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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/228

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

la pensée publique, et qu’enfin, que ce soit la presse, la tribune ou le théâtre, aucun des soupiraux par où s’échappe la liberté de l’intelligence ne peut être fermé sans péril. Je m’adresse à vous avec une foi profonde dans l’excellence de ma cause. Je ne craindrai jamais, dans de pareilles occasions, de prendre un ministère corps à corps ; et les tribunaux sont les juges naturels de ces honorables duels du bon droit contre l’arbitraire, duels moins inégaux qu’on ne pense ; car, s’il y a, d’un côté, tout un gouvernement, et, de l’autre, rien qu’un simple citoyen, ce simple citoyen est bien fort quand il peut traîner à votre barre un acte illégal, tout honteux d’être ainsi exposé au grand jour, et le souffleter publiquement, devant vous, comme je le fais, avec quatre articles de la Charte !

» Je ne me dissimule pas, cependant, que l’heure où nous sommes ne ressemble pas à ces dernières années de la Restauration où la résistance aux empiétements du gouvernement était si applaudie, si populaire. Les idées d’immobilité et de pouvoir ont momentanément plus de faveur que les idées de progrès et d’affranchissement. C’est une réaction naturelle après cette brusque reprise de toutes nos libertés au pas de course, qu’on a appelée la révolution de 1830. Mais cette réaction durera peu. Nos ministres seront étonnés un jour de la mémoire implacable avec laquelle les hommes mêmes qui composent a cette heure leur majorité leur rappelleront tous les griefs qu’on a l’air d’oublier si vite aujourd’hui ; d’ailleurs, que ce jour vienne tard ou bientôt, cela ne m’importe guère : dans cette circonstance, je ne cherche pas plus l’applaudissement que je ne crains l’invective ; je n’ai suivi que le conseil austère demon droit et de mon devoir.

» Je dois le dire ici, j’ai de fortes raisons de croire que le gouvernement profitera de cet engourdissement passager de l’esprit public pour rétablir formellement la censure, et que mon affaire n’est autre chose qu’un prélude, qu’une préparation, qu’un acheminement à une mise hors la loi générale de toutes les libertés du théâtre. En ne faisant pas de loi répressive, en laisant exprès déborder depuis deux ans la licence sur la scène, le gouvernement s’imagine avoir créé dans l’opinion