Épaves (Prudhomme)/Peur de nuire

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ÉpavesAlphonse Lemerre. (p. 38-39).


PEUR DE NUIRE


Si je n’avais peur de t’ouvrir
L’abîme où se perd ma pensée,
Si je pouvais, sans t’assombrir,
Te prendre, amie humble et sensée,
Pour fiancée,

Si mon cœur n’avait pas souffert
Des refus qui l’ont fait sauvage,
S’il n’avait, hélas ! découvert
Que l’espoir d’un nid à notre âge
Est un mirage,


Je te dirais : « Viens m’apaiser,
Viens, je n’aurai l’âme assouvie
Que par ton virginal baiser ;
Enseigne au songeur qui l’envie
Ta simple vie. »

Mais il me faut demeurer seul,
Penché sur des livres moroses ;
J’ai fait ma tente d’un linceul :
Laisse-moi le fond noir des choses,
Garde les roses.


1863.