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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

lui ; mais j’appris qu’il arrivait de province… Alors, je vis qu’il était coiffé sans intention politique.

» Je fus à la Bourse : c’étaient, comme à l’ordinaire, des entrepreneurs en faillite, des goujats se vendant trois ou quatre cent mille livres de rente, et s’empruntant trente sous pour aller dîner !

« Cinq heures sonnèrent. Je me rendis au café Anglais. Quel désappointement pour un observateur ! J’arrive, je me trouve seul ; j’espère que la foule va arriver : personne ne vient, excepté un monsieur qui demande un poulet à la Marengo, et un autre un potage à la Colbert… À la Colbert ! il me semble que c’est un peu insultant pour M. de V*** ; nous verrons. Mais, comme ils étaient seuls, il n’y eut pas de conversation.

» Je fus, de là, aux Variétés. Rien de marquant. Mauvaise journée, monsieur le préfet ; elle finira mal. Cependant, j’y pense, vous avez toléré une chose bien extraordinaire : votre M. Odry, avec sa chanson des gendarmes ! Mais c’est-direct, cela, monsieur le préfet, c’est direct… Les gendarmes n’obéissent qu’à l’impulsion qu’on leur donne ; cette impulsion est produite par un autre ; remontez à la source, et vous verrez que rien n’est sacré pour M. Odry !

» En sortant du spectacle, je fus dans une maison de jeu. Il n’y a guère à observer dans ces endroits (aussi c’est de l’un d’eux que je vous écris, ne sachant que faire de mon temps I, parce que les croupiers, etc., sont nos confrères… Mais quelquefois on voit le jeune homme s’y présenter pour la première fois… Il rougit, porte à la ronde des yeux timides, et tremble de rencontrer un regard de connaissance ; sa vue s’arrête surtout avec crainte sur le banquier… Si on allait l’expulser, l’empêcher de perdre l’or, fruit d’un emprunt usuraire !…

» Le banquier m’appelle ; justement, il venait d’entrer un de ces jeunes, gens.

» — Mon cher, me dit-il (je connais beaucoup ce banquier, nous avons servi ensemble), ce jeune homme a de l’or, beaucoup d’or ! mes renseignements sont pris ; mais il est