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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/39

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foncièrement hostile à la construction métaphysique de Kant dans sa Critique de la raison pratique. Cette construction est rationnellement déduite de la foi morale en la liberté, foi érigée en certitude par le penseur de Königsberg. Statuer ainsi l’existence de Dieu, et fonder par suite la religion, sur la base d’une déduction logique, paraît absolument arbitraire, dangereux, et donc condamnable, au romantique, qui ne conçoit cette réalité que comme exigée et posée par un sentiment immédiat, et directement perçue par l’intuition. Cette hostilité à l’égard de la construction kantienne vient renforcer son désir de séparer de la religion la morale comme la métaphysique, comme tout ce qui altère l’absolue pureté du sentiment religieux.

Mais il y a plus. Il y a le fait que, chez lui, la préoccupation morale n’a pas l’intensité qui la caractérise en général dans l’esprit des croyants profondément chrétiens. Nous aurons à chercher tout à l’heure dans sa nature et ses idées les causes, dans sa doctrine les effets d’un certain relativisme moral, et à y voir le principe des plus graves déficiences que le protestantisme traditionaliste reproche à ce réformateur de la Réforme. Pour le moment, il suffit de constater que cette circonstance facilite au pasteur l’effort qu’il fait pour définir la religion à l’état pur, en l’isolant, ce ne saurait être qu’une disjonction opérée sur le plan abstrait, artificielle et momentanée, de la morale comme de la métaphysique.

Cependant il ne peut, pas plus à l’égard de l’une que de l’autre, fermer les yeux à leurs rapports indissolubles avec la piété. De là, dans la suite même de ces Discours, des fluctuations de sa pensée dont il faut observer les alternances pour la juger justement.

Il sait noter que la morale voit dans certains pressentiments obscurs de la foi religieuse la sanction proprement dite, la sanction suprême de ses commandements, page 44. Mais son romantisme rejette l’idée d’une telle sanction religieuse de la morale. Il déclare : « Votre morale déduit de la nature de l’homme et de son rapport avec l’Univers un système de devoirs ; elle ordonne et interdit certains actes, avec une autorité absolue. Cela, la religion ne doit pas se le permettre ; elle ne doit pas user de l’Univers pour en déduire des devoirs ; elle ne doit contenir aucun code de lois », p. 43.