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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/26

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

marque, il y avait de nombreux groupes sur la place de la Bastille et sur les boulevards.

» Avide de tout savoir, comme un véritable enfant de Paris que je suis, Je m’arrêtais à chaque groupe : on y parlait chaudement politique ; plusieurs individus montraient même une telle exaspération, qu’ils cassaient les petits arbres nouvellement plantés à la place de ceux qui avaient été sciés en 1830, pour faire des barricades.

» — Nous savons bien, disaient-ils, que ça ne vaut pas grand’chose contre les fusils et les canons, mais c’est fameux contre les mouchards et les sergents de ville.

» Il n’en fallait pas davantage pour me faire faire l’école buissonnière.

» Au lieu donc de m’cn revenir promptement à la maison, poussé par mon insatiable curiosité, j’arrivai bientôt jusqu’à la porte Saint-Martin ; alors, j’aperçus de loin le convoi du général Lamarque. Le char funèbre s’avançait lentement, et s’arrêtait même de temps en temps. J’étais tout étonné de voir si peu de troupes à un convoi de général ; il y avait tout au plus le nombre de soldats nécessaire pour maintenir un pou d’ordre dans la marche. À notre âge, on ne juge là magnificence des funérailles que par le nombre des troupes qui les accompagnent, et, comme, quelques semaines auparavant, j’avais vu, nu magnifique cortège de Casimir Périer, les longues et larges colonnes de soldats qui marchaient aux deux côtés du catafalque, je fus tout d’abord étonné qu’on ne rendit pas les mêmes honneurs militaires à un général qu’à un banquier.

» Il n’y avait pas de soldats ; en revanche, une foule immense inondait les boulevards, on se poussait, on se pressait pouf arriver près du char. « Le peuple s’y était attelé, et traînait le catafalque en criant de temps en temps : « Honneur au général Lamarque ! »

» Chaque fois que j’entendais ce cri, il me remuait tout le corps.

» On se disputait une poignée de la corde ; chacun voulait avoir l’honneur de faire mouvoir le précieux fardeau ; ce fut