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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/87

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ragé par cet accueil, je crus le moment propice pour en venir à une ouverture décisive.

» — Monsieur le comte, lui dis-je, puisque vous voulez bien me témoigner tant de bienveillance, j’oserai vous supplier de me servir dans l’affaire qui m’attire à Vienne. Je suis venu dans le but unique de présenter ce livre au duc de Reichstadt ; personne mieux que son grand maître ne peut me seconder dans mon dessein. J’espère que vous voudrez bien accéder à ma demande.

» Aux premiers mots de cette humble requête verbale, le visage du comte prit une expression, je ne dirai pas de mécontentement, mais de malaise, de contrainte ; il paraissait comme fâché d’avoir été assez aimable pour m’enhardir à cette demande ; et sans doute qu’il aurait préféré n’être pas dans la nécessité de me répondre. Après quelques secondes de silence, il me dit :

» — Est-il bien vrai que vous soyez venu à Vienne pour voir le jeune prince ?… Qui a pu vous engager à une pareille démarche ? Est-il possible que vous ayez compté sur le succès de votre voyage ?… On se fait donc, en France, des idées bien fausses, bien ridicules, sur ce qui se passe ici ? Ne savez-vous pas que la politique de la France et celle de l’Autriche s’opposent également à ce qu’aucun étranger, surtout un Français, soit présenté au prince ? Ce que vous me demandez est donc tout à fait impossible. Je suis vraiment fâché que vous ayez fait un si long et si pénible voyage, sans aucune chance de succès, etc., etc.

» Je lui répondis que je n’avais mission de personne en venant en Autriche ; que c’était de mon propre mouvement et sans impulsion étrangère que je m’étais décidé à ce voyage ; qu’en France, on pense généralement qu’il n’est pas difficile d’être présenté au duc de Reichstadt, et que même on assure qu’il reçoit les Français avec une bienveillance plus particulière ; que, d’ailleurs, les mesures de prudence qui repoussent les étrangers me semblaient ne pas devoir m’atteindre, moi qui ne suis qu’un homme de lettres, qu’un citoyen inaperçu, et qui n’ai jamais rempli de rôle ou de fonction politique.