« Qu’autres que vous soient désirées »

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« Qu’autres que vous soient désirées »
Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 249-251).


CHANSONS


I

1607


Qu’autres que vous soient désirées,
Qu’autres que vous soient adorées,
Cela se peut facilement,
Mais qu’il soit des beautez pareilles
A vous, merveille des merveilles,
Cela ne se peut nullement.

Que chacun sous telle puissance
Captive son obéissance,
Cela se peut facilement,
Mais qu’il soit une amour si forte

Que celle-là que je vous porte,
Cela ne se peut nullement.

Que le fascheux nom de cruelles
Semble doux à beaucoup de belles,
Cela se peut facilement ;
Mais qu’en leur ame trouve place
Rien de si troid que vostre glace,
Cela ne se peut nullement.

Qu’autres que moy soient misérables
Par vos rigueurs inexorables,
Cela se peut facilement ;
Mais que la cause de leurs plaintes
Porte de si vives atteintes,
Cela ne se peut nullement.

Qu’on serve bien, lorsque l’on pense
En recevoir la recompense,
Cela se peut facilement ;
Mais qu’une autre foy que la mienne
N’espère rien, et se maintienne,
Cela ne se peut nullement.

Qu’à la fin la raison essaye
Quelque guérison à ma playe,
Cela se peut facilement,
Mais que d’un si digne servage

La remontrance me dégage,
Cela ne se peut nullement.

Qu’en ma seule mort soient finies
Mes peines et vos tyrannies,
Cela se peut facilement ;
Mais que jamais, par le martyre
De vous servir, je me retire,
Cela ne se peut nullement.