Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
85
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» — Je conçois, ajoutai-je, que mon zèle peut vous paraître exagéré ; cependant, considérez que nous venons de publier un poëme sur Napoléon. Est-il donc étrange que nous désirions le présenter à son fils ? Croyez-vous que cet hommage littéraire ait un but caché ? Il ne tient qu’à vous de vous convaincre du contraire. Je ne demande pas à entretenir le prince sans témoins : ce sera devant vous, devant dix personnes, s’il le faut ; et s’il m’échappe un seul mot qui puisse alarmer la politique la plus ombrageuse, je consens à finir ma vie dans une prison d’Autriche.

» Le grand maître répliqua que tous ces bruits répandus en France au sujet de personnes présentées au duc de Reichstadt étaient de toute fausseté ; qu’il était persuadé que le but de mon voyage était purement littéraire et détaché de toute pensée politique ; mais que, néanmoins, il lui était impossible d’outre-passer ses ordres ; que les plus strictes défenses interdisaient ces sortes d’entrevues ; que cette mesure n’était pas l’effet d’un caprice momentané, mais bien la suite d’un système constant adopté par les deux cours ; qu’elle n’était pas applicable à moi seul, mais à tous ceux qui tenteraient d’approcher du prince, et que j’aurais tort de m’en trouver lésé spécialement.

» — Enfin, ajouta-t-il, ce qui doit excuser ces rigueurs, c’est la crainte d’un attentat sur sa personne.

— Mais, lui dis-je, un attentat de cette nature est toujours à craindre ; car le duc de Reichstadt n’est pas entouré de gardes. Un homme résolu pourrait toujours l’aborder, et une seconde suffiraitpour consommer un crime ! Votre surveillance est donc en défaut de ce côté. Maintenant, vous craignez peut-être qu’une conversation trop libre avec des étrangers ne lui révèle des secrets ou ne lui inspire des espérances dangereuses ; mais, avec tout votre pouvoir, monsieur le comte., est-il possible à vous d’empêcher qu’on ne lui-transmette, ouvertement ou clandestinement, une lettre, une pétition, un avis, soit à la promenade, soit au théâtre ou dans tout autre lieu ? Moi, par exemple, si, au lieu de m’adresser franchement à vous, je m’étais posté sur son passage ; si je m’étais hardiment avancé