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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/229

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

des hommes honnêtes, que cette licence peut révolter, un préjugé favorable à la censure dramatique. Mon avis est qu’il se trompe, et que jamais la censure ne sera en France autre chose qu’une illégalité impopulaire. Quant à moi, que la censure des théâtres soit rétablie par une ordonnance qui serait illégale, ou par une loi qui serait inconstitutionnelle, je déclare que je ne m’y soumettrai jamais que comme on se soumet à un pouvoir de fait, en protestant ; et cette protestation, messieurs, je la fais ici’solennellement, et pour le présent, et pour l’avenir.

» Et observez, d’ailleurs, comme, dans cette série d’actes arbitraires qui se succèdent depuis quelque temps, le gouverment manque de grandeur, de franchise et de courage. Cet édifice, beau, quoique incomplet, qu’avait improvisé la révolution de juillet, il le mine lentement, souterrainement, sourdement, obliquement, tortueusement. Il nous prend toujours en traître, par derrière, au moment où l’on ne s’y attend pas. Il n’ose pas censurer ma pièce avant la représentation ; il l’arrête le lendemain. Il nous conteste nos franchises les plus essentielles ; il nous chicane nos facultés les mieux acquises ; il échafaude son arbitraire sur un tas de vieilles lois vermoulues et abrogées ; il s’embusque, pour nous dérober nos droits, dans cette forêt de Bondy des décrets impériaux, à travers lesquels la liberté ne passe jamais sans être dévalisée…

» Je dis que c’est à la probité des tribunaux de l’arrêter dans cette voie, fatale pour lui comme pour nous. Je dis que le pouvoir actuel manque particulièrement de grandeur et de courage dans la manière mesquine dont il fait cette opération hasardeuse que chaque gouvernement, par un aveuglement étrange, tente à son tour, et qui consiste à substituer plus ou moins rapidement l’arbitraire à la constitution, le despotisme à la liberté…

» Pour peu que cela continue encore quelque temps, pour peu que les lois proposées soient adoptées, la confiscation de tous nos droits sera complète. Aujourd’hui, on me fait prendre ma liberté de poëte par un censeur : demain, On me fera prendre ma liberté de citoyen par un gendarme ; aujourd’hui,