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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/254

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

jours prêt à faire quelque méchant tour : même à son père, surtout à son père, qui venait de se remarier et le tenait très-rudement.

Mais aussi on se vengeait bien de cette rudesse !

Le docteur Sue occupait ses élèves à lui préparer son cours d’histoire naturelle ; la préparation se faisait dans un magnifique cabinet d’anatomie qu’il a laissé par testament aux Beaux-Arts. Ce cabinet contenait entre autres choses, le cerveau de Mirabeau, conservé dans un bocal.

Les préparateurs en titre étaient Eugène Sue, Ferdinand Langlé et un de leurs amis nommé Delâtre, qui fut depuis, et qui est probablement encore docteur-médecin ; les préparateurs amateurs étaient un nommé Achille Petit et ce vieil et spirituel ami dont j’ai déjà tant parlé, James Rousseau.

Les séances de préparation étaient assez tristes, d’autant plus tristes qu’on avait devant soi, à la portée de la main, deux armoires pleines de vins près desquels Je nectar des dieux n’était que de la blanquette de Limoux : ces vins étaient des cadeaux qu’après 1814, les souverains alliés avaient faits au docteur Sue. Il y avait des vins de Tokai donnés par l’empereur d’Autriche, des vins du Rhin donnés par le roi de Prusse, du johannisberg donné par M. de Metternich, et, enfin, une centaine de bouteilles de vin d’Alicante données p ; ir madame de Morville, et qui portaient la date respectable, mieux que respectable, vénérable de 1750.

On avait essayé de tous les moyens pour ouvrir les armoires : elles avaient vertueusement résisté à la persuasion comme à la force ; on désespérait de faire jamais connaissance avec l’alicante de madame de Morville, avec le johannisberg de M. de Metternich, avec le liebfraumilch du roi de Prusse, et avec le tokai de l’empereur d’Autriche, autrement que par les échantillons que, dans ses grands dîners, le docteur Sue versait à ses convives dans des dés à coudre, lorsqu’un jour, en fouillant dans un squelette, Eugène Sue y trouva, par hasard, un trousseau de clefs.

C’étaient les clefs des armoires.

Dès le premier jour, on mit la main sur une bouteille de