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Poésies (Quarré)/Un fils

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Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 9-17).




UN FILS.




Un fils.



Que de fois j’ai rêvé, seule, hélas ! sur la terre,
Un ange aux blonds cheveux qui me nommait sa mère,
Un enfant blanc et rose entre mes bras couché,
Jeune être souriant au soleil, à la vie,
Unique et cher espoir de mon ame ravie,
Trésor où mon amour se serait épanché !

Je le voyais déjà grandir dans ma pensée,
Comme un jeune arbrisseau dont la tige élancée
S’élève avec orgueil sur le sol maternel ;
Et mon œil attentif aimait à voir son ame
Briller naïve et pure en ses regards de flamme,
Comme un reflet du ciel.


Ardent, et de ses jeux épris avec ivresse,
Si sa fougue parfois alarmait ma tendresse,
J’étais heureuse aussi quand, lui tendant la main,
Sur le seuil s’avançait quelque vieillard timide,
Et j’embrassais mon fils qui venait, l’œil humide,
De courir vers le pauvre et lui donner son pain ;
Mon fils, mon seul amour, mon espoir et ma joie,
Dont la jeune raison chaque jour se déploie,

Qui déjà sait comprendre et graver dans son cœur
Qu’on doit amour à Dieu, qu’il frappe ou qu’il bénisse,
Indulgence à son frère, horreur profonde au vice,
Et pardon à l’erreur.


Quand ma voix, faible écho de notre belle histoire,
S’essaie à lui conter quelque scène de gloire,
Un sympathique orgueil l’enflamme à mon récit ;
D’un feu plus éclatant son regard étincelle,
Et tout trahit déjà, dans ce corps tendre et frêle,
Une ame neuve et forte où la vertu grandit.
Mais si je peins la France à l’étranger vendue,
De son char triomphal renversée et vaincue,
Pleurant la trahison de ses enfans ingrats,
Veuve de son héros, reine découronnée…

Il me dit, rougissant de la voir profanée :
Mère, oh ! n’achève pas.


Mais le temps a volé : de l’enfant qui s’efface
L’homme au front rayonnant vient de prendre la place.
Qu’il est noble, superbe, et que de majesté !
Tel devait être Adam sortant des mains divines,
Quand les anges, ravis, aux célestes collines,
Descendaient vers Eden, admirant sa beauté.
La vierge, à son aspect s’étonnant d’être émue,
Sent palpiter son cœur, rougit, baisse la vue,
La relève aussitôt pour le suivre de l’œil ;
Et moi que ses vertus, ses succès, rendent fière,
Je le contemple alors, et trop heureuse mère,
Je m’enivre d’orgueil.



Sans regrets maintenant, je puis quitter la vie,
Car mon fils est un homme et ma tâche est remplie,
Et je m’endormirai paisible sur son cœur :
Lit doux à mon repos, sans tache, sans souillure,
Que n’a jamais flétri, sous son ardeur impure,
D’un coupable désir le souffle corrupteur.
Va ! si pour toi les jours sont féconds en orages,
Si ton bel horizon s’obscurcit de nuages,
Et que tes yeux en pleurs cherchent en vain les cieux,
Tu porteras toujours, pour vaincre avec constance,
Et le divin amour et la ferme espérance
Dans ton sein généreux.


Je veillerai sur toi de la céleste voûte ;
Mes regards maternels te suivront dans ta route ;

Et si, par la douleur, je te vois abattu,
Sur l’aile d’un archange, au sein des nuits profondes,
Mon ame, franchissant la distance des mondes,
Viendra du haut des cieux ranimer ta vertu.
Mais non ; c’est une erreur que j’avais caressée,
Un rêve mensonger dont je m’étais bercée ;
L’enfant a disparu ; je reste seule, hélas !
Mon fantôme adoré, ma ravissante image,
Ce fils de mon amour, cet homme, mon ouvrage,
S’est enfui de mes bras.


Tel parfois un nuage aux formes fantastiques
Semble offrir à nos yeux des temples, des portiques,
Peuplés de séraphins se berçant dans l’azur,
D’anges tout rayonnans sous leurs célestes voiles,

Chantant l’hymne éternel, et couronnant d’étoiles,
Sur des trônes brillans, les vierges au front pur.
Mais quand l’œil enchanté sourit à ces images,
Un vent léger s’élève, et bientôt les nuages
Effacent en fuyant ce tableau radieux :
Ainsi, disparaissant de mon ame ravie,
Ce songe, qui charmait ma douce rêverie,
S’est perdu dans les cieux.