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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/67

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naturellement portés à s’élever vers l’Infini. Ce sont les natures fantastiques, phantastische Naturen, qui ont un certain penchant au mysticisme. Il se rend bien compte que cette disposition peut être superficielle et capricieuse ; il emploie ici l’expression peu flatteuse : ceux qui se distinguent par un vernis mystique. De telles natures fantastiques, observe-t-il, manquent de l’application et de la pénétration nécessaires pour aller jusqu’à l’essence de la religion. Elles ont des velléités religieuses, des accès fugitifs de religion, des lueurs, dirons-nous, qui ne deviennent pas une lumière. D’autre part, ceux qui sont toujours repliés sur eux-mêmes manquent bientôt de la substance qui est nécessaire pour alimenter cet esprit et pour faire « des virtuoses, ou des héros de la religion », c’est un des passages où il sentira en 1806, l’inconvenance de cet emploi du mot virtuose et le remplacera par une expression plus pertinente.

De ces natures fantastiques, de ces pseudo-mystiques, Schleiermacher distingue les vrais mystiques. Il n’hésite pas à proclamer la respectable grandeur de la disposition d’esprit que, par opposition au terme péjoratif alors à la mode, et qu’il emploie lui-même dans d’autres passages, Schwärmerei, divagation papillonnante, il appelle eine grosse kräftige Mystik, une grande et vigoureuse mystique. La définition qu’il en donne lui est d’ailleurs particulière, pages 158-159. Elle se réfère à son système, au rapport que nous l’avons vu statuer entre l’intuition de l’univers extérieur et la contemplation par l’individu de son monde intérieur. Cette grande mystique, selon lui, interprète l’univers extérieur d’après ce qu’elle trouve dans le monde intérieur, dont sa haute sagesse sait se contenter. Elle admet donc le contrôle d’une certaine expérience, celle que fournit la vie intime.

Assurément, continue l’auteur, il se produit chez les hommes d’aujourd’hui des intuitions religieuses, chez les jeunes surtout, et même, il n’y a pas d’être humain à qui ne soit apparu au moins une fois ce qu’il appelle ici, comme souvent, nous l’avons dit : « Le haut Esprit du monde », auquel il prête même à présent, par un anthropomorphisme contraire à ses principes, « un regard pénétrant », page 161. Mais ces intuitions sont rares, discontinues, éparses. L’époque manque de ces « héros de la religion », de ces « âmes saintes », pour qui la religion est tout. Il importerait qu’on vît survenir