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Page:Rabelais marty-laveaux 03.djvu/13

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preface

L’an Iubile que tout le monde raire
Fadas ſe feiſt eſt ſupernumeraire
Au deſſus trente. O peu de reuerence !
Fat il ſembloit, mais en perſeuerance
De longs breuets, fat plus ne gloux ſera,
Car le doux fruict de l’herbe eſgouſſera,
Dont tant craignoit la fleur en prime vere.

Vous l’auez oy, l’auez vous entendu ? Le docteur eſt antique, les paroles ſont Laconiques, les ſentences Scotines[1] & obſcures. Ce nonobſtant qu’il traitaſt matiere de foy profonde & difficile, les meilleurs interpretes d’iceluy bon pere, expoſent l’an Iubilé paſſant le trentieſme eſtre les annees encloſes entre[2] ceſte aage courante l’an mil cinq cens cinquante. Onques ne craindra la fleur d’icelle. Le monde plus fat ne ſera dit, venant la prime ſaiſon : Les fols y le nombre deſquelz eſt infiny, comme atteſte Salomon[3], periront enragez. Et tout eſpece de folie ceſſera, laquelle eſt pareillement innombrable, comme dict Auicenne[3], maniæ infinitæ ſunt ſpecies. Laquelle durant la rigueur hibernale eſtoit au centre repercutee y apparoiſt en la circonferance, & eſt en ceſues comme les arbres. L’experience nous le demonſtre, vous le ſcauez, vous le voyez. Et fut iadis exploré par le grand bon homme Hipocrates Aphor.[4] veræ etenim maniæ &c. Le monde donques enſagiſſant plus ne craindra la fleur des febues en la prime vere y c’eſt à dire, comme pouuez le voirre au poings & les larmes à l’œil pitoiablement croire, en careſme. Vn tas de liures qui ſembloient florides, florulens, floris comme beaux papillons, mais au vray eſtoient ennuyeux, faſcheux, dangereux, eſpineux & tenebreux, comme ceux d’Heraclitus, obſcurs comme les nombres de Pythagoras,

  1. Scotines. Voyez ci-dessus, p. 236, note sur la l. 11 de la p. 86.*
    * Heraclitus grand Scotiſte. Regis a fort ingénieusement remarqué que Rabelais se rappelle ici ce passage du De finibus de Cicéron (II, 5) : « Heraclitus cognomento qui σχοτεινός perhibetur, quia de natura nimis obscure memoravit. » Il traduit malignement σχοτεινός, obscur, par Scotiste, s’amusant ainsi aux dépens de Duns Scot, sans même mettre son lecteur dans la confidence de cette plaisanterie érudite que le savant allemand a fort à propos restituée.
  2. Entre. C’est à ce mot entre… que s’arrête le fragment du prologue donné dans le manuscrit.
  3. a et b Salomon, et l. 18 : Auicenne. Voyez ci-dessus, p. 262, les notes sur les l. 13 et 18 de la p. 216 et le texte.*
    * Solomon dict. — « Stultorum numerus est infinitus. » (Ecclésiaste, I.)
    Auicenne. Voyez le prologue du Ve livre, t. III, p. 5.
  4. Hipocrates Aphor. Τοῦ μὲν γἁρ ἧρος τὰ μανιϰά. « C’est au printemps que se manifestent les affections maniaques, » (Aphorismes, III, 20). Dans les premiers mots de la traduction latine, il faut lire, comme le remarque Burgaud des Marets, vere, au lieu de verae.