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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/238

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

sans sommeil sont très-calmes, et elles ne sont pas désespérément longues.

» La maladie, heureusement, tire à sa fin, qui peut n’être pas fatale, quoique ce soit plus probable ainsi. L’abcès ou les abcès, formés dès le début dans l’intérieur du foie, qui, à une époque récente, promettaient de se résoudre par absorption, paraissent monter et devoir s’ouvrir au dehors prochainement. C’est tout ce que je désire, afin de sortir promptement, soit d’une manière, soit de l’autre, du misérable état où je languis depuis un mois entre la vie et la mort. Tu vois que mes idées sont parfaitement claires ; elles n’ont été que rarement et bien passagèrement confuses, dans quelques paroxysmes violents de douleur, au commencement de ma maladie. J’ai généralement calculé sur le pire, et cela ne les a jamais rendues noires. Ma fin, si c’est elle qui approche, est douce et tranquille. Si tu étais là, assis sur le bord de mon lit, avec notre père et Frédéric, j’aurais l’âme brisée, et ne verrais pas venir la mort avec cette résignation et cette sérénité. Consolc-toi, console notre père, consolez-vous mutuellement, mes amis.

» Mais je suis épuisé par cet effort d’écrire. Il faut vous dire adieu ! — Adieu !… Oh ! que vous êtes aimés de votre pauvre Victor ! — Adieu pour la dernière fois !

» Étendu sur le dos, je ne puis écrire qu’avec un crayon. De peur que ces caractères ne s’effacent, l’excellent M. Nicol copiera cette lettre à la plume, afin que je sois sûr que tu puisses lire mes dernières pensées.

 » Victor Jacquenont.

» J’ai pu signer ce que l’admirable N. Nicol a bien voulu copier. Adieu encore, mes amis ! »


Une seule phrase sort des entrailles de l’homme :

« Adieu !… Oh que vous êtes aimés de votre pauvre Victor ! » Cela explique parfaitement comment une littérature toute de sentiment devait être antipathique à cette organisation froide, savante et spiriuelle.