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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/189

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posés et merveilleusement transformés du précédent, tire le lait nourricier de sa première force vitale.

Si ici, dans la contemplation intuitive d’une connexion générale, votre regard est si souvent conduit de façon à passer sans intermédiaire du plus petit au plus grand et, de nouveau, de celui-ci à celui-là, s’il se meut entre les deux en oscillations vivantes, jusqu’au moment où, pris de vertige, il ne peut plus discerner ni grand ni petit, ni cause ni effet, ni conservation ni destruction, alors, à ce moment, vous apparaît la figure d’un destin éternel, dont les traits portent toute l’empreinte de cet état, surprenant mélange d’entêtement rigide et de profonde sagesse, de violence brutale dépourvue de cœur, et de fervent amour qui, tantôt l’un tantôt l’autre, vous saisissent à tour de rôle, et vous invitent tantôt à un esprit de bravade impuissant, tantôt à un don de soi-même semblable à celui de l’enfant. Si vous comparez alors l’aspiration particulière, distincte, de l’individu, née de ces vues antagonistes, avec la [103] marche tranquille et uniforme du tout, vous voyez comme le haut Esprit du monde passe en souriant par-dessus tout ce qui s’oppose bruyamment à lui ; vous voyez comment sur la trace de ses pas l’auguste Némésis[1] parcourt inlassablement la terre, comme elle répartit corrections et châtiments parmi les outrecuidants qui dressent leur volonté contre celle des dieux[2], et de quelle main de fer elle fauche aussi le plus vaillant, le plus parfait qui, peut-être avec une constance louable et digne d’admiration, n’a pas voulu s’incliner sous la douceur du souffle du grand Esprit. Et si enfin vous voulez saisir le vrai caractère de tous les changements et de tous les progrès de l’humanité, la religion[3] vous fait voir comment les dieux vivants n’ont qu’une haine, celle de la mort, comment rien d’autre ne doit être poursuivi et aboli qu’elle, première et dernière ennemie de l’humanité[4]. Ce qui est brut, barbare, informe, doit être englouti et transmué en formation organique. Rien ne doit

  1. Aussi évoquée p. 17, 107 et 110.
  2. Sur l’esprit prométhéen, cf. p. 52.
  3. B : votre sentiment reposant sur l’histoire.
  4. C : de l’esprit.