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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

à terre et à six pas de moi, cette même balle m’a traversé le mollet.

— Voulez-vous tirer quelques bottes avec moi ?

— Si cela peut vous être agréable.

— Venez.

Nous passâmes dans une espèce de chambre-salon où il y avait des fleurets et des masques.

Nous nous mîmes en garde.

Je tire mal, comme je l’ai dit, — quoique Grisier, par amitié pour moi, m’ait fait une réputation de bon tireur qui m’a sauvé plus d’un duel ; — seulement, à cette époque, ayant eu occasion de rendre un petit service d’argent à un brave homme nommé Castelli, qui était de première force à l’épée, et qui servait de répétiteur à tous les maîtres en renom, il n’avait trouvé d’autre moyen de s’acquitter envers moi que devenir de temps en temps me donner une leçon. Il en résulta que, sans m’en douter, comme ses leçons étaient excellentes, je me trouvai plus fort que je ne le croyais moi-même.

Comme élève de Grisier, j’avais un jeu de défense plutôt que d’attaque. Carrel me porta plusieurs coups que j’évitai, soit en rompant d’un pas, soit en parant des contres.

Carrel s’emportait facilement, et je sentis que son jeu se ressentait de cet emportement.

— Prenez garde, lui dis-je, en faisant ainsi sur le terrain, vous courriez grand risque d’être arrêté court ou touché en riposte.

— C’est vrai, me dit-il en jetant son fleuret ; mais je suis fataliste comme un musulman : ce qui doit arriver est écrit.

— Trouvez-vous que je tire suffisamment pour me faire l’honneur de m’inscrire ?

— Oui ; mais je ne vous inscrirai pas.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai reçu une liste, c’est vrai ; qu’elle porte douze noms, c’est encore vrai ; mais, dans ces douze noms, le National n’en doit choisir qu’un seul.

— Et… ?

— Et je choisis M. Roux-Laborie.