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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/53

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nuptial ; non, il n’est pas comme eux, il est eux-mêmes. En un instant, par une sorte de magie, une chose qu’on voit, un fait qui se produit, revêtent l’ampleur d’une image de l’Univers. Au moment où elle prend forme, la figure aimée et toujours cherchée, mon âme vole au-devant d’elle, je l’étreins, non comme une ombre, mais comme l’être saint lui-même… » C’est ainsi que le protestant romantique la décrit, cette fusion de l’esprit de l’homme avec celui de l’Univers qui est selon lui l’intuition du Divin, mère de toute religion véritable. Il n’en mentionne pas la parenté avec les visions, les révélations des grands mystiques chrétiens, dont il y aurait lieu de comparer les descriptions avec celles qu’il fait de la sienne. Parenté de sœur pauvre, car l’extase du protestant se réduit à cette compénétration d’un instant. « Le moindre choc, et le saint embrassement s’évanouit… Ce moment est la fleur suprême de la religion. Si je pouvais vous y faire participer, je serais un Dieu. Que le sacré Destin me pardonne d’avoir dû vous découvrir des mystères plus augustes que ceux d’Éleusis », pages 72-75.

Cette page, avec ce que peut avoir de spontané son exaltation née d’un monisme unificateur de l’âme et du corps, avec son érotisme mystique, évocateur du style épithalamique de grands et grandes catholiques du passé, avec son rappel final, si peu pertinent, du rationaliste « Destin » et d’un culte de l’antiquité classique païenne, est une des plus caractéristiques du complexe romantique de Schleiermacher en 1799.

Mais non moins digne d’intérêt est une définition ascétiquement spiritualiste que l’auteur donne par deux fois de l’intuition extatique. À la fin de ce second discours, page 132, il recommande à ceux qui aspirent à l’immortalité de leur âme d’anéantir en ce monde déjà leur individualité pour vivre dans l’Un et le Tout, et se fondre ainsi dans l’Univers, le Divin. Et dans le troisième, page 166, il présente cet auto-anéantissement du moi particulier comme un moyen de réaliser en soi l’Infini, c’est-à-dire le Divin. Là, il engage l’individu à se contempler lui-même, en concentrant de plus en plus son attention sur sa pure intériorité, ajoute-t-il en 1821, jusqu’à ce que disparaisse à sa vue sa personnalité et son existence à part, précise-t-il en 1806, donc, par l’exclusion de ce qu’il y a en lui-même d’extérieur et d’égotiste.