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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/284

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chés à la même figure, leur enlèvent la liberté de suivre leur propre nature [246] et leur imposent des limitations qui ne sont point naturelles[1], et à tous ces égards vous me vanterez vigoureusement les avantages de la religion naturelle sur la positive.

Je proteste encore une fois que je n’entends pas nier ces défigurations, et que je n’objecte rien à la répugnance que vous éprouvez à leur égard. Je vais plus loin. Je reconnais dans toutes ces adultérations la dégénérescence et la déviation par tendance à passer dans un domaine étranger qu’on déplore souvent. Et plus la religion elle-même est divine, moins je suis disposé à pallier sa corruption comme à favoriser, en l’admirant, la prolifération de ses excroissances sauvageonnes. Mais sachez une fois oublier cette façon de voir, qui a pourtant elle aussi, son étroitesse et suivez-moi dans la considération des choses d’un autre point de vue. Demandez-vous dans quelle mesure cette corruption est imputable à ceux qui ont extrait du fond des cœurs la religion pour l’amalgamer à la société civile[2]. Avouez que, dans tous les domaines, beaucoup d’altérations sont inévitables sitôt que l’Infini revêt une forme imparfaite et limitée, et descend s’insérer dans le domaine du temps et de l’universelle interaction des choses finies, pour se soumettre à leur domination. Mais, si profondément que la corruption puisse être enracinée dans ces individuations, et quelques altérations que celles-ci aient subies, tenez compte cependant de ce fait : la façon vraiment [247] religieuse de considérer toutes choses veut que, même dans ce qui nous paraît vulgaire et bas, nous recherchions toutes les traces du Divin, du Vrai, de l’Éternel, et adorions jusqu’à celle qui en est la plus distante ; et pourquoi priverait-on de l’avantage d’être considéré dans cet esprit ce qui précisément a le plus justement droit à être jugé religieusement ?

Mais vous trouverez plus que des traces lointaines de la Divinité. Je vous invite à soumettre à examen toute

  1. Schleiermacher aura très à cœur de combattre cette objection, cf. p. 251, note 16, et 264, note 32.
  2. Ceci rappelle la polémique en faveur de la séparation de l’Église et de l’État, p. 210-18 et 226-27.