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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rais lu, au moins, par ceux qui devaient y aller ; je ne pus parvenir à le convaincre.

Je résolus donc de regarder bien positivement les deux ou trois mois que j’allais passer en Suisse comme un temps perdu. Je remis à Harel les deux derniers actes du Fils de l’Émigré ; il me donna les trois mille francs promis, et je reçus l’autorisation de tirer sur lui pour deux autres mille francs.

Enfin, muni d’un passe-port en règle, je partis, le 21 juillet au soir.

Comme on le comprend bien, je n’ai pas l’intention de recommencer ici mes Impressions de Voyage ; je ne dirai, dans ces Mémoires, que ce qui n’a pas trouvé place dans mon premier récit, et ce sera peu de chose, car la franchise est une de mes qualités : elle m’a fait bien des ennemis, mais je ne remercie pas moins Dieu de me l’avoir donnée.

Que le lecteur se rassure donc : je vais le conduire le plus rapidement possible par un chemin où, dans mes Impressions de Voyage, je l’ai forcé de s’arrêter à chaque pas.

Le lendemain de mon départ de Paris, j’arrivai à Auxerre.

Le changement d’air commençait à produire son effet sur ma santé : à Auxerre, en face de la table où était servi le dîner de la diligence, je retrouvai un peu d’appétit. Un plat énorme d’écrevisses leva tous mes doutes ! je mangeais : donc, je ne tarderais pas à me bien porter.

Je couchai à Auxerre, voulant donner à ce bon génie qu’on appelle le sommeil le temps de faire son œuvre. — Les anciens ont appelé le Sommeil le frère de la Mort ; cette fois, les anciens, si exacts dans leurs définitions, ont à mon avis, été ingrats envers le Sommeil : c’est le réparateur des forces ; c’est la source où la jeunesse puise son ardeur, où la santé cache son trésor.

Ô bon et doux sommeil de la jeunesse ! comme on sent bien, en te savourant, que tu es la vie, — plus le rêve !

Perdez l’amour, perdez la fortune, perdez l’espérance même, et vienne le sommeil : momentanément, le sommeil vous rendra tout ce que vous avez perdu. — Momentanément, je le sais bien ; mais c’est justement par ce deuil qui vous reprend