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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/154

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des vieillards que sur tel coteau, aujourd’hui nu et dévoré par les eaux, ils ont vu se dresser autrefois de belles forêts, sans un seul torrent.

Des observations qui se reproduisent si souvent et avec des caractères si constants, est-il permis de les expliquer par le simple effet du hasard ? Ne forcent-elles pas de reconnaître que les forêts exercent une influence puissante sur la production des torrents, soit que, debout sur le sol, elles le défendent contre leur approche, soit qu’effacées par la main de l’homme, elles leur abandonnent un champ libre, qu’ils ne tardent pas à dévaster ?

Il importe d’établir cette influence sur des preuves directes et positives. Or, cela devient presque embarrassant par l’évidence même de la chose à démontrer. Il faut savoir qu’elle se manifeste ici dans tant de circonstances, sous tant de formes variées, et avec une telle force de vérité, que pas un seul homme certainement, dans le pays tout entier, n’oserait la contester. Il suffit de parcourir un seul jour ces montagnes pour être frappé par une infinité de faits qui feraient tomber la conviction contraire la mieux enracinée dans l’esprit. Tous ceux qui connaissent la contrée ne peuvent avoir là-dessus qu’une même opinion. Toutes les observations qu’on a publiées sur cette matière sont unanimes, et leurs auteurs n’ont pas eu d’autre peine que de vérifier l’opinion publique, ni d’autre mérite que d’exprimer par la plume ce qui était depuis plusieurs siècles dans toutes les bouches et dans toutes les intelligences[1].

En face d’une croyance si universelle, si peu contestée et si peu contestable, on se trouve tout en défaut, lorsqu’on essaye de la réduire en une sorte de démonstration. — On ne sait comment sortir une citation du milieu d’un si grand nombre d’exemples qui se corroborent l’un l’autre, et sont principalement puissants par leur ensemble et par leur masse.

Je m’arrête au fait suivant, qui me paraît concluant, et qui est facile à vérifier, attendu qu’il se reproduit très-fréquemment.

On sait déjà (chap. 9) qu’il existe ici beaucoup de revers formés par les

  1. « Quant aux causes du mal, je n’ai point à me faire un mérite de les avoir découvertes. Là, tout le monde les connaît, même les habitants des campagnes. — C’est un grand point ; les esprits en sont plus disposés à adopter les moyens de les faire cesser. »
    (M. Dugied, dans le mémoire cité.)