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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/213

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beaucoup le feu dormant ne s’enflamme pas, et, avec quelque amour, quelque patience que nous en prenions soin, ne puisse pas être avivé, alors que, dans des circonstances plus favorables, il aurait vaincu en eux tous les obstacles. À une époque où rien des choses humaines ne reste [137] inébranlé, où chacun voit à chaque instant ce qui précisément détermine sa place dans le monde, et le rattache à l’ordre terrestre des choses, sur le point non seulement de lui échapper et de se laisser saisir par un autre, mais de sombrer et disparaître dans le tourbillon général ; où les uns ne ménagent aucun effort de leurs énergies, et de plus appellent encore de tous côtés à l’aide, pour maintenir ce qu’ils considèrent comme les pivots du monde et de la société, de l’art et de la science, pivots qui ne se soulèvent que par l’effet d’un incompréhensible destin, comme d’eux-mêmes, du sein de leur être le plus intime, et laissent tomber ce qui s’était si longtemps mû autour d’eux ; alors que les autres sont activement occupés, avec un zèle non moins inlassable, à débarrasser le terrain des décombres de siècles effondrés, pour être des premiers à s’établir en colons sur le sol fécond que forme sous leurs pieds la lave vite refroidie du terrible volcan ; à une époque où chacun, même sans quitter sa place, est si puissamment remué par les violentes secousses de tout l’ensemble que, dans le tourbillon du vertige général, il doit être heureux de fixer le regard sur un objet quelconque assez solidement pour s’y tenir attaché, et pouvoir se convaincre peu à peu qu’il y a pourtant quelque chose [138] encore qui reste debout : dans un tel état de choses, il serait fou d’attendre que beaucoup d’humains puissent être aptes à percevoir l’Infini.

Sans doute, l’aspect que celui-ci représente est plus que jamais majestueux et sublime, on peut saisir en un instant des traits plus révélateurs qu’en des siècles à d’autres époques[1]. Mais qui peut se mettre à l’abri de l’agitation et de la poussée générales ? Qui peut se soustraire à l’impérieuse pression d’un intérêt plus limité ? Qui est assez calme et assez ferme pour rester immobile et contempler ? D’ailleurs, même dans les temps les plus

  1. Sonst, ajouté dans B. Sur la Révolution cf. p. 17-18 et 136-138.