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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/202

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domaine, et n’en obtient non plus aucune. Vous avez raison de mépriser les indigents qui ne savent que prier à la suite, qui tirent toute leur religion d’un autre, ou la suspendent à un livre mort, sur lequel ils jurent et d’où ils démontrent. Toute écriture sainte n’est qu’un [122] mausolée de la religion, un monument attestant qu’un grand esprit a été là, qui n’y est plus. Car s’il était encore vivant et agissant, comment attribuerait-on une aussi grande valeur à la lettre morte, qui ne peut être de lui qu’un faible décalque. Ce n’est pas celui qui croit à une sainte écriture qui a de la religion, mais seulement celui qui n’en a pas besoin, et même serait capable d’en produire une lui-même[1]. Et précisément ce mépris que vous témoignez à l’égard des indigents et inermes sectateurs de la religion chez lesquels, faute de nourriture, elle est morte avant de naître, précisément ce dédain me prouve qu’il y a en vous-mêmes une aptitude à la religion, et l’estime que vous avez toujours témoignée à l’égard de tous ses vrais héros me confirme dans cette opinion, quelle que soit votre révolte contre la façon dont on a abusé d’elle, et l’a déshonorée par un culte idolâtre.

Je vous ai montré ce qu’est à proprement parler la religion. Avez-vous trouvé là n’importe quoi qui fût indigne de votre culture et de la plus haute culture humaine ? N’êtes-vous pas contraints, de par les lois éternelles de la nature spirituelle, d’aspirer d’autant plus anxieusement à l’Univers, et à une union avec lui opérée par vous-mêmes, que vous êtes en lui plus à part et isolés [123] par la formation et l’individualité les plus déterminées ? Et n’avez-vous pas souvent ressenti cette sainte aspiration comme quelque chose d’inconnu ? Prenez donc conscience, je vous en conjure, de cet appel de votre nature la plus intime, et suivez-le. Bannissez la fausse pudeur à l’égard d’un siècle qui doit non pas vous déterminer mais être déterminé et façonné par vous ! Revenez à ce qui vous importe tant, à vous particulièrement, et dont vous ne pouvez pas être violemment séparés sans que cela détruise inévitablement la plus belle partie de votre existence.

  1. Assagi dans B en : « seulement celui qui la comprend d’une façon vivante et directe, et pourrait par suite se passer d’elle le plus facilement ». Sur l’idée de la confection d’une Bible, cf. p. 262, note 27.