Épigrammes (Martial)/1864/04
(p. 170-218).
LIVRE IV
Jour fortuné qui vis naître César, jour plus sacré que celui où l’Ida, complice de Cybèle, vit naître Jupiter sur le mont Dictée, prolonge, je t’en prie, ta durée au delà des trois âges du sage de Pylos ; sois toujours aussi brillant et, s’il se peut, plus brillant encore qu’en ce moment. Que notre maître tout couvert d’or, sacrifie à Minerve Albaine pendant des années sans nombre ; et que ses augustes mains distribuent encore des milliers de couronnes de chêne. Puisse-t-il après une longue suite de lustres, renouveler les jeux séculaires et les fêtes instituées à Tarente par Romulus ! Dieux de l’Olympe, c’est vous demander de grandes faveurs, mais vous les devez à la terre. Quels vœux pourraient être indiscrets pour un aussi grand dieu ?
Seul, au milieu de tous les Romains, Horace assistait au spectacle avec un vêtement noir, tandis que le peuple, les chevaliers, les sénateurs et leur chef sacré siégeaient en toges blanches. Tout à coup des flocons de neige tombent du ciel ; Horace alors assiste aux jeux, vêtu de blanc.
Voyez quels épais flocons de neige tombent sans bruit sur le front et le sein de César ! Cependant il pardonne à Jupiter ; et sa tête reste immobile ; il se rit de ces eaux que le froid a congelées, habitué qu’il est à braver l’astre glacial du Bouvier, et à souffrir, sans y paraître songer, l’influence d’Hélice inondant sa chevelure. Mais quel dieu se plaît et s’amuse à verser du haut du ciel ces eaux durcies ? Je soupçonne qu’elles sont envoyées par le jeune fils de César :
L’odeur des lagunes que la mer a laissées à sec ; les vapeurs épaisses qui s’élèvent des eaux croupies de l’Albula ; l’air corrompu d’un vivier où a séjourné l’eau de mer ; l’exhalaison du bouc paresseux lorsqu’il presse amoureusement sa chèvre ; l’odieux parfum de la casaque d’un vieux soldat, après une nuit de corps de garde ; la puanteur d’une étoffe trempée deux fois dans le murex ; l’haleine des gens qui observent le jeûne du sabbat ; celle des criminels qui viennent d’entendre leur sentence ; la fumée de la lampe mourante de la sale Léda ; l’odeur des onguents composés avec la lie de la Sabine ; la peste que répand le renard en fuite, celle du nid de la vipère ; voilà, Bassa, ce que j’aimerais mieux sentir que ce que tu sens.
Citoyen vertueux et pauvre, à la parole franche, au cœur sans détour, qu’espères-tu, Fabianus, en venant à Rome ? Tu ne saurais être ni proxénète ni parasite ; tu n’iras pas d’une voix dolente citer au tribunal les prévenus tremblants ; tu ne voudrais pas corrompre la femme d’un ami intime, montrer de la vigueur avec des vieilles glacées par l’âge, vendre autour des palais une vaine fumée, applaudir ni Canus ni Glaphyrus. De quoi vivras-tu donc, malheureux, avec ta bonne foi, ta constance en amitié ? Tout cela n’est rien ; et avec ce caractère tu ne seras jamais un Philomelus.
Tu veux qu’on te croie plus chaste que la vierge pudique, et, ton front affecte la rougeur de l’innocence, bien que tes mœurs, Malisianus, surpassent en infamie celles du débauché qui lit, chez Stella, des vers composés à la manière de Tibulle.
Pourquoi, jeune Hyllus, me refuser aujourd’hui ce que tu m’accordais hier ? te montrer si cruel après avoir été si doux ? Mais déjà tu m’opposes ta barbe, ton âge et les poils dont ton corps est couvert. Que tu es longue, ô nuit ! toi qui as suffi pour faire un vieillard ! Pourquoi ce badinage ? Hyllus, toi qui n’étais hier qu’un enfant, dis-nous comment aujourd’hui, tu es un homme ?
Les deux premières heures de la journée se passent dans les visites des clients ; à la troisième, on entend les voix enrouées des avocats ; pendant la cinquième, Rome se livre à toutes sortes d’occupations ; à la sixième, ceux qui sont fatigués se reposent ; la septième met fin aux travaux ; de la huitième à celle qui suit, on se livre aux exercices de la palestre ; la neuvième nous appelle à fouler les lits préparés pour la table ; la dixième est consacrée à la lecture de mes petits livres, au moment, Euphemus, où tes soins distribuent l’ambroisie à César, et où ce maître bienfaisant se rafraîchit avec le nectar céleste, que sa main puissante verse avec modération dans sa coupe. Tu peux alors présenter mes vers badins ; car ma muse n’oserait, d’un pas hardi, venir interrompre les matinées de Jupiter.
Fille du médecin Sota, Fabulla, tu quittes ton mari pour suivre Clitus ; tu lui prodigues et les présents et ton amour ; tu te ruines.
Trop fier d’un vain nom qui n’est pas le tien, malheureux, tu as honte d’être Saturninus ! Tu as suscité des guerres impies dans ces climats situés sous la constellation de l’Ourse ; et ta révolte égale celle qu’excita l’époux de la reine d’Égypte. Avais-tu donc oublié le destin de ce nom qu’ensevelit à jamais le courroux redoutable des flots d’Actium ? Le Rhin t’a-t-il promis les secours que le Nil lui a refusés ? Les fleuves du nord auraient-ils pu faire davantage ? Eh bien ! Cet Antoine est aussi tombé sous nos armes ; lui qui, comparé à toi, perfide, était un César.
Tu ne refuses tes faveurs à personne, Thaïs ; soit : mais si tu n’en rougis pas, rougis du moins de ne rien refuser.
Mon ami Pudens épouse Claudia Peregrina, ô Rufus ! Hyménée, fais briller tes flambeaux d’un plus doux éclat ! Telle est l’union précieuse du cinname et du nard, qui aiment à se rencontrer ; tel est encore le mélange du vin de Massique avec le miel des coteaux où régna Thésée. Les ormeaux ne se marient pas avec plus d’amour à la vigne si tendre ; le lotos ne recherche pas davantage les lieux humides ; le myrte se plaît, moins sur les rivages. Ô concorde, sois sans cesse l’incorruptible gardienne de la couche de ces époux ; que Vénus leur dispense ses faveurs avec une bonté toujours égale ; que la femme chérisse son mari ; même quand il sera vieux ; et que l’époux, à l’époque où l’épouse aura vieilli, oublie que le temps a marché pour elle !
Silius, l’honneur des vierges de Castalie, toi qui peins à grands traits les parjures, la fureur d’un peuple barbare et les ruses perfides d’Annibal ; toi qui fais succomber l’inconstant Carthaginois sous les armes de l’immortel Scipion l’Africain ; oublie un instant ton austère gravité, dans ce mois de décembre, où le jeu promène çà et là ses caprices charmants, où le bruit des cornets capricieux retentit de toutes parts, où le victimaire joue avec des dés infidèles ; époque si favorable aux loisirs de nos muses ! lis, non d’un œil sévère, mais avec indulgence, ces feuillets empreints de malice et de folâtre gaieté. Ainsi peut-être le tendre Catulle osa-t-il envoyer au grand Virgile le moineau qu’il avait chanté.
J’ai refusé hier, Cécilianus, de te prêter mille sesterces pour six à sept jours ; mais, sous le prétexte de l’arrivée d’un ami, tu demandes à m’emprunter un bassin et quelques vases. Es-tu fou, ou crois-tu que je le sois, mon ami ? Je ne t’ai pas donné mille sesterces, et je t’en donnerais cinq mille !
Gallus, tu ne t’es pas contenté d’être le beau-fils de ta belle-mère tant que ton père a vécu, si l’on en croit la chronique ; cependant il n’y avait alors aucune preuve du fait : Ton père n’est plus ; Gallus, et ta belle-mère demeure toujours avec toi. Dût l’éloquent Tullius revenir du séjour des ombres, dût Regulus lui-même se charger de ta défense, rien ne saurait te faire absoudre ; car celle qui, depuis la mort de ton père, n’a pas cessé d’être ta belle-mère, ne le fut jamais.
Tu m’engages, Paulus, à écrire contre Lycisca des vers qui la fassent rougir et qui excitent sa colère. Ah ! Paulus, tu es un perfide. Tu ne veux partager avec personne le plaisir de sucer.
Sous la porte voisine du portique d’Agrippa, à l’endroit où le pavé glissant est arrosé d’une pluie incessante, un fragment de cette eau glacée par l’hiver tomba sur la gorge d’un jeune homme qui entrait dans ce temple humide ; après avoir précipité les tristes destins du malheureux, le poignard amolli s’est fondu dans la plaie brûlante qu’il avait faite. Quels jeux cruels n’a-t-on pas à redouter de la fortune ? Où la mort n’est-elle point, si l’eau peut aussi nous égorger ?
Je t’envoie l’ouvrage grossier d’une ouvrière de la Gaule séquanaise, ouvrage qui, tout barbare qu’il est, conserve un nom lacédémonien, c’est un présent de peu d’apparence, mais qui n’est point à dédaigner par un froid de décembre ; reçois ce vêtement étranger, cette endromide. Soit que, frotté de cire et d’huile, tu t’exerces à la lutte, soit que tu t’échauffes, avec le trigon, que tu enlèves avec la main le harpaste poudreux, que tu fasses bondir le ballon gonflé de plumes, ou que tu veuilles vaincre à la course le léger Athas, cet habit empêchera le froid pénétrant de se glisser dans tes membres mouillés : avec lui tu ne craindras pas les torrents d’eau que verse tout à coup Iris ; avec lui, tu braveras les vents et la pluie : un manteau d’étoffe de Tyr ne te préserverait pas aussi bien.
XX. — sur cérellia et gellia.
Cérellia se dit vieille, et elle n’est qu’un enfant : Gellia, la vieille, prétend être un enfant. Tu ne pourrais, Collinus, souffrir ni l’une ni l’autre : celle-ci est ridicule et celle-là prétentieuse.
XXI. — sur selius.
Selius affirme qu’il n’y a point de dieux et que le ciel est vide : la preuve, dit-il, c’est que, malgré son athéisme, il se voit fort heureux.
XXII. — sur cléopâtre, son épouse.
Après les premières attaques de l’amour, encore irritée contre son mari vainqueur, Cléopâtre s’était plongée d’ans un bain d’eau limpide pour fuir mes caresses ; mais l’onde où elle veut se cacher, la trahit ; de toutes parts enveloppée d’eau, elle n’en brille que d’un plus vif éclat. Ainsi les lis renfermés sous un verre diaphane se comptent plus facilement ; ainsi le cristal défend à la rose de cacher ses charmes. Je m’élance au bain, et, au sein des eaux, je cueille les baisers qu’elle me dispute : onde transparente, tu ne m’en as pas permis davantage.
XXIII. — à thalie, sur brutianus.
Tandis que trop longtemps incertaine, tu balances à assigner le premier et le second rang, à décerner la palme de l’épigramme grecque, Callimaque la donne de lui-même, ô Thalie, à l’élégant Brutianus. Si, las de cultiver les Muses, gracieuses du pays de Cécrops, il se livrait au fin badinage de la Minerve romaine, accorde-moi la faveur d’être le second après lui.
XXIV. — sur lycoris, à fabianus.
Lycoris, ô Fabianus, a mis au tombeau toutes ses amies. Puisse-t-elle devenir l’amie de ma femme !
XXV. — sur les rivages d’altinum et sur aquilée.
Rivages de l’Altinum, qui rivalisez avec les belles campagnes de Baïes, bois qui vis le bûcher de Phaéton, vous, la plus belle des Dryades, que le Faune de la ville d’Anténor prit pour seule et unique épouse auprès des lacs Euganéens ; et vous, Aquilée, fécondée par les eaux, du Timave, qui reçut les fils de Léda, et permit à Cyllarus de puiser l’onde de ses sept embouchures ; vous serez le port et l’asile de ma vieillesse si quelque jour je suis maître de mes loisirs.
XXVI. — à posthumus.
Pour n’être point venu de toute l’année te saluer le matin, veux-tu savoir, Postumus, combien j’ai perdu ? deux fois trente et peut-être trois fois vingt sesterces. Tu m’excuseras, Postumus ; la moindre toge me coûte plus cher.
XXVII. — à césar auguste domitien.
César, tu fais souvent l’éloge de mes œuvres ; mes envieux prétendent qu’il n’en est rien ; toutefois tu continues et même, après m’avoir honoré de tes louanges, tu me combles de ces présents que nul autre ne pourrait me faire. Eh ! ne voilà-t-il pas que l’envie ronge encore ses ongles noirs. César, accable-moi de dons, pour qu’elle en meure de dépit.
Chloé, tu as donné au tendre Lupercus des étoffes d’Espagne, de Tyr, d’écarlate, et une toge lavée dans les tièdes eaux du Galèse, des sardoines de l’Inde, des émeraudes de Scythie, cent pièces d’or frappées nouvellement à l’effigie de notre maître : tout ce qu’il demande, tu le lui accordes, tu le lui prodigues. Malheur à toi, pauvre brebis tondue ! malheur à toi, pauvrette ! ton Lupercus te mettra toute nue.
Le grand nombre de mes épigrammes leur nuit, mon cher Pudens ; un ouvrage interminable fatigue et rassasie le lecteur. La rareté a plus de charme : ainsi les premiers fruits plaisent davantage ; ainsi les roses d’hiver ont plus de prix. Le faste d’une maîtresse qui ruine ses adorateurs est son premier titre de recommandation ; et la porte qui s’ouvre à tout venant n’attire pas la jeunesse. Perse a plus de réputation pour un seul petit livre, que le fade Marsas pour toute son Amazonide. Aussi, toi, quand tu liras une de mes pièces de vers, figure-toi qu’elle est la seule, et tu lui accorderas plus d’estime.
Crois-moi, pêcheur, fuis bien loin du lac de Baïes, si tu ne veux pas en revenir criminel. Le poisson qui nage dans ces eaux est sacré ; il connaît le maître du monde, et vient lécher cette main, la plus puissante de l’univers. Ajouterai-je que chacun de ces poissons à son nom, accourt rapidement à la voix du maître qui l’appelle ? Un Libyen impie jeta un jour dans cette eau profonde sa ligne tremblante, mais, au moment de tirer sa proie, frappé tout à coup de cécité, il perdit l’usage de ses yeux et ne put voir le poisson qu’il avait pris : aujourd’hui, maudissant ses hameçons sacrilèges, il se tient en mendiant sur le rivage de Baïes. Toi, pécheur, tandis que tu le peux encore, retire-toi innocent ; jette dans ces eaux des aliments salutaires, et respecte des poissons consacrés.
Enfermée brillante dans une larme des sœurs de Phaéton cette abeille semble s’être emprisonnée dans son propre nectar. Ainsi elle a reçu le prix de ses travaux sans pareils, et l’on peu croire qu’elle a choisi elle-même ce genre de mort.
Tes tablettes sont remplies d’ouvrages travaillés avec soin. Pourquoi ne publies-tu rien, Sosibianus ? — Mes héritiers, dis tu, s’en chargeront. — Quand donc ? Il est temps qu’on te lise Sosibianus.
Nous avons vu des daims timides entrechoquer leurs fronts et périr du même coup. Les chiens ont dédaigné cette proie ; et le superbe chasseur s’est étonné que son couteau n’eût plus rien à frapper. Comment tant de fureur a-t-elle enflammé de si faibles courages ? On eût dit une lutte de taureaux, un combat à mort entre guerriers.
Ta barbe est blanche, et tes cheveux sont noirs ; le motif de ce contraste, c’est que tu ne peux teindre ta barbe, Olus, mais que tu teins facilement ta chevelure.
Coramus me doit cent mille sesterces, Mancinus deux cent mille, Titius trois cent mille, Albinus deux fois cette somme, Sabinus un million, et Serranus deux millions de sesterces ; mes maisons réunies et mes biens fonds me donnent un revenu de trois millions de sesterces ; mes troupeaux de Parme, me rapportent trois fois deux cent mille sesterces ; voilà ce dont tu m’étourdis sans cesse, et je sais cela mieux que mon nom même. Il faut me compter quelque argent, si tu veux que je me résigne à t’entendre : dissipe avec de l’or les nausées que tu me causes chaque jour. Afer, je ne puis plus entendre gratis tous tes contes.
Refuse-moi, Galla : l’amour s’éteint si le plaisir n’est point mêlé de tourments ; mais ne va pas, Galla, me refuser trop longtemps.
Tu as acheté toutes sortes d’objets en argent ; seul tu possèdes les antiques chefs-d’œuvre de Myron ; seul, les merveilles de la main de Praxitèle, de Scopas ; seul, les beaux vases que ciselait Phidias ; seul, tous les travaux de Mentor. Les véritables Gratianus ne te manquent pas, non plus que les vases dorés de la Galicie, ni la vaisselle ciselée de la table de tes aïeux. Mais au milieu de toute cette argenterie, je m’étonne, Charinus, que tu n’aies rien dans sa pureté.
Pourquoi, lorsque tu vas lire, entourer de laine ton cou ? c’est plutôt à nos oreilles qu’il siérait d’en mettre.
Si quelqu’un était à même d’exaucer mes souhaits ; écoute, Flaccus, comme je voudrais que fût mon mignon. D’abord il aurait vu le jour sur les rives du Nil : point de climat où la volupté soit plus raffinée. Il serait plus blanc que la neige ; car, aux bords du lac Méris, où la couleur brune domine, la blancheur est plus belle, par cela même qu’elle y est plus rare. L’éclat de ses yeux éclipserait celui des astres ; sa chevelure flexible retomberait mollement sur son cou : je n’aime pas, Flaccus, les cheveux artistement frisés. Il aurait le front bas, et le nez légèrement aquilin ; rivales des roses de Pestum, ses lèvres en auraient l’incarnat. Souvent-il m’obligerait de répondre à ses désirs, et il résisterait aux miens : il serait souvent plus libre que son maître. Il redouterait les jeunes garçons et il écarterait les jeunes filles ; homme pour les autres, pour moi seul il serait enfant. — J’entends, et tu ne te trompes pas ; tout, à mon avis, est exact dans ce portrait : tel était, diras-tu, mon Amazonicus.
Je n’ai point dit, Coracinus, que tu étais pédéraste : je ne suis ni assez téméraire ni assez audacieux pour mentir ainsi de gaieté de cœur. Si je l’ai fait, Coracinus, qu’on m’oblige à vider le philtre redoutable de Pontia, ou la coupe terrible de Metilus. Je jure par les ulcères des prêtres de Cybèle, par les fureurs bérécynthiennes, que je n’ai dit qu’une bagatelle, un rien connu de tout le monde, et que tu ne nieras pas toi-même. J’ai dit, Coracinus, qu’avec les femmes tu avais la langue libertine.
Le voilà, ce Vésuve jadis ombragé de pampres verts dont le fruit inondait nos pressoirs de son jus délectable. Les voilà ces coteaux que Bacchus, préférait aux collines de Nysa : naguère, sur ce mont, les Satyres formaient des danses légères. C’était la demeure de Vénus, qui l’affectionnait plus encore que Lacédémone : Hercule avait par son nom illustré ces lieux. Les flammes ont tout détruit, tout enseveli sous d’affreux monceaux de cendres : les dieux voudraient que leur puissance ne fût pas allée si loin.
Ce tableau représente Phaéton peint à l’encaustique. Peintre, quelle idée folle à toi de-brûler deux fois Phaéton !
Tu te plais à être le patient Papilus ; et tu en pleures ensuite les conséquences. Pourquoi, lorsque tes désirs sont remplis, témoigner tant de regrets, Papilus ? Te repens-tu de ta jouissance impure ? ou bien plutôt te plains-tu de ce qu’elle a cessé ?
Crois-moi, Flaccus, tu ne sais pas ce que c’est que des épigrammes : tu les traites de plaisanteries, de bagatelles. Il y a, dis-tu, bien plus de jeu d’esprit à décrire les repas du barbare Térée, les festins du cruel Thyeste ; à chanter Dédale attachant à son fils des ailes de cire, ou à montrer Polyphème faisant paître ses brebis sur les rivages de la Sicile. — Loin de mes écrits toute sorte d’enflure, ma muse ne revêt pas avec orgueil l’extravagant manteau des tragiques. — Cependant tout le monde loue, admire, adore les grandes compositions du théâtre. — J’en conviens, elles ont des panégyristes ; mais les miennes ont des lecteurs.
Pourquoi, Thaïs, me répéter que je suis vieux ? Thaïs, on n’est jamais vieux pour lécher.
Si tu ne cesses, Hedylus, de te faire porter par deux chèvres accouplées, de figuier que tu étais, tu deviendras figuier sauvage.
Cet homme que tu vois souvent dans l’intérieur ou sur le seuil du nouveau temple de Pallas, ce vieillard, portant bâton et besace, dont les cheveux sont blancs et malpropres, qui laisse tomber sur sa poitrine une barbe dégoûtante, qui la nuit se couvre d’une saie grasse, seule compagne de son triste grabat, qui reçoit du peuple une nourriture arrachée par des aboiements ; sans doute, Cosmus, abusé par une fausse apparence, tu le prends pour un cynique. Ce n’est point un cynique, Cosmus. — Qu’est-ce donc ? — Un chien.
O toi qui méritas la couronne de chêne au Capitole et l’honneur de ceindre ton front de ses premières branches, Colinus, si tu sais être sage, mets à profit tous tes jours, et songe sans cesse que le dernier est arrivé pour toi. Personne encore n’a pu fléchir les trois fileuses : elles sont inexorables au jour qu’elles ont fixé. Quand tu serais plus riche que Crispus, plus inébranlable que Thraséas lui-même, plus élégant que le brillant Melior, Lachésis n’ajoute rien à sa tâche, elle dévide les fuseaux de ses sœurs, et l’une des trois coupe toujours le fil.
Parce que tu fais de riches dons à des vieillards et à des veuves, tu veux, Gargilianus, que je t’appelle généreux. Rien de plus sordide, de plus ignoble que toi, qui seul as l’impudence de donner le nom de cadeaux aux pièges que tu tends. Ainsi l’hameçon trompeur attire les poissons avides ; ainsi une nourriture perfide abuse les hôtes des forêts. Je t’apprendrai, si tu l’ignores, ce que c’est qu’être grand et libéral : Gargilianus, fais-moi quelque présent.
Tandis que je suis retenu sur les rives enchanteresses du lac Lucrin, asile voluptueux dont les grottes sont chauffées par les sources que fait jaillir la pierre ponce, tu habites, Faustinus, le royal domaine du colon d’Argos, à vint milles de Rome. Mais la poitrine velue du monstre de Némée est embrasée, et ce n’est pas assez pour Baïes de brûler de ses propres feux. Adieu donc, fontaines sacrées, délicieux rivages, séjour des Nymphes, et des Néréides. Au temps brumeux de l’hiver, vous l’emportez sur les collines consacrées à Hercule ; mais dans cette saison, cédez à la fraîcheur qu’on respire à Tibur.
Tu pleures dans le mystère l’époux que tu as perdu, Galla : c’est sans doute, Galla, que, tu aurais honte de pleurer un homme.
Pendant le solstice, allons à Ardée et aux champs de Castium, ou dans les plaines brûlées par l’astre de Cléonée ; Curiatius a maudit le ciel de Tibur, lorsque, des eaux si vantées de ce séjour, il est descendu aux rives du Styx. Point de lieu sur la terre où l’on puisse éviter sa destinée ; quand la mort vient, la Sardaigne est au milieu de Tibur.
Gaiement et d’un air de triomphe, Mancinus tu te vantais dernièrement d’avoir reçu d’un ami deux cent mille sesterces. Il y a quatre jours, en causant, à l’assemblée des poètes, tu nous racontas que des habits, de ta valeur de dix mille sesterces, étaient un présent que t’avait fait Pompilla ; tu juras que Bassa et Célia t’avaient donné une véritable sardoine à trois couleurs, et deux aigues-marines. Hier, à ta sortie précipitée du théâtre, au moment où Pollion chantait, tu, nous apprenais, tout en courant, que tu venais d’hériter de trois cent mille sesterces ; ce matin, autre héritage de cent mille ; et, à midi, de cent mille encore. Quel mal si grand t’avons-nous donc fait, nous, tes amis ? De grâce, cruel, garde le silence ; ou, si ta maudite langue ne peut se taire, raconte-nous quelque chose que nous voulions entendre.
La noire Lycoris est partie pour Tibur, consacré à Hercule ; car elle s’imagine que là tout devient blanc.
Jules Martial possède, le long du mont Janicule, quelques arpents plus délicieux que les jardins des Hespérides. De vastes grottes s’étendent sur le penchant des collines, dont le sommet légèrement aplani jouit du ciel le plus serein, et d’une lumière qui brille pour lui seul, tandis que des nuages obscurcissent les profondeurs des vallées. Le front gracieux de cette habitation s’élève doucement vers les astres toujours purs. De là on peut distinguer les sept collines reines du monde, et embrasser Rome dans toute son étendue, les coteaux d’Albe, ceux de Tusculum, tous les frais bocages situés au-dessous de la ville, l’antique Fidènes, la petite Rubra, et les fertiles vergers d’Anna Perenna, où coula, à sa grande joie, le sang d’une vierge. Là, sur les voies Flaminia et Salaria, vous voyez circuler le voyageur, mais sans entendre le bruit du char qui le porte, pour que le fracas des roues ne trouble point un paisible sommeil qui n’est interrompu ni par les sifflements des matelots, ni par les clameurs des portefaix, malgré le voisinage du pont Milvius et la proximité des navires qui glissent rapidement sur la surface du Tibre sacré. Le mérite de cette campagne, ou plutôt de cette maison, comme il convient de l’appeler, est rehaussé par son maître ; tu la croirais à toi, tant l’accès en est facile, tant elle s’ouvre généreusement à la plus aimable hospitalité. Tu la prendrais pour les pieux pénates d’Alcinoüs, ou pour le temple de Molirchus, enrichi depuis peu. Quant à vous qui prisez assez médiocrement tous ces avantages, domptez avec vos cent charrues le sol frais de Tibur et de Préneste, confiez à un seul cultivateur tous les coteaux de Setia ; moi je préfère à ces domaines les quelques arpents de Jules Martial.
Linus, tu as toujours mené une vie provinciale, la plus basse, la plus vile du monde. Aux ides seulement, et quelquefois aux calendes, tu as secoué la poussière de ta misérable toge ; une seule robe de cérémonie t’a duré dix ans. Tes bois te fournissent le sanglier, tes terres le lièvre, sans qu’il t’en coûte rien ; une battue dans ta forêt te procure des grives bien grasses. On te pêche à souhait du poisson de rivière ; tes tonneaux te versent le vin rouge de ton cru. Tu ne tires pas de l’Argolide tes jeunes esclaves ; c’est une troupe de paysans grossiers qui se tient à tes ordres. Le dirai-je même ? La rustique ménagère de ton lourd fermier offre à tes étreintes ses robustes appas, toutes les fois que le vin a porté sa chaleur dans tes veines enflammées. Le feu n’a jamais endommagé tes maisons, ni le Sirius desséché tes champs ; aucun de tes vaisseaux n’a été englouti dans les ondes, ou plutôt tu n’en as aucun sur mer ; jamais les dés n’ont remplacé chez toi l’osselet inoffensif ; tout ce que tu as hasardé se réduit à quelques noix. Dis-nous donc ce qu’est devenu le million que t’a laissé une mère avare ? — Il n’existe plus. — C’est là, Linus, une énigme incompréhensible.
Lié avec Prétor de la plus vieille amitié, le pauvre Gaurus lui demandait cent sesterces ; cette somme, disait-il, manquait seule aux trois cents qu’il avait déjà ; avec elle il deviendrait légitimement chevalier et pourrait applaudir le maître de la terre. Prétor lui répond : « Tu sais que je dois en donner à Scorpus et à Thallus, et plût aux dieux que j’en eusse seulement cent mille à donner ! » Ah ! j’ai honte, oui j’ai honte de ce coffre-fort ingrat, et si mal à propos riche d’écus. Ce que tu refuses au chevalier, tu veux donc, Prétor, le donner au cheval ?
Pamphilus, tu sers toujours du vin de Setia ou de Massique mais le bruit public conteste la qualité de tes vins. On accuse ces bouteilles de t’avoir quatre fois rendu célibataire. Je n’en crois rien, je n’en veux rien croire, Pamphilus, mais je n’ai pas soif.
Le père d’Ammianus, en mourant, ne lui a laissé, par ses dernières dispositions, qu’une corde bien sèche. Maronillus, qui aurait jamais pensé qu’Ammianus n’eût pas souhaité la mort de son père ?
Depuis longtemps, Sophronius Rufus, je cherche dans Rome entière une jeune fille qui refuse ; et jamais un refus ! Comme si c’était un passe-droit, une honte, une injustice de refuser, aucune jeune fille ne refuse. Il n’y en a donc pas de chastes ? — Il y en a mille. — Que fait alors celle qui est chaste ? Elle ne donne pas, mais elle ne refuse pas non plus.
Tu exiges, Quintus, que je te fasse cadeau de mes œuvres. Je ne les ai point ; mais le libraire Tryphon les a. — Je donnerais de l’argent pour ces bagatelles et, sans être fou, j’achèterais tes vers ! je ne ferai pas, dis-tu, sottise pareille. — Ni moi.
Vois avec quelle intrépidité ces faibles daims s’élancent au combat ! vois quelle fureur agite de si timides animaux ! ils brûlent d’engager une lutte à mort en heurtant leurs petits fronts. Veux-tu, César, sauver ces daims ? Lâche contre eux une meute.
Tu m’as envoyé six mille sesterces, lorsque je t’en demandais douze mille ; pour en obtenir douze, je t’en demanderai vingt-quatre.
Jamais je n’ai demandé aux dieux les richesses ; content de peu, je me trouve heureux de ce que j’ai. Mais, pauvreté, de grâce, retire-toi. — Pourquoi ce souhait si subit, et si étrange ? — Je veux voir Zoïle se pendre.
Bien, que déjà tu aies rentré ta soixantième moisson, et que ton visage soit émaillé de mille poils blancs, tu vas courant à l’aventure dans toute la ville, et pas un siège auquel, chaque matin, tu ne portes assidûment tes salutations ; pas un tribun qui puisse sortir de chez lui sans t’avoir à sa suite. Tes soins officieux s’adressent encore aux deux consuls ; et dix fois le jour tu vas et reviens au palais impérial par la voie Sacrée ; tu fais sans cesse sonner les noms des Sigerius et des Parthenius. Crois-moi, laisse tout cela aux jeunes gens : rien, Afer, rien de plus ridicule qu’un vieillard ardélion (intrigant).
Mathon, tu étais l’hôte assidu de ma villa de Tibur : tu l’achètes ; je t’ai trompé, c’est ta maison que je te vends.
Tu as la fièvre, et tu déclames, Mathon : mais c’est de la frénésie ; et, si tu l’ignores, tu n’es pas dans ton bon sens, ami Mathon. Malade, tu déclames, tu déclames au milieu de ta fièvre demi-tierce. Si tu ne peux suer autrement, rien de mieux. — Déclamer, en cet état, est cependant chose difficile. — Erreur ! quand la fièvre embrase nos entrailles, le plus difficile, Mathon, c’est de se taire.
Après avoir lu l’épigramme où je me plains qu’aucune jeune fille ne refuse, Fabulla a rejeté une, deux, trois fois les prières de son amant. Fabulla, laisse-toi fléchir ; j’ai dit de refuser, je n’ai pas dit de refuser toujours.
Recommande aussi ces deux livres à Venuleius, et prie-le, Rufus, de m’accorder quelques instants de ses loisirs ; qu’oubliant un peu ses soucis et ses affaires, il prête à mes bagatelles une oreille indulgente. Toutefois, qu’il ne les lise pas après le premier ou le dernier service, mais au milieu du festin, lorsque Bacchus aime à livrer ses doux combats. Si la lecture de deux livres paraît trop longue, roule l’un des deux ; ainsi partagé, l’ouvrage deviendra court.
Quand tu es tranquille, Névolus, rien de plus méchant que toi ; mais si tu es inquiet, tu deviens la bonté même. Tranquille, tu ne rends le salut à personne, tu dédaignes tout le monde ; nul homme n’est libre, nul n’est bien né à tes yeux. Inquiet, tu fais des présents, tu salues celui-ci du nom de maître, celui-là du nom de roi ; tu invites les gens à souper : Névolus, sois donc inquiet.
Nous buvons dans du verre, toi, Ponticus, dans une coupe de myrrhe. Pourquoi donc ? — De peur que la transparence du vase ne trahisse la différence des vins.
Fabullus, Bassa ta maîtresse place toujours auprès d’elle un enfant qu’elle appelle son joujou, ses délices ; et, ce qu’il y a de plus surprenant, elle n’aime pas les enfants. Quel est donc son motif ? — Bassa est sujette aux vents.
Tu me demandes ce que je fais à la campagne ; voici ma réponse en peu de mots : au point du jour, j’adresse aux dieux mes prières ; je visite mes champs, mes serviteurs, et j’assigne à chacun sa part de travail proportionnée. Ensuite je lis, j’invoque Apollon, je réveille ma muse. Puis, je frotte mes membres d’huile, et je me livre volontiers à l’exercice agréable de la palestre, le cœur gai et sans craindre l’usurier. Je dîne, je bois, je chante, je joue, je me baigne, je soupe, je me repose. A la faible lueur de ma petite lampe, c’est sous l’inspiration des Muses et de la nuit que j’écris ces vers.
Holà ! c’est assez ; holà ! petit livre ! nous voici parvenus au bas du rouleau : tu voudrais avancer encore, aller plus loin, et tes marges même te paraissent insuffisantes. On dirait que rien n’est fini pour toi, lorsque tout est fini dès la première page. Déjà le lecteur s’impatiente et se lasse ; le copiste lui-même te crie : Holà ! halte donc : c’est assez ; holà ! petit livre