Les Automnales/À Théophile Gautier

La bibliothèque libre.
Les AutomnalesAlphonse Lemerre, éditeurPoésies d’Auguste Lacaussade, tome 1 (p. 188-190).

V

À THÉOPHILE GAUTIER

 

Poète ! ta ferveur fait grande ta mémoire.
Absorbé tout entier dans ton culte béni,
Tu préféras la Muse à tout, même à la gloire,
Maître ! qui dans ton art égalas Cellini.

Amours, honneurs, trésors, tout ce que l’homme envie,
Moins qu’un beau vers touchaient ton cœur épris du beau.
A tout indifférent, tu passas dans la vie
L’âme et les yeux fixés sur l’idéal flambeau.

Tu ne savais rien voir qu’au jour de sa lumière ;
Tu voulais beau le bien et belle la vertu.
Diamant affranchi de sa gangue première,
Le vrai ne te charmait que de beauté vêtu.

Des rythmes d’or portant allègrement la chaîne,
Tu ciselais en vers ton rêve et ton ardeur.
Ton esprit pur de fiel ne connut qu’une haine,
Cette haine du Mal que trahit sa laideur.


Comme l’abeille au lys, l’expression heureuse,
Rimes et mots ailés, accourait à ta voix.
L’image éblouissait dans ta strophe nombreuse,
Mes mètres se teignaient de pourpre sous tes doigts.

Le nombre et la couleur, le rythme au long vocable
Épousaient dans ton vers la ligne au fier contour.
La forme avait ton culte, ô poète impeccable !
Et de ses dons la forme a payé ton amour.

Artiste exquis, tu fus un ouvrier modèle :
Patient, obstiné, tendant sans cesse au mieux,
Ta pensée et ton cœur, sous ton pinceau fidèle,
En de vivants tableaux se traduisaient aux yeux.

Ta parole peignait ; pour toi l’inexprimable
N’existait pas ; les mots t’obéissaient, soumis.
Mais sévère à toi seul, Maître ! ta force aimable
Accueillait tout effort de ses bravos amis.

Dans tes savantes mains la plume du critique
Conseillait sans blesser. Ta clémente équité
Savait mêler l’éloge au blâme sympathique :
Tu fus doux dans ta force et grand dans ta bonté.

Et tu pars, et la tombe a clos ta destinée ;
Mais de la lice au moins tu sors ayant vaincu.
Tu peux croiser tes bras, ton œuvre est terminée,
Maître ! et tu n’es pas mort, toi, sans avoir vécu !


Comme un fleuve dont l’eau féconde au loin les plages,
Pars du sol des vivants sans remords ni regrets :
Tu laisses après toi d’harmonieux feuillages ;
L’oiseau du souvenir chante dans ton cyprès.

La Muse romantique au front ceint d’hyacinthe,
Évoquant en son deuil les chants où tu survis,
Debout, veille sur toi, dans l’attitude sainte
D’une mère pleurant au tombeau de son fils.

Près d’elle je viendrai dans mes ferveurs discrètes
Méditer sur ta tombe, au pied des saules verts ;
Et, visiteur pieux, sur tes cendres muettes,
Fleurs d’un cœur qui t’aima, j’effeuillerai mes vers.