d’elle-même. Mais voyons. — Probablement, rien d’immoral au premier ni au second acte.

» Est-ce la situation du troisième acte qui vous choque ? Lisez ce troisième acte, et dites-nous si l’impression qui en résulte, en toute probabilité, n’est pas profondément chaste, vertueuse, honnête ?

» Est-ce le quatrième acte ? Mais depuis quand n’est-il plus permis à un roi de courtiser sur la scène une servante d’auberge ? Cela n’est nouveau ni dans l’histoire, ni au théâtre : l’histoire nous permettait de vous montrer François Ier ivre dans les bouges de la rue du Pélican. Mener un roi dans un mauvais lieu, cela ne serait pas même nouveau non plus : le théâtre grec — qui est le théâtre classique — l’a fait ; Shakspeare, qui est le théâtre romantique, l’a fait. Eh bien, l’auteur de ce drame ne l’a pas fait. Il sait tout ce que l’on a écrit de la maison de Saltabadil ; mais pourquoi lui faire dire ce qu’il n’a pas dit ? pourquoi lui faire franchir de force une limite qui est tout en pareil cas, et qu’il n’a pas franchie ? Cette bohémienne Maguelonne, tant calomniée, n’est assurément pas plus effrontée que toutes les Lisettes et toutes les Martons du vieux théâtre. La cabane de Saltabadil est une hôtellerie, une taverne ; le cabaret de la Pomme de pin, une auberge suspecte, un coupe-gorge, soit ! mais non un lupanar ; c’est un lieu sinistre, terrible, horrible, effroyable, si vous voulez : ce n’est pas un lieu obscène.

Restent les détails du style. Lisez ! l’auteur accepte pour juges de la sévérité austère de son style les personnes mêmes qui s’effarouchent de la nourrice de Juliette et du père d’Ophélia, de Beaumarchais et de Regnard, de l’École des femmes et à d’Amphitryon, de Dandin et de Sganarelle, et de la grande scène du Tartufe, du Tartufe accusé aussi d’immoralité dans son temps. Seulement, là où il fallait être franc, il a cru de