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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/299

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

émeutes et de toutes ces provocations, était une angoisse continuelle, qu’elle déguisait sous un sourire dont il était facile de voir la tristesse, et qui, cependant, était un sourire.

Autant que je puis me le rappeler, Grégoire déjeunait avec eux.

— Ah ! c’est vous ! me dit Carrel ; il faut les grandes circonstances pour que l’on vous voie.

— Qu’importe, cher ami, répondis-je, si l’on me voit dans les grandes circonstances ?

— Vous venez pour vous battre ?

— Je viens pour faire ce que l’on fera… On m’a dit que l’on vous avait envoyé une liste de douze carlistes : si vous êtes embarrassé de trouver douze républicains, disposez de moi ; c’est toujours une unité.

— Mais, si je ne suis pas embarrassé de les trouver… ?

— Alors, cher ami, dispensez-moi de cette bagarre.

— Vous n’y mettez pas d’enthousiasme.

— Je trouve la cause ridicule.

— Comment ! ridicule ?

— Oui ; à mon avis, on eût dû attendre en silence des nouvelles officielles de Blaye. La duchesse de Berry, avant tout, est une femme ; et de quel droit dit-on d’une princesse, parce qu’elle est princesse, ce que vous ne voudriez pas dire de la veuve de votre épicier ?

— Que voulez-vous ! dit Carrel, qui sentait qu’au fond, et au point de vue chevaleresque, j’avais raison, la question est engagée ainsi…

— Il faut la soutenir.

— Êtes-vous d’une certaine force ?

— Au pistolet, oui… ; à l’épée, non…

— Alors, vous vous battriez au pistolet ?

— Non, je me battrais à l’épée.

— Comment arrangez-vous cela ?

— C’est une affaire de sentiment, vous savez. Je me suis battu deux fois à l’épée : deux fois j’ai touché, mon adversaire ; je ne me suis battu qu’une fois au pistolet, et, quoique mon adversaire tirât fort mal, puisque la balle a frappé