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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/54

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« D’autant mieux contemplerez-vous alors l’Univers (l’Infini, le Divin), et d’autant plus magnifique sera la récompense de la terreur que vous aura causée votre propre anéantissement par vous-mêmes ; cette récompense sera le sentiment de l’Infini que vous éprouverez en vous. »

Le moraliste mystique a le grand tort de ne pas préciser par une terminologie nette la différence qu’il fait pourtant entre deux « moi ». D’une part, ce qu’on pourrait dans le langage abstrait de l’époque, appeler le moi pur, ou nouménal, ou plus simplement la personnalité, d’autre part, le moi phénoménal ou empirique, ou plus simplement l’individualité. Le premier est celui qui représente vraiment l’Infini dans le fini, et doit pouvoir finalement s’unir à lui, par réduction, élimination, anéantissement du second, qui n’aura été que la condition de la fonction cosmique, religieuse du premier. Si l’auteur formule très mal cette distinction et assez mal les conséquences qui en découlent, il en tient compte cependant, et l’on doit noter la parenté entre le « retrait sur soi-même », la « destruction de soi », « l’auto-anéantissement » dont il parle, et le détachement du monde, la destruction de la double réalité extérieure et intérieure, la Geläzenheit qu’a prêchées Eckart, la « mort de la volonté propre », le « reniement de tout esprit de propriété » chez Tauler, la « mort à soi-même » de saint Jean de la Croix dans sa Nuit obscure, le « Vivre en mourant, mourir en vivant » de Ruysbroeck l’Admirable dans son Miroir du salut éternel, « l’ascension de l’imparfait au parfait » chez Boehme : illustre lieu commun de toute la grande tradition de l’ascétisme mystique chrétien, qu’il est très intéressant de voir évoqué ainsi chez Schleiermacher. Mais chez le romantique moderne il s’agit d’exaltations passagères, non d’un état à stabiliser. Il n’est nullement porté à l’ascétisme. D’autre part, il faut le noter aussi, cette fusion avec le Divin ne tourne jamais chez lui à la divinisation du moi, et à sa mise au-dessus de la moralité, en vertu de la maxime « tout est pur pour les purs », comme ce fut le cas au moyen-âge chez les Amauriciens, Ortlibiens, Beghards et autres Frères du Libre Esprit, et à diverses époques chez bien d’autres sophistes d’une mystique dévoyée. Il y a lieu, il est vrai, pour être complet, de signaler deux formules fort imprudentes à les prendre isolément, p. 66 : « Si condamnable qu’une