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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/9

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

connus Séchan, la carabine à l’épaule, — cette même carabine dont j’ai déjà parlé, à propos de la fameuse nuit du Louvre.

Je m’arrêtai ; je ne savais rien de positif : je lui demandai des nouvelles, et le priai de m’expliquer pourquoi il était seul.

Les autres mouraient de faim, et mangeaient un morceau au chantier de Bastide. Au premier coup de feu, ils devaient accourir.

Je sus par Séchan ce qui s’était passé au boulevard Bourdon, et je continuai mon chemin.

Mes deux compagnons de route se jetèrent dans la rue de Bondy ; je suivis le boulevard.

À la hauteur de la rue et du faubourg Saint-Martin, le boulevard était coupé en travers par un détachement de la ligne ; les hommes étaient postés sur trois rangs.

Je me demandai comment j’allais, seul, avec mon uniforme hostile, traverser cette triple ligne, lorsque mon regard, en plongeant dans les rangs, y découvrit un de mes anciens camarades de batterie.

Il est vrai que j’avais failli avoir un duel avec lui à cette époque, pour différence d’opinion.

Il était vêtu d’une veste ronde, d’un bonnet de police, et d’un de ces pantalons à boutons qu’on appelle des charivaris. Il avait à la main un fusil à deux coups, et s’était joint à la troupe en amateur.

Cette reconnaissance faite, je crus pouvoir être tranquille.

Je continuai d’avancer en faisant signe de la main.

Lui abaissa son fusil.

Je crus qu’il’m’avait reconnu et plaisantait, ou voulait me faire peur ; j’avançai toujours.

Tout à coup, il disparut dans un nuage de feu et de fumée, et une balle siffla à mes oreilles.

Je vis que c’était sérieux.

J’étais à la hauteur du café de la Porte-Saint-Martin. Je voulus me jeter dans le passage du théâtre : le passage était fermé. J’enfonçai la porte du théâtre d’un coup de pied.