Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Époques de la nature/Notes justificatives

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Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome II, Époques de la naturep. 136-186).



NOTES JUSTIFICATIVES
DES FAITS RAPPORTÉS
DANS LES ÉPOQUES DE LA NATURE



SUR LE PREMIER DISCOURS.

(1) Page 25, ligne 5. La chaleur propre et intérieure de la terre paraît augmenter à mesure que l’on descend[NdÉ 1].

« Il ne faut pas creuser bien avant pour trouver d’abord une chaleur constante et qui ne varie plus, quelle que soit la température de l’air à la surface de la terre. On sait que la liqueur du thermomètre se soutient toujours sensiblement pendant toute l’année à la même hauteur dans les caves de l’Observatoire, qui n’ont pourtant que 84 pieds ou 14 toises de profondeur depuis le rez-de-chaussée. C’est pourquoi l’on fixe à ce point la hauteur moyenne ou tempérée de notre climat. Cette chaleur se soutient encore ordinairement et à peu de chose près la même, depuis une semblable profondeur de 14 ou 15 toises jusqu’à 60, 80 ou 100 toises et au delà, plus ou moins, selon les circonstances, comme on l’éprouve dans les mines ; après quoi elle augmente et devient quelquefois si grande que les ouvriers ne sauraient y tenir et y vivre, si on ne leur procurait pas quelques rafraîchissements et un nouvel air, soit par des puits de respiration, soit par des chutes d’eau… M. de Gensanne a éprouvé dans les mines de Giromagny, à trois lieues de Béfort, que le thermomètre, étant porté à 52 toises de profondeur verticale, se soutint à 10 degrés, comme dans les caves de l’Observatoire ; qu’à 106 toises de profondeur, il était à 10 1/2 degrés ; qu’à 158 toises, il monta à 15 1/5 degrés, et qu’à 222 toises de profondeur, il s’éleva à 18 1/6 degrés. » Dissertation sur la glace, par M. de Mairan. Paris, 1749, in-12, pages 60 et suivantes.

« Plus on descend à de grandes profondeurs dans l’intérieur de la terre, dit ailleurs M. de Gensanne, plus on éprouve une chaleur sensible, qui va toujours en augmentant à mesure qu’on descend plus bas : cela est au point qu’à 1 800 pieds de profondeur au-dessous du sol du Rhin, pris à Huningue en Alsace, j’ai trouvé que la chaleur est déjà assez forte pour causer à l’eau une évaporation sensible. On peut voir le détail de mes expériences à ce sujet dans la dernière édition de l’excellent Traité de la glace, de feu mon illustre ami M. Dortous de Mairan. » Histoire naturelle du Languedoc, tome Ier, page 24.

« Tous les filons riches des mines de toute espèce, dit M. Eller, sont dans les fentes perpendiculaires de la terre, et l’on ne saurait déterminer la profondeur de ces fentes : il y en a en Allemagne où l’on descend au delà de 600 perches (lachters)[1] ; à mesure que les mineurs descendent, ils rencontrent une température d’air toujours plus chaude. » Mémoire sur la génération des métaux. Académie de Berlin, année 1733.


(2) Page 6, ligne 11. La température de l’eau de la mer est à peu près égale à celle de l’intérieur de la terre à la même profondeur. « Ayant plongé un thermomètre dans la mer en différents lieux et en différents temps, il s’est trouvé que la température à 10, 20, 30 et 120 brasses, était également de 10 degrés ou 10 3/4 degrés. » Voyez l’Histoire physique de la mer, par Marsigli, page 16… M. de Mairan fait à ce sujet une remarque très judicieuse : « C’est que les eaux les plus chaudes, qui sont à la plus grande profondeur, doivent, comme plus légères, monter continuellement au-dessus de celles qui le sont le moins, ce qui donnera à cette grande couche liquide du globe terrestre une température à peu près égale, conformément aux observations de Marsigli, excepté vers la superficie actuellement exposée aux impressions de l’air, et où l’eau se gèle quelquefois avant que d’avoir eu le temps de descendre par son poids et son refroidissement. » Dissertation sur la glace, page 69.


(3) Page 6, ligne 14. La lumière du soleil ne pénètre tout au plus qu’à 600 pieds de profondeur dans l’eau de la mer. Feu M. Bouguer, savant astronome, de l’Académie royale des sciences, a observé qu’avec seize morceaux de verre ordinaire dont on fait les vitres, appliqués les uns contre les autres, et faisant en tout une épaisseur de 9 1/2 lignes, la lumière, passant au travers de ces seize morceaux de verre, diminuait deux cent quarante-sept fois, c’est-à-dire qu’elle était deux cent quarante-sept fois plus faible qu’avant d’avoir traversé ces seize morceaux de verre ; ensuite il a placé soixante-quatorze morceaux de ce même verre à quelque distance les uns des autres dans un tuyau, pour diminuer la lumière du soleil, jusqu’à extinction : cet astre était à 50 degrés de hauteur sur l’horizon lorsqu’il fit cette expérience ; et les soixante-quatorze morceaux de verre ne l’empêchaient pas de voir encore quelque apparence de son disque. Plusieurs personnes qui étaient avec lui voyaient aussi une faible lueur, qu’ils ne distinguaient qu’avec peine, et qui s’évanouissait aussitôt que leurs yeux n’étaient pas tout à fait dans l’obscurité : mais lorsqu’on eut ajouté trois morceaux de verre aux soixante-quatorze premiers, aucun des assistants ne vit plus la moindre lumière ; en sorte qu’en supposant quatre-vingts morceaux de ce même verre, on a l’épaisseur de verre nécessaire pour qu’il n’y ait plus aucune transparence par rapport aux vues même les plus délicates ; et M. Bouguer trouve, par un calcul assez facile, que la lumière du soleil est alors rendue 900 milliards de fois plus faible : aussi toute matière transparente qui, par sa grande épaisseur, fera diminuer la lumière du soleil 900 milliards de fois, perdra dès lors toute sa transparence.

En appliquant cette règle à l’eau de la mer, qui de toutes les eaux est la plus limpide, M. Bouguer a trouvé que, pour perdre toute sa transparence, il faut 256 pieds d’épaisseur, attendu que, par une autre expérience, la lumière d’un flambeau avait diminué dans le rapport de 14 à 5, en traversant 115 pouces d’épaisseur d’eau de mer contenue dans un canal de 9 pieds 7 pouces de longueur, et que, par un calcul qu’on ne peut contester, elle doit perdre toute transparence à 256 pieds. Ainsi, selon M. Bouguer, il ne doit passer aucune lumière sensible au delà de 256 pieds dans la profondeur de l’eau. Essai d’optique sur la gradation de la lumière. Paris, 1729, page 85, in-12.

Cependant, il me semble que ce résultat de M. Bouguer s’éloigne encore beaucoup de la réalité ; il serait à désirer qu’il eût fait ses expériences avec des masses de verre de différente épaisseur, et non pas avec des morceaux de verre mis les uns sur les autres ; je suis persuadé que la lumière du soleil aurait percé une plus grande épaisseur que celle de ces quatre-vingts morceaux, qui, tous ensemble, ne formaient que 47 lignes, c’est-à-dire à peu près 4 pouces : or, quoique ces morceaux dont il s’est servi fussent de verre commun, il est certain qu’une masse solide de 4 pouces d’épaisseur de ce même verre, n’aurait pas entièrement intercepté la lumière du soleil, d’autant que je me suis assuré, par ma propre expérience, qu’une épaisseur de 6 pouces de verre blanc la laisse passer encore assez vivement, comme on le verra dans la note suivante. Je crois donc qu’on doit plus que doubler les épaisseurs données par M. Bouguer, et que la lumière du soleil pénètre au moins à 600 pieds à travers l’eau de la mer ; car il y a une seconde inattention dans les expériences de ce savant physicien, c’est de n’avoir pas fait passer la lumière du soleil à travers son tuyau rempli d’eau de mer, de 9 pieds 7 pouces de longueur ; il s’est contenté d’y faire passer la lumière d’un flambeau, et il en a conclu la diminution dans le rapport de 14 à 5 : or, je suis persuadé que cette diminution n’aurait pas été si grande sur la lumière du soleil, d’autant que celle du flambeau ne pouvait passer qu’obliquement, au lieu que celle du soleil, passant directement, aurait été plus pénétrante par la seule incidence, indépendamment de sa pureté et de son intensité. Ainsi, tout bien considéré, il me paraît que, pour approcher le plus près qu’il est possible de la vérité, on doit supposer que la lumière du soleil pénètre dans le sein de la mer jusqu’à 110 toises ou 600 pieds de profondeur, et la chaleur jusqu’à 150 pieds. Ce n’est pas à dire pour cela qu’il ne passe encore au delà quelques atomes de lumière et de chaleur ; mais seulement que leur effet serait absolument insensible, et ne pourrait être reconnu par aucun de nos sens.


(4) Page 6, ligne 16. La chaleur du soleil ne pénètre peut-être pas à plus de 150 pieds de profondeur dans l’eau de la mer. Je crois être assuré de cette vérité par une analogie tirée d’une expérience qui me paraît décisive : avec une loupe de verre massif de 27 pouces de diamètre sur 6 pouces d’épaisseur à son centre, je me suis aperçu, en couvrant la partie du milieu, que cette loupe ne brûlait, pour ainsi dire, que par les bords, jusqu’à 4 pouces d’épaisseur, et que toute la partie plus épaisse ne produisait presque point de chaleur ; ensuite, ayant couvert toute cette loupe, à l’exception de 1 pouce d’ouverture sur son centre, j’ai reconnu que la lumière du soleil était si fort affaiblie après avoir traversé cette épaisseur de 6 pouces de verre, qu’elle ne produisait aucun effet sur le thermomètre. Je suis donc bien fondé à présumer que cette même lumière affaiblie par 150 pieds d’épaisseur d’eau, ne donnerait pas un degré de chaleur sensible.

La lumière que la lune réfléchit à nos yeux est certainement la lumière réfléchie du soleil ; cependant cette lumière n’a point de chaleur sensible, et même lorsqu’on la concentre au foyer d’un miroir ardent, qui augmente prodigieusement la chaleur du soleil, cette lumière réfléchie par la lune n’a point encore de chaleur sensible ; et celle du soleil n’aura pas plus de chaleur, dès qu’en traversant une certaine épaisseur d’eau, elle deviendra aussi faible que celle de la lune. Je suis donc persuadé qu’en laissant passer les rayons du soleil dans un large tuyau rempli d’eau, de 50 pieds de longueur seulement, ce qui n’est que le tiers de l’épaisseur que j’ai supposée, cette lumière affaiblie ne produirait sur un thermomètre aucun effet, en supposant même la liqueur du thermomètre au point de congélation ; d’où j’ai cru pouvoir conclure que, quoique la lumière du soleil perce jusqu’à 600 pieds dans le sein de la mer, sa chaleur ne pénètre pas au quart de cette profondeur.


(5) Page 7, ligne 4. Toutes les matières du globe sont de la nature du verre. Cette vérité générale, que nous pouvons démontrer par l’expérience, a été soupçonnée par Leibnitz, philosophe dont le nom fera toujours grand honneur à l’Allemagne. « Sanè plerisque creditum et a sacris etiam scriptoribus insinuatum est, conditos in abdito telluris ignis thesauros… Adjuvant vultus ; nam omnis ex fusione scoriæ vitri est genus… Talem verò esse globi nostri superficiem (neque enim ultrà penetrare nobis datum) reapse experimur ; omnes enim terræ et lapides igne vitrum reddunt… nobis satis est admoto igne omnia terrestria in vitro finiri. Ipsa magna telluris ossa nudæque illæ rupes atque immortales silices cum tota ferè in vitrum abeant, quid nisi concreta sunt ex fusis olim corporibus et primâ illâ magnâque vi quam in facilem adhuc materiam exercuit ignis naturæ… cum igitur omniaque non avolant in auras, tandem funduntur et speculorum imprimis urentium ope vitri naturam sumant, hinc facilè intelliges vitrum esse velut terræ basin et naturam ejus cæterorum plerumque corporum larvis latere. » G. G. Leibnitii Protogæa. Goettingæ, 1749, pages 4 et 5.


(6) Page 7, ligne 21. Toutes les matières terrestres ont le verre pour base et peuvent être réduites en verre par le moyen du feu. J’avoue qu’il y a quelques matières que le feu de nos fourneaux ne peut réduire en verre, mais, au moyen d’un bon miroir ardent, ces mêmes matières s’y réduiront : ce n’est point ici le lieu de rapporter les expériences faites avec les miroirs de mon invention, dont la chaleur est assez grande pour volatiliser ou vitrifier toutes les matières exposées à leur foyer. Mais il est vrai que jusqu’à ce jour l’on n’a pas encore eu des miroirs assez puissants pour réduire en verre certaines matières du genre vitrescible, telles que le cristal de roche, le silex ou la pierre à fusil ; ce n’est donc pas que ces matières ne soient par leur nature réductibles en verre comme les autres, mais seulement qu’elles exigent un feu plus violent.


(7) Page 14, ligne 9. Les os et les défenses de ces anciens éléphants sont au moins aussi grands et aussi gros que ceux des éléphants actuels. On peut s’en assurer par les descriptions et les dimensions qu’en a données M. Daubenton, à l’article de l’éléphant ; mais depuis ce temps, on m’a envoyé une défense entière et quelques autres morceaux d’ivoire fossile, dont les dimensions excèdent de beaucoup la longueur et la grosseur ordinaire des défenses de l’éléphant ; j’ai même fait chercher chez tous les marchands de Paris qui vendent de l’ivoire : on n’a trouvé aucune défense comparable à celle-ci, et il ne s’en est trouvé qu’une seule, sur un très grand nombre, égale à celles qui nous sont venues de Sibérie, dont la circonférence est de 19 pouces à la base. Les marchands appellent ivoire cru celui qui n’a pas été dans la terre, et que l’on prend sur les éléphants vivants ou qu’on trouve dans les forêts avec les squelettes récents de ces animaux ; et ils donnent le nom d’ivoire cuit à celui qu’on tire de la terre, et dont la qualité se dénature plus ou moins par un plus ou moins long séjour, ou par la qualité plus ou moins active des terres où il a été renfermé. La plupart des défenses qui nous sont venues du Nord sont encore d’un ivoire très solide, dont on pourrait faire de beaux ouvrages ; les plus grosses nous ont été envoyées par M. de l’Isle, astronome, de l’Académie royale des sciences : il les a recueillies dans son voyage en Sibérie. Il n’y avait dans tous les magasins de Paris qu’une seule défense d’ivoire cru qui eût 19 pouces de circonférence ; toutes les autres étaient plus menues : cette grosse défense avait 6 pieds 1 pouce de longueur, et il paraît que celles qui sont au Cabinet du Roi, et qui ont été trouvées en Sibérie, avaient plus de 6 pieds lorsqu’elles étaient entières ; mais comme les extrémités en sont tronquées, on ne peut en juger qu’à peu près.

Et si l’on compare les os fémurs, trouvés de même dans les terres du Nord, on s’assurera qu’ils sont au moins aussi longs et considérablement plus épais que ceux des éléphants actuels.

Au reste, nous avons, comme je l’ai dit, comparé exactement les os et les défenses qui nous sont venus de Sibérie aux os et aux défenses d’un squelette d’éléphant, et nous avons reconnu évidemment que tous ces ossements sont des dépouilles de ces animaux. Les défenses venues de Sibérie ont non seulement la figure, mais aussi la vraie structure de l’ivoire de l’éléphant, dont M. Daubenton donne la description dans les termes suivants :

« Lorsqu’une défense d’éléphant est coupée transversalement, on voit au centre, ou à peu près au centre, un point noir qui est appelé le cœur ; mais si la défense a été coupée à l’endroit de sa cavité, il n’y a au centre qu’un trou rond ou ovale : on aperçoit des lignes courbes qui s’étendent en sens contraires, depuis le centre à la circonférence, et qui, se croisant, forment de petits losanges ; il y a ordinairement à la circonférence une bande étroite et circulaire : les lignes courbes se ramifient à mesure qu’elles s’éloignent du centre : et le nombre de ces lignes est d’autant plus grand, qu’elles approchent plus de la circonférence ; ainsi la grandeur des losanges est presque partout à peu près la même : leurs côtés, ou au moins leurs angles, ont une couleur plus vive que l’aire, sans doute parce que leur substance est plus compacte : la bande de la circonférence est quelquefois composée de fibres droites et transversales, qui aboutiraient au centre si elles étaient prolongées ; c’est l’apparence de ces lignes et de ces points que l’on regarde comme le grain de l’ivoire : on l’aperçoit dans tous les ivoires, mais il est plus ou moins sensible dans les différentes défenses ; et parmi les ivoires dont le grain est assez apparent pour qu’on leur donne le nom d’ivoire grenu, il y en a que l’on appelle ivoire à gros grain, pour le distinguer de l’ivoire dont le grain est fin. » Voyez l’Histoire naturelle, à l’article Éléphant, et les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762.


(8) Page 14, ligne 17. Le seul état de captivité aurait réduit ces éléphants au quart ou au tiers de leur grandeur. Cela nous est démontré par la comparaison que nous avons faite du squelette entier d’un éléphant qui est au Cabinet du Roi, et qui avait vécu seize ans dans la ménagerie de Versailles, avec les défenses des autres éléphants dans leur natal : ce squelette et ces défenses, quoique considérables par la grandeur, sont certainement de moitié plus petits pour le volume, que ne le sont les défenses et les squelettes de ceux qui vivent en liberté, soit dans l’Asie, soit en Afrique, et en même temps ils sont au moins de deux tiers plus petits que les ossements de ces mêmes animaux trouvés en Sibérie.


(9) Page 16, ligne 28. On trouve des défenses et des ossements d’éléphants, non seulement en Sibérie, en Russie et au Canada, mais encore en Pologne, en Allemagne, en France, en Italie. Indépendamment de tous les morceaux qui nous ont été envoyés de Russie et de Sibérie, et que nous conservons au Cabinet du Roi, il y en a plusieurs autres dans les cabinets des particuliers de Paris ; il y en a un grand nombre dans le Museum de Pétersbourg, comme on peut le voir dans le catalogue qui en a été imprimé dès l’année 1742 ; il y en a de même dans le Museum de Londres, dans celui de Copenhague, et dans quelques autres collections, en Angleterre, en Allemagne et en Italie ; on a même fait plusieurs ouvrages de tour avec cet ivoire trouvé dans les terres du Nord ; ainsi l’on ne peut douter de la grande quantité de ces dépouilles d’éléphants en Sibérie et en Russie.

M. Pallas, savant naturaliste, a trouvé dans son voyage en Sibérie, ces années dernières, une grande quantité d’ossements d’éléphants, et un squelette entier de rhinocéros, qui n’était enfoui qu’à quelques pieds de profondeur.

« On vient de découvrir des os monstrueux d’éléphants à Swijatoki, à 17 verstes de Pétersbourg ; on les a tirés d’un terrain inondé depuis longtemps. On ne peut donc plus douter de la prodigieuse révolution qui a changé le climat, les productions et les animaux de toutes les contrées de la terre. Ces médailles naturelles prouvent que les pays, dévastés aujourd’hui par la rigueur du froid, ont eu autrefois tous les avantages du midi. » Journal de politique et de littérature, 5 janvier 1776, article de Pétersbourg.

La découverte des squelettes et des défenses d’éléphants dans le Canada est assez récente, et j’en ai été informé des premiers, par une lettre de feu M. Collinson, membre de la Société royale de Londres. Voici la traduction de cette lettre :

« M. George Croghan nous a assuré que dans le cours de ses voyages, en 1765 et 1766, dans les contrées voisines de la rivière d’Ohio, environ à 4 milles sud-est de cette rivière, éloignée de 640 milles du fort de Quesne (que nous appelons maintenant Pitsburgh), il a vu, aux environs d’un grand marais salé, où les animaux sauvages s’assemblent en certain temps de l’année, de grands os et de grosses dents ; et qu’ayant examiné cette place avec soin, il a découvert, sur un banc élevé du côté du marais, un nombre prodigieux d’os de très grands animaux, et que, par la longueur et la forme de ces os et de ces défenses, on doit conclure que ce sont des os d’éléphants.

» Mais les grosses dents que je vous envoie, Monsieur, ont été trouvées avec ces défenses ; d’autres, encore plus grandes que celles-ci, paraissent indiquer et même démontrer qu’elles n’appartiennent pas à des éléphants. Comment concilier ce paradoxe ? Ne pourrait-on pas supposer qu’il a existé autrefois un grand animal qui avait les défenses de l’éléphant et les mâchelières de l’hippopotame ? car ces grosses dents mâchelières sont très différentes de celles de l’éléphant. M. Croghan pense, d’après la grande quantité de ces différentes sortes de dents, c’est-à-dire des défenses et des dents molaires qu’il a observées dans cet endroit, qu’il y avait au moins trente de ces animaux. Cependant les éléphants n’étaient point connus en Amérique, et probablement ils n’ont pu y être apportés d’Asie : l’impossibilité qu’ils ont à vivre dans ces contrées, à cause de la rigueur des hivers, et où cependant on trouve une si grande quantité de leurs os, fait encore un paradoxe, que votre éminente sagacité doit déterminer.

» M. Croghan a envoyé à Londres, au mois de février 1767, les os et les dents qu’il avait rassemblés dans les années 1765 et 1766 :

» 1o À mylord Shelburne, deux grandes défenses dont une était bien entière et avait près de 7 pieds de long (6 pieds 7 pouces de France) ; l’épaisseur était comme celle d’une défense ordinaire d’un éléphant qui aurait cette longueur.

» 2o Une mâchoire avec deux dents mâchelières qui y tenaient, et outre cela plusieurs très grosses dents mâchelières séparées.

» Au docteur Franklin : 1o trois défenses d’éléphant, dont une d’environ 6 pieds de long, était cassée par la moitié, gâtée ou rongée au centre, et semblable à de la craie ; les autres étaient très saines, le bout de l’une des deux était aiguisée en pointe et d’un très bel ivoire.

» 2o Une petite défense d’environ trois pieds de long, grosse comme le bras, avec les alvéoles qui reçoivent les muscles et les tendons, qui étaient d’une couleur marron luisante, laquelle avait l’air aussi fraîche que si on venait de la tirer de la tête de l’animal.

» 3o Quatre mâchelières, dont l’une des plus grandes avait plus de largeur et un rang de pointes de plus que celles que je vous ai envoyées. Vous pouvez être assuré que toutes celles qui ont été envoyées à mylord Shelburne et à M. Franklin étaient de la même forme et avaient le même émail que celles que je mets sous vos yeux.

» Le docteur Franklin a dîné dernièrement avec un officier qui a rapporté de cette même place, voisine de la rivière d’Ohio, une défense plus blanche, plus luisante, plus unie que toutes les autres, et une mâchelière encore plus grande que toutes celles dont je viens de faire mention. » Lettre de M. Collison à M. de Buffon, datée de Mill-hill, près de Londres, le 3 juillet 1767.

Extrait du Journal du voyage de M. Croghan, fait sur la rivière d’Ohio et envoyé à M. Franklin au mois de mai 1765.

« Nous avons passé la grande rivière de Miame, et le soir nous sommes arrivés à l’endroit où l’on a trouvé des os d’éléphants ; il peut y avoir 640 milles de distance du fort Pitt. Dans la matinée, j’allai voir la grande place marécageuse où les animaux sauvages se rendent dans de certains temps de l’année ; nous arrivâmes à cet endroit par une route battue par les bœufs sauvages (bisons), éloigné d’environ quatre milles au sud-est du fleuve Ohio. Nous vîmes de nos yeux qu’il se trouve dans ces lieux une grande quantité d’ossements, les uns épars, les autres enterrés à cinq ou six pieds sous terre, que nous vîmes dans l’épaisseur du banc de terre qui borde cette espèce de route. Nous trouvâmes là deux défenses de six pieds de longueur, que nous transportâmes à notre bord, avec d’autres os et des dents ; et, l’année suivante, nous retournâmes au même endroit prendre encore un plus grand nombre d’autres défenses et d’autres dents.

» Si M. de Buffon avait des doutes et des questions à faire sur cela, je le prie, dit M. Collinson, de me les envoyer : je ferais passer sa lettre à M. Croghan, homme très honnête et éclairé, qui serait charmé de satisfaire à ses questions. » Ce petit mémoire était joint à la lettre que je viens de citer, et à laquelle je vais ajouter l’extrait de ce que M. Collinson m’avait écrit auparavant, au sujet de ces mêmes ossements trouvés en Amérique.

« Il y avait, à environ un mille et demi de la rivière d’Ohio, six squelettes monstrueux enterrés debout, portant des défenses de cinq à six pieds de long, qui étaient de la forme et de la substance des défenses d’éléphants ; elles avaient trente pouces de circonférence à la racine ; elles allaient en s’amincissant jusqu’à la pointe ; mais on ne peut pas bien connaître comment elles étaient jointes à la mâchoire, parce qu’elles étaient brisées en pièces ; un fémur de ces mêmes animaux fut trouvé bien entier : il pesait cent livres, et avait 4 1/2 pieds de long : ces défenses et ces os de la cuisse font voir que l’animal était d’une prodigieuse grandeur. Ces faits ont été confirmés par M. Greenwood, qui, ayant été sur les lieux, a vu les six squelettes dans le marais salé ; il a de plus trouvé dans le même lieu de grosses dents mâchelières, qui ne paraissent pas appartenir à l’éléphant, mais plutôt à l’hippopotame ; et il a rapporté quelques-unes de ces dents à Londres, deux entre autres qui pesaient ensemble 9 1/4 livres. Il dit que l’os de la mâchoire avait près de trois pieds de longueur, et qu’il était trop lourd pour être porté par deux hommes : il avait mesuré l’intervalle entre l’orbite des deux yeux, qui était de 12 pouces. Une Anglaise faite prisonnière par les sauvages, et conduite à ce marais salé pour leur apprendre à faire du sel en faisant évaporer l’eau, a déclaré se souvenir, par une circonstance singulière, d’avoir vu ces ossements énormes ; elle racontait que trois Français, qui cassaient des noix, étaient tous trois assis sur un seul de ces grands os de la cuisse. »

Quelque temps après m’avoir écrit ces lettres, M. Collinson lut à la Société royale de Londres deux petits mémoires sur ce même sujet et dans lesquels j’ai trouvé quelques faits de plus que je vais rapporter, en y joignant un mot d’explication sur les choses qui en ont besoin.

« Le marais salé l’on a trouvé les os d’éléphants n’est qu’à quatre milles de distance des bords de la rivière d’Ohio, mais il est éloigné de plus de sept cents milles de la plus prochaine côte de la mer. Il y avait un chemin frayé par les bœufs sauvages (bisons), assez large pour deux chariots de front, qui menait droit à la place de ce grand marais salé où ces animaux se rendent, aussi bien que toutes les espèces de cerfs et de chevreuils, dans une certaine saison de l’année, pour lécher la terre et boire de l’eau salée… Les ossements d’éléphants se trouvent sous une espèce de levée ou plutôt sous la rive qui entoure et surmonte le marais à cinq ou six pieds de hauteur ; on y voit un très grand nombre d’os et de dents qui ont appartenu à quelques animaux d’une grosseur prodigieuse ; il y a des défenses de sept pieds de longueur, et qui sont d’un très bel ivoire ; on ne peut donc guère douter qu’elles n’aient appartenu à des éléphants ; mais ce qu’il y a de singulier, c’est que jusqu’ici l’on n’a trouvé parmi ces défenses aucune dent molaire ou mâchelière d’éléphant, mais seulement un grand nombre de grosses dents dont chacune porte cinq ou six pointes mousses, lesquelles ne peuvent avoir appartenu qu’à quelque animal d’une énorme grandeur, et ces grosses dents carrées n’ont point de ressemblance aux mâchelières de l’éléphant, qui sont aplaties, et quatre ou cinq fois aussi larges qu’épaisses ; en sorte que ces grosses dents molaires ne ressemblent aux dents d’aucun animal connu. » Ce que dit ici M. Collinson est très vrai : ces grosses dents molaires diffèrent absolument des dents mâchelières de l’éléphant, et en les comparant à celles de l’hippopotame, auxquelles ces grosses dents ressemblent par leur forme carrée, on verra qu’elles en diffèrent aussi par leur grosseur, étant deux, trois ou quatre fois plus volumineuses que les plus grosses dents des anciens hippopotames trouvées de même en Sibérie et au Canada, quoique ces dents soient elles-mêmes trois ou quatre fois plus grosses que celles des hippopotames actuellement existants. Toutes les dents que j’ai observées dans quatre têtes de ces animaux, qui sont au Cabinet du Roi, ont la face qui broie creusée en forme de trèfle, et celles qui ont été trouvées au Canada et en Sibérie ont ce même caractère et n’en diffèrent que par la grandeur ; mais ces énormes dents à grosses pointes mousses diffèrent de celles de l’hippopotame creusées en trèfle, ont toujours quatre et quelquefois cinq rangs, au lieu que les plus grosses dents des hippopotames n’en ont que trois, comme on peut le voir en comparant les figures des planches I, III et IV, avec celles de la planche V. Il paraît donc certain que ces grosses dents n’ont jamais appartenu à l’éléphant ni à l’hippopotame ; la différence de grandeur, quoique énorme, ne m’empêcherait pas de les regarder comme appartenant à cette dernière espèce, si tous les caractères de la forme étaient semblables, puisque nous connaissons, comme je viens de le dire, d’autres dents carrées, trois ou quatre fois plus grosses que celles de nos hippopotames actuels, et qui néanmoins ayant les mêmes caractères pour la forme, et particulièrement les creux en trèfle sur la face qui broie, sont certainement des dents d’hippopotames trois fois plus grands que ceux dont nous avons les têtes[NdÉ 2] ; et c’est de ces grosses dents (pl. V), qui sont vraiment des dents d’hippopotames, dont j’ai parlé, lorsque j’ai dit qu’il s’en trouvait également dans les deux continents aussi bien que des défenses d’éléphants ; mais ce qu’il y a de très remarquable, c’est que non seulement on a trouvé de vraies défenses d’éléphants et de vraies dents de gros hippopotames en Sibérie et au Canada, mais qu’on y a trouvé de même ces dents beaucoup plus énormes à grosses pointes mousses et à quatre rangs ; je crois donc pouvoir prononcer avec fondement que cette très grande espèce d’animal est perdue.

M. le comte de Vergennes, ministre et secrétaire d’État, a eu la bonté de me donner, en 1770, la plus grosse de toutes ces dents, laquelle est représentée (pl. I et II) ; elle pèse onze livres quatre onces ; cette énorme dent molaire a été trouvée dans la Petite-Tartarie en faisant un fossé ; il y avait d’autres os qu’on n’a pas recueillis, et entre autres un os fémur dont il ne restait que la moitié bien entière, et la cavité de cette moitié contenait quinze pintes de Paris. M. l’abbé Chappe, de l’Académie des sciences, nous a rapporté de Sibérie une autre dent toute pareille, mais moins grosse, et qui ne pèse que 3 livres 12 onces 1/2 (pl. III, fig. 1 et 2). Enfin, la plus grosse de celles que M. Collinson m’avait envoyées, et qui est représentée (pl. IV), a été trouvée avec plusieurs autres semblables en Amérique, près de la rivière d’Ohio ; et d’autres qui nous sont venues du Canada leur ressemblent parfaitement. L’on ne peut donc pas douter qu’indépendamment de l’éléphant et de l’hippopotame, dont on trouve également les dépouilles dans les deux continents, il n’y eût encore un autre animal commun aux deux continents d’une grandeur supérieure à celle même des plus grands éléphants ; car la forme carrée de ces énormes dents mâchelières prouve qu’elles étaient en nombre dans la mâchoire de l’animal, et quand on n’y en supposerait six ou même quatre de chaque côté, on peut juger de l’énormité d’une tête qui aurait au moins seize dents mâchelières pesant chacune dix ou onze livres[NdÉ 3]. L’éléphant n’en a que quatre, deux de chaque côté[NdÉ 4] ; elles sont aplaties, elles occupent tout l’espace de la mâchoire, et ces deux dents molaires de l’éléphant fort aplaties ne surpassent que de deux pouces la largeur de la plus grosse dent carrée de l’animal inconnu, qui est du double plus épaisse que celle de l’éléphant : ainsi tout nous porte à croire que cette ancienne espèce, qu’on doit regarder comme la première et la plus grande de tous les animaux terrestres, n’a subsisté que dans les premiers temps et n’est pas parvenue jusqu’à nous ; car un animal dont l’espèce serait plus grande que celle de l’éléphant, ne pourrait se cacher nulle part sur la terre au point de demeurer inconnu ; et, d’ailleurs, il est évident par la forme même de ces dents, par leur émail et par la disposition de leurs racines, qu’elles n’ont aucun rapport aux dents des cachalots ou autres cétacés et qu’elles ont réellement appartenu à un animal terrestre dont l’espèce était plus voisine de celle de l’hippopotame que d’aucune autre.

Dans la suite du mémoire que j’ai cité ci-dessus, M. Collinson dit que plusieurs personnes de la Société royale connaissent aussi bien que lui les défenses d’éléphant que l’on trouve tous les ans en Sibérie sur les bords du fleuve Obi et des autres rivières de cette contrée. Quel système établira-t-on, ajoute-t-il avec quelque degré de probabilité, pour rendre raison de ces dépôts d’ossements d’éléphants en Sibérie et en Amérique ? Il finit par donner l’énumération, les dimensions et le poids de toutes ces dents, trouvées dans le marais salé de la rivière d’Ohio, dont la plus grosse dent carrée appartenait au capitaine Ourry, et pesait six livres et demie.

Dans le second petit Mémoire de M. Collinson, lu à la Société royale de Londres, le 10 décembre 1767, il dit que, s’étant aperçu qu’une des défenses trouvées dans le marais salé avait des stries près du gros bout, il avait eu quelques doutes si ces stries étaient particulières ou non à l’espèce de l’éléphant : pour se satisfaire, il alla visiter le magasin d’un marchand qui fait commerce de dents de toutes espèces, et qu’après les avoir bien examinées il trouva qu’il y avait autant de défenses striées au gros bout que d’unies, et que par conséquent il ne faisait plus aucune difficulté de prononcer que ces défenses trouvées en Amérique ne fussent semblables à tous égards aux défenses des éléphants d’Afrique et d’Asie : mais, comme les grosses dents carrés trouvées dans le même lieu n’ont aucun rapport avec les dents molaires de l’éléphant, il pense que ce sont les restes de quelque animal énorme qui avait les défenses de l’éléphant, avec des dents molaires particulières à son espèce, laquelle est d’une grandeur et d’une forme différente de celle d’aucun animal connu. Voyez les Transactions philosophiques de l’année 1767.

Dès l’année 1748, M. Fabri, qui avait fait de grandes courses dans le nord de la Louisiane et dans le sud du Canada, m’avait informé qu’il avait vu des têtes et des squelettes d’un animal quadrupède d’une grandeur énorme, que les sauvages appelaient le père-aux-bœufs, et que les os fémurs de ces animaux avaient 5 et jusqu’à 6 pieds de hauteur. Peu de temps après, et avant l’année 1767, quelques personnes à Paris avaient déjà reçu quelques-unes des grosses dents de l’animal inconnu, d’autres d’hippopotames, et aussi des ossements d’éléphants trouvés en Canada : le nombre en est trop considérable pour qu’on puisse douter que ces animaux n’aient pas autrefois existé dans les terres septentrionales de l’Amérique, comme dans celles de l’Asie et de l’Europe.

Mais les éléphants ont aussi existé dans toutes les contrées tempérées de notre continent : j’ai fait mention des défenses trouvées en Languedoc, près de Simorre, et de celles trouvées à Cominges, en Gascogne ; je dois y ajouter la plus belle et la plus grande de toutes, qui nous a été donnée en dernier lieu pour le Cabinet du Roi, par M. le duc de La Rochefoucauld, dont le zèle pour le progrès des sciences est fondé sur les grandes connaissances qu’il a acquises dans tous les genres. Il a trouvé ce beau morceau en visitant, avec M. Desmarets, de l’Académie des sciences, les campagnes aux environs de Rome : cette défense était divisée en cinq fragments, que M. le duc de La Rochefoucauld fit recueillir ; l’un de ces fragments fut soustrait par le crocheteur qui en était chargé, et il n’en est resté que quatre, lesquels ont environ 8 pouces de diamètre ; en les rapprochant, ils forment une longueur de 7 pieds ; et nous savons par M. Desmarets que le cinquième fragment, qui a été perdu, avait près de 3 pieds : ainsi l’on peut assurer que la défense entière devait avoir environ 10 pieds de longueur. En examinant les cassures, nous y avons reconnu tous les caractères de l’ivoire de l’éléphant ; seulement cette ivoire, altéré par un long séjour dans la terre est devenu léger et friable comme les autres ivoires fossiles.

M. Tozzetti, savant naturaliste d’Italie, rapporte qu’on a trouvé, dans les vallées de l’Arno, des os d’éléphants et d’autres animaux terrestres en grande quantité, et épars çà et là dans les couches de la terre, et il dit qu’on peut conjecturer que les éléphants étaient anciennement des animaux indigènes à l’Europe, et surtout à la Toscane. — Extrait d’une lettre du docteur Tozzetti, Journal étranger, mois de décembre 1755.

« On trouva, dit M. Coltellini, vers la fin du mois de novembre 1759, dans un bien de campagne appartenant au marquis Pétrella et situé à Fusigliano, dans le territoire de Cortone, un morceau d’os d’éléphant incrusté en grande partie d’une matière pierreuse… Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a trouvé de pareils os fossiles dans nos environs.

» Dans le cabinet de M. Galeotto Corazzi, il y a un autre grand morceau de défense d’éléphant pétrifié et trouvé ces dernières années dans les environs de Cortone, au lieu appelé la Selva… Ayant comparé ces fragments d’os avec un morceau de défense d’éléphant venu depuis peu d’Asie, on a trouvé qu’il y avait entre eux une ressemblance parfaite.

» M. l’abbé Mearini m’apporta, au mois d’avril dernier, une mâchoire entière d’élephant qu’il avait trouvée dans le district de Farneta, village de ce diocèse. Cette mâchoire est pétrifiée en grande partie, et surtout des deux côtés où l’incrustation pierreuse s’élève à la hauteur d’un pouce, et a toute la dureté de la pierre.

» Je dois enfin à M. Muzio Angelieri Alticozzi, gentilhomme de cette ville, un fémur presque entier d’éléphant, qu’il a découvert lui-même dans un de ses biens de campagne appelé la Rota, situé dans le territoire de Cortone. Cet os, qui est long d’une brasse de Florence, est aussi pétrifié, surtout dans l’extrémité supérieure qu’on appele la tête… » Lettre de M. Louis Coltellini, de Cortone. Journal étranger, mois de juillet 1761.


(10) Page 17, ligne 35. Ces grandes volutes pétrifiées, dont quelques-unes ont plusieurs pieds de diamètre. La connaissance de toutes les pétrifications dont on ne trouve plus les analogues vivants, supposerait une étude longue et une comparaison réfléchie de toutes les espèces de pétrifications qu’on a trouvées jusqu’à présent dans le sein de la terre ; et cette science n’est pas encore fort avancée : cependant nous sommes assurés qu’il y a plusieurs de ces espèces, telles que les cornes d’Ammon, les ortocératites, les pierres lenticulaires ou numismales, les bélemnites, les pierres judaïques, les anthropomorphites, etc., qu’on ne peut rapporter à aucune espèce actuellement existante. Nous avons vu des cornes d’Ammon pétrifiées, de 2 et 3 pieds de diamètre, et nous avons été assurés, par des témoins dignes de foi, qu’on en a trouvé une en Champagne plus grande qu’une meule de moulin, puisqu’elle avait 8 pieds de diamètre sur un pied d’épaisseur : on m’a même offert dans le temps de me l’envoyer, mais l’énormité du poids de cette masse, qui est d’environ huit milliers, et la grande distance de Paris, m’a empêché d’accepter cette offre. On ne connaît pas plus les espèces d’animaux auxquels ont appartenu les dépouilles dont nous venons d’indiquer les noms ; mais ces exemples, et plusieurs autres que je pourrais citer, suffirent pour prouver qu’il existait autrefois dans la mer plusieurs espèces de coquillages et de crustacés qui ne subsistent plus. Il en est de même de quelques poissons à écailles ; la plupart de ceux qu’on trouve dans les ardoises et dans certains schistes, ne ressemblent pas assez aux poissons qui nous sont connus, pour qu’on puisse dire qu’ils sont de telle ou telle espèce. Ceux qui sont au Cabinet du Roi, parfaitement conservés dans des masses de pierres, ne peuvent de même se rapporter précisément à nos espèces connues : il paraît donc que, dans tous les genres, la mer a autrefois nourri des animaux dont les espèces n’existent plus.

Mais, comme nous l’avons dit, nous n’avons jusqu’à présent qu’un seul exemple d’une espèce perdue dans les animaux terrestres, et il paraît que c’était la plus grande de toutes, sans même en excepter l’éléphant[NdÉ 5]. Et puisque les exemples des espèces perdues dans les animaux terrestres sont bien plus rares que dans les animaux marins, cela ne semble-t-il pas prouver encore que la formation des premiers est postérieure à celle de ces derniers ?

NOTES SUR LA PREMIÈRE ÉPOQUE.

(11) Page 26, ligne 6. Sur la matière dont le noyau des comètes est composé. J’ai dit dans l’article de la Formation des planètes, que les comètes sont composées d’une matière très solide et très dense. Ceci ne doit pas être pris comme une assertion positive et générale, car il doit y avoir de grandes différences entre la densité de telle ou telle comète, comme il y en a entre la densité des différentes planètes ; mais on ne pourra déterminer cette différence de densité relative entre chacune des comètes, que quand on en connaîtra les périodes de révolution aussi parfaitement que l’on connait les périodes des planètes. Une comète dont la densité serait seulement comme la densité de la planète de Mercure, double de celle de la terre, et qui aurait à son périhélie autant de vitesse que la comète de 1680, serait peut-être suffisante pour chasser hors du soleil toute la quantité de matière qui compose les planètes, parce que la matière de la comète étant dans ce cas huit fois plus dense que la matière solaire, elle communiquerait huit fois autant de mouvement, et chasserait aisément une 8/100 partie de la masse du soleil, aussi aisément qu’un corps dont la densité serait égale à celle de la matière solaire, pourrait en chasser une centième partie.


(12) Page 32, ligne 15. La terre est élevée sous l’équateur et abaissée sous les pôles, dans la proportion juste et précise qu’exigent les lois de la pesanteur, combinées avec celles de la force centrifuge. J’ai supposé, dans mon Traité de la formation des planètes, que la différence des diamètres de la terre était dans le rapport de 174 à 175, d’après la détermination faite par nos mathématiciens envoyés en Laponie et au Pérou ; mais comme ils ont supposé une courbe régulière à la terre, j’ai averti, page 165, que cette supposition était hypothétique, et par conséquent je ne me suis point arrêté à cette détermination. Je pense donc qu’on doit préférer le rapport de 229 à 230, tel qu’il a été déterminé par Newton, d’après sa théorie et les expériences du pendule, qui me paraissent être bien plus sûres que les mesures. C’est par cette raison que, dans les Mémoires de la partie hypothétique, j’ai toujours supposé que le rapport des deux diamètres du sphéroïde terrestre était de 229 à 230. M. le docteur Irving, qui a accompagné M. Phipps dans son voyage au Nord en 1773, a fait des expériences très exactes sur l’accélération du pendule au 79e degré 50 minutes, et il a trouvé que cette accélération était de 72 à 73 secondes en 24 heures, d’où il conclut que le diamètre à l’équateur est à l’axe de la terre comme 212 à 211. Ce savant voyageur ajoute avec raison que son résultat approche de celui de Newton, beaucoup plus que celui de M. de Maupertuis, qui donne le rapport de 178 à 179, et plus aussi que celui de M. Bradley, qui, d’après les observations de M. Campbell, donne le rapport de 200 à 201 pour la différence des deux diamètres de la terre.


(13) Page 39, ligne 1. La mer, sur les côtes voisines de la ville de Caen en Normandie, a construit et construit encore par son flux et reflux, une espèce de schiste composé de lames minces et déliées, et qui se forment journellement par le sédiment des eaux. Chaque marée montante apporte et répand sur tout le rivage un limon impalpable qui ajoute une nouvelle feuille aux anciennes, d’où résulte par la succession des temps un schiste tendre et feuilleté.

NOTES SUR LA SECONDE ÉPOQUE.

(14) Page 41, ligne 13. La roche du globe et les hautes montagnes, dans leur intérieur jusqu’à leur sommet, ne sont composées que de matières vitrescibles. J’ai dit, dans ma Théorie de la terre, « que le globe terrestre pourrait être vide dans son intérieur, ou rempli d’une substance plus dense que toutes celles que nous connaissons, sans qu’il nous fût possible de le démontrer… et qu’à peine pouvions-nous former sur cela quelques conjectures raisonnables. » Mais lorsque j’ai écrit ce Traité de la Théorie de la terre en 1744, je n’étais pas instruit de tous les faits par lesquels on peut reconnaître que la densité du globe terrestre, prise généralement, est moyenne entre les densités du fer, des marbres, des grès, de la pierre et du verre, telle que je l’ai déterminée dans mon premier Mémoire (partie hypothétique) ; je n’avais pas fait alors toutes les expériences qui m’ont conduit à ce résultat ; il me manquait aussi beaucoup d’observations que j’ai recueillies dans ce long espace de temps : ces expériences, toutes faites dans la même vue, et ces observations, nouvelles pour la plupart, ont étendu mes premières idées et m’en ont fait naître d’autres accessoires et même plus élevées ; en sorte que ces conjectures raisonnables, que je soupçonnais dès lors qu’on pouvait former, me paraissent être devenues des inductions très plausibles, desquelles il résulte que le globe de la terre est principalement composé, depuis la surface jusqu’au centre, d’une matière vitreuse un peu plus dense que le verre pur ; la lune, d’une matière aussi dense que la pierre calcaire ; Mars, d’une matière à peu près aussi dense que celle du marbre ; Vénus, d’une matière un peu plus dense que l’émeril ; Mercure, d’une matière un peu plus dense que l’étain ; Jupiter, d’une matière moins dense que la craie ; et Saturne, d’une matière presque aussi légère que la pierre ponce ; et enfin, que les satellites de ces deux grosses planètes sont composés d’une matière encore plus légère que leur planète principale.

Il est certain que le centre de gravité du globe, ou plutôt du sphéroïde terrestre, coïncide avec son centre de grandeur, et que l’axe sur lequel il tourne passe par ces mêmes centres, c’est-à-dire par le milieu du sphéroïde, et que par conséquent il est de même densité dans toutes ses parties correspondantes : s’il en était autrement, et que le centre de grandeur ne coïncidât pas avec le centre de gravité, l’axe de rotation se trouverait alors plus d’un côté que de l’autre ; et, dans les différents hémisphères de la terre, la durée de la révolution paraîtrait inégale. Or, cette révolution est parfaitement la même pour tous les climats ; ainsi, toutes les parties correspondantes du globe sont de la même densité relative.

Et comme il est démontré, par son renflement à l’équateur et par sa chaleur propre, encore actuellement existante, que dans son origine le globe terrestre était composé d’une matière liquéfiée par le feu, qui s’est rassemblée par sa force d’attraction mutuelle, la réunion de cette matière en fusion n’a pu former qu’une sphère pleine, depuis le centre à la circonférence, laquelle sphère pleine ne diffère d’un globe parfait que par ce renflement sous l’équateur et cet abaissement sous les pôles, produits par la force centrifuge dès les premiers moments que cette masse encore liquide a commencé à tourner sur elle-même.

Nous avons démontré que le résultat de toutes les matières qui éprouvent la violente action du feu est l’état de vitrification ; et comme toutes se réduisent en verre plus ou moins pesant, il est nécessaire que l’intérieur du globe soit en effet une matière vitrée, de la même nature que la roche vitreuse, qui fait partout le fond de sa surface au-dessous des argiles, des sables vitrescibles, des pierres calcaires et de toutes les autres matières qui ont été remuées, travaillées et transportées par les eaux.

Ainsi l’intérieur du globe est une masse de matière vitrescible, peut-être spécifiquement un peu plus pesante que la roche vitreuse, dans les fentes de laquelle nous cherchons les métaux ; mais elle est de même nature, et n’en diffère qu’en ce qu’elle est plus massive et plus pleine : il n’y a de vides et de cavernes que dans les couches extérieures ; l’intérieur doit être plein, car ces cavernes n’ont pu se former qu’à la surface, dans le temps de la consolidation et du premier refroidissement : les fentes perpendiculaires qui se trouvent dans les montagnes ont été formées presque en même temps, c’est-à-dire lorsque les matières se sont resserrées par le refroidissement : toutes ces cavités ne pouvaient se faire qu’à la surface, comme l’on voit dans une masse de verre ou de minéral, fondu les éminences et les trous se présenter à la superficie, tandis que l’intérieur du bloc est solide et plein.

Indépendamment de cette cause générale de la formation des cavernes et des fentes à la surface de la terre, la force centrifuge était une autre cause qui, se combinant avec celle du refroidissement, a produit dans le commencement de plus grandes cavernes, et de plus grandes inégalités dans les climats où elle agissait le plus puissamment. C’est par cette raison que les plus hautes montagnes et les plus grandes profondeurs se sont trouvées voisines des tropiques et de l’équateur ; c’est par la même raison qu’il s’est fait dans ces contrées méridionales plus de bouleversements que nulle part ailleurs. Nous ne pouvons déterminer le point de profondeur auquel les couches de la terre ont été boursouflées par le feu et soulevées en cavernes ; mais il est certain que cette profondeur doit être bien plus grande à l’équateur que dans les autres climats, puisque le globe avant sa consolidation s’y est élevé de six lieues un quart de plus que sous les pôles. Cette espèce de croûte ou de calotte va toujours en diminuant d’épaisseur depuis l’équateur, et se termine à rien sous les pôles ; la matière qui compose cette croûte est la seule qui ait été déplacée dans le temps de la liquéfaction, et refoulée par l’action de la force centrifuge ; le reste de la matière qui compose l’intérieur du globe est demeuré fixe dans son assiette, et n’a subi ni changement, ni soulèvement, ni transport. Les vides et les cavernes n’ont donc pu se former que dans cette croûte extérieure ; elles se sont trouvées d’autant plus grandes et plus fréquentes, que cette croûte était plus épaisse, c’est-à-dire plus voisine de l’équateur. Aussi les plus grands affaissements se sont faits et se feront encore dans les parties méridionales, où se trouvent de même les plus grandes inégalités de la surface du globe, et par la même raison le plus grand nombre de cavernes, de fentes et de mines métalliques qui ont rempli ces fentes dans le temps de leur fusion ou de leur sublimation.

L’or et l’argent, qui ne font qu’une quantité, pour ainsi dire, infiniment petite, en comparaison de celle des autres matières du globe, ont été sublimés en vapeurs, et se sont séparés de la matière vitrescible commune, par l’action de la chaleur, de la même manière que l’on voit sortir d’une plaque d’or ou d’argent, exposée au foyer d’un miroir ardent, des particules qui s’en séparent par la sublimation, et qui dorent ou argentent les corps que l’on expose à cette vapeur métallique ; ainsi l’on ne peut pas croire que ces métaux susceptibles de sublimation, même à une chaleur médiocre, puissent être entrés en grande partie dans la composition du globe, ni qu’ils soient placés à de grandes profondeurs dans son intérieur. Il en est de même de tous les autres métaux et minéraux, qui sont encore plus susceptibles de se sublimer par l’action de la chaleur : et à l’égard des sables vitrescibles et des argiles, qui ne sont que les détriments des scories vitrées, dont la surface du globe était couverte immédiatement après le premier refroidissement, il est certain qu’elles n’ont pu se loger dans l’intérieur, et qu’elles pénètrent tout au plus aussi bas que les filons métalliques dans les fentes et dans les autres cavités de cette ancienne surface de la terre, maintenant recouverte par toutes les matières que les eaux ont déposées.

Nous sommes donc bien fondés à conclure que le globe de la terre n’est dans son intérieur qu’une masse solide de matière vitrescible, sans vides, sans cavités[NdÉ 6], et qu’il ne s’en trouve que dans les couches qui soutiennent celles de sa surface ; que sous l’équateur et dans les climats méridionaux, ces cavités ont été et sont encore plus grandes que dans les climats tempérés ou septentrionaux, parce qu’il y a eu deux causes qui les ont produites sous l’équateur, savoir, la force centrifuge et le refroidissement, au lieu que sous les pôles, il n’y a eu que la seule cause de refroidissement : en sorte que dans les parties méridionales, les affaissements ont été bien plus considérables, les inégalités plus grandes, les fentes perpendiculaires plus fréquentes, et les mines des métaux précieux plus abondantes.


(15) Page 41, ligne 21. Les fentes et les cavités des éminences du globe terrestre ont été incrustées, et quelquefois remplies par les substances métalliques que nous y trouvons aujourd’hui.

« Les veines métalliques, dit M. Eller, se trouvent seulement dans les endroits élevés en une longue suite de montagnes : cette chaîne de montagnes suppose toujours pour son soutien une base de roche dure. Tant que ce roc conserve sa continuité, il n’y a guère apparence qu’on y découvre quelques filons métalliques ; mais quand on rencontre des crevasses ou des fentes, on espère d’en découvrir. Les physiciens minéralogistes ont remarqué qu’en Allemagne la situation la plus favorable est lorsque la chaîne de montagnes s’élevant petit à petit se dirige vers le sud-est, et qu’ayant atteint sa plus grande élévation, elle descend insensiblement vers le nord-ouest…

» C’est ordinairement un roc sauvage, dont l’étendue est quelquefois presque sans bornes, mais qui est fendu et entr’ouvert en divers endroits, qui contient les métaux quelquefois purs, mais presque toujours minéralisés : ces fentes sont tapissées pour l’ordinaire d’une terre blanche et luisante, que les mineurs appellent quartz et qu’ils nomment spath lorsque cette terre est plus pesante, mais mollasse et feuilletée à peu près comme le talc : elle est enveloppée en dehors, vers le roc, de l’espèce de limon qui paraît fournir la nourriture à ces terres quartzeuses ou spatheuses ; ces deux enveloppes sont comme la gaine ou l’étui du filon ; plus il est perpendiculaire, et plus on doit en espérer ; et toutes les fois que les mineurs voient que le filon est perpendiculaire, ils disent qu’il va s’ennoblir.

» Les métaux sont formés dans toutes ces fentes et cavernes par une évaporation continuelle et assez violente ; les vapeurs des mines démontrent cette évaporation encore subsistante ; les fentes qui n’en exhalent point sont ordinairement stériles : la marque la plus sûre que les vapeurs exhalantes portent des atomes ou des molécules minérales, et qu’elles les appliquent partout aux parois des crevasses du roc, c’est cette incrustation successive qu’on remarque dans toute la circonférence de ces fentes ou de ces creux de rochers, jusqu’à ce que la capacité en soit entièrement remplie et le filon solidement formé ; ce qui est encore confirmé par les outils qu’on oublie dans les creux, et qu’on retrouve ensuite couverts et incrustés de la mine, plusieurs années après.

» Les fentes du roc qui fournissent une veine métallique abondante inclinent toujours ou poussent leur direction vers la perpendiculaire de la terre : à mesure que les mineurs descendent, ils rencontrent une température d’air toujours plus chaude, et quelquefois des exhalaisons si abondantes et si nuisibles à la respiration, qu’ils se trouvent forcés de se retirer au plus vite vers les puits ou vers la galerie, pour éviter la suffocation que les parties sulfureuses et arsenicales leur causeraient à l’instant. Le soufre et l’arsenic se trouvent généralement dans toutes les mines des quatre métaux imparfaits et de tous les demi-métaux, et c’est par eux qu’ils sont minéralisés.

» Il n’y a que l’or, et quelquefois l’argent et le cuivre, qui se trouvent natifs en petite quantité ; mais, pour l’ordinaire, le cuivre, le fer, le plomb et l’étain, lorsqu’ils se tirent des filons, sont minéralisés avec le soufre et l’arsenic : on sait, par l’expérience, que les métaux perdent leur forme métallique à un certain degré de chaleur relatif à chaque espèce de métal : cette destruction de la forme métallique, que subissent les quatre métaux imparfaits, nous apprend que la base des métaux est une matière terrestre ; et comme ces chaux métalliques se vitrifient à un certain degré de chaleur, ainsi que les terres calcaires, gypseuses, etc., nous ne pouvons pas douter que la terre métallique ne soit du nombre des terres vitrifiables. » Extrait du Mémoire de M. Eller, sur l’origine et la génération des métaux, dans le Recueil de l’Académie de Berlin, année 1753.


(16) Page 42, ligne 2. M. Lehman, célèbre chimiste, est le seul qui ait soupçonné une double origine aux mines métalliques ; il distingue judicieusement les montagnes à filons des montagnes à couches : « L’or et l’argent, dit-il, ne se trouvent en masses que dans les montagnes à filons ; le fer ne se trouve guère que dans les montagnes à couches : tous les morceaux ou petites parcelles d’or et d’argent qu’on trouve dans les montagnes à couches n’y sont que répandus, et ont été détachés des filons qui sont dans les montagnes supérieures et voisines de ces couches.

» L’or n’est jamais minéralisé ; il se trouve toujours natif ou vierge, c’est-à-dire tout formé dans sa matrice, quoique souvent il y soit répandu en particules si déliées, qu’on chercherait vainement à le reconnaître, même avec les meilleurs microscopes. On ne trouve point d’or dans les montagnes à couches ; il est aussi assez rare qu’on y trouve de l’argent ; ces deux métaux appartiennent de préférence aux montagnes à filons : on a néanmoins trouvé quelquefois de l’argent en petits feuillets ou sous la forme de cheveux, dans de l’ardoise : il est moins rare de trouver du cuivre natif sur de l’ardoise, et communément ce cuivre natif est aussi en forme de filets ou de cheveux.

» Les mines de fer se reproduisent peu d’années après avoir été fouillées ; elles ne se trouvent point dans les montagnes à filons, mais dans les montagnes à couches, ou du moins c’est une chose très rare.

» Quant à l’étain natif, il n’en existe point qui ait été produit par la nature sans le secours du feu ; et la chose est aussi très douteuse pour le plomb, quoiqu’on prétende que les grains de plomb de Massel, en Silésie, sont de plomb natif.

» On trouve le mercure vierge et coulant, dans les couches de terre argileuses et grasses, ou dans les ardoises.

» Les mines d’argent qu’on trouve dans les ardoises ne sont pas à beaucoup près aussi riches que celles qui se trouvent dans les montagnes à filons ; ce métal ne se trouve guère qu’en particules déliées, en filets ou en végétations, dans ces couches d’ardoise ou de schistes, mais jamais en grosses mines ; et encore faut-il que ces couches d’ardoise soient voisines des montagnes à filons. Toutes les mines d’argent qui se trouvent dans les couches ne sont pas sous une forme solide et compacte ; toutes les autres mines, qui contiennent de l’argent en abondance, se trouvent dans les montagnes à filons. Le cuivre se trouve abondamment dans les couches d’ardoises, et quelquefois aussi dans les charbons de terre.

» L’étain est le métal qui se trouve le plus rarement répandu dans les couches : le plomb s’y trouve plus communément ; on en rencontre sous la forme de galène, attaché aux ardoises, mais on n’en trouve que très rarement avec les charbons de terre.

» Le fer est presque universellement répandu, et se trouve dans les couches, sous un grand nombre de formes différentes.

» Le cinabre, le cobalt, le bismuth et la calamine, se trouvent aussi assez communément dans les couches. » Lehman, tome III, page 381 et suivantes.

« Les charbons de terre, le jayet, le succin, la terre alumineuse, ont été produits par des végétaux, et surtout par des arbres résineux qui ont été ensevelis dans le sein de la terre, et qui ont souffert une décomposition plus ou moins grande ; car on trouve, au-dessus des mines de charbon de terre, très souvent du bois qui n’est point du tout décomposé, et qui l’est davantage à mesure qu’il est plus enfoncé en terre. L’ardoise, qui sert de toit ou de couverture au charbon, est souvent remplie des empreintes de plantes, qui accompagnent ordinairement les forêts, telles que les fougères, les capillaires, etc. ; ce qu’il y a de remarquable, c’est que ces plantes, dont on trouve les empreintes, sont toutes étrangères, et les bois paraissent aussi des bois étrangers. Le succin, qu’on doit regarder comme une résine végétale, renferme souvent des insectes qui, considérés attentivement, n’appartiennent point au climat où on les rencontre présentement : enfin, la terre alumineuse est souvent feuilletée, et ressemble à du bois, tantôt moins décomposé. » Idem, Ibidem.

« Le soufre, l’alun, le sel ammoniac, se trouvent dans les couches formées par les volcans.

» Le pétrole, le naphte, indiquent un feu actuellement allumé sous la terre, qui met, pour ainsi dire, le charbon de terre en distillation : on a des exemples de ces embrasements souterrains, qui n’agissent qu’en silence dans des mines de charbon de terre, en Angleterre et en Allemagne, lesquelles brûlent depuis très longtemps sans explosion, et c’est dans le voisinage de ces embrasements souterrains qu’on trouve les eaux chaudes thermales.

» Les montagnes qui contiennent des filons ne renferment point de charbon de terre, ni des substances bitumeuses et combustibles ; ces substances ne se trouvent jamais que dans les montagnes à couches. » Notes sur Lehman, par M. le baron d’Holbach, tome III, page 435.


(17) Page 44, ligne 37. Il se trouve dans les pays de notre Nord des montagnes entières de fer, c’est-à-dire d’une pierre vitrescible, ferrugineuse, etc. Je citerai pour exemple la mine de fer près de Taberg en Smoland, partie de l’île de Gothland en Suède : c’est l’une des plus remarquables de ces mines, ou plutôt de ces montagnes de fer, qui toutes ont la propriété de céder à l’attraction de l’aimant, ce qui prouve qu’elles ont été formées par le feu : cette montagne est dans un sol de sable extrêmement fin ; sa hauteur est de plus de 100 pieds, et son circuit d’une lieue ; elle est en entier composée d’une matière ferrugineuse très riche, et l’on trouve même du fer natif ; autre preuve qu’elle a éprouvé l’action d’un feu violent ; cette mine étant brisée montre à sa fracture de petites parties brillantes, qui tantôt se croisent et tantôt sont disposées par écailles : les petits rochers les plus voisins sont de roc pur (saxo puro) : on travaille à cette mine depuis environ deux cents ans ; on se sert pour l’exploiter de poudre à canon, et la montagne parait fort peu diminuée, excepté dans les puits qui sont au pied du côté du vallon.

Il paraît que cette mine n’a point de lits réguliers ; le fer n’y est point non plus partout de la même bonté. Toute la montagne a beaucoup de fentes, tantôt perpendiculaires et tantôt horizontales : elles sont toutes remplies de sable qui ne contient aucun fer ; ce sable est aussi pur et de même espèce que celui des bords de la mer ; on trouve quelquefois dans ce sable des os d’animaux et des cornes de cerf ; ce qui prouve qu’il a été amené par les eaux, et que ce n’est qu’après la formation de la montagne de fer par le feu, que les sables en ont rempli les crevasses, et les fentes perpendiculaires et horizontales.

Les masses de mine que l’on tire tombent aussitôt au pied de la montagne, au lieu que dans les autres mines il faut souvent tirer le minéral des entrailles de la terre : on doit concasser et griller cette mine avant de la mettre au fourneau, où on la fond avec la pierre calcaire et du charbon de bois.

Cette colline de fer est située dans un endroit montagneux fort élevé, éloigné de la mer de près de 80 lieues : il paraît qu’elle était autrefois entièrement couverte de sable. Extrait d’un article de l’ouvrage périodique qui a pour titre : Nordische Beitrage, etc. Contribution du Nord pour les progrès de la physique, des sciences et des arts. À Altone, chez David Ifers, 1756.


(18) Page 45, ligne 6. Il se trouve des montagnes d’aimant dans quelques contrées, et particulièrement dans celles de notre Nord. On vient de voir par l’exemple cité dans la note précédente, que la montagne de fer de Taberg s’élève de plus de 400 pieds au-dessus de la surface de la terre. M. Gmelin, dans son Voyage en Sibérie, assure que dans les contrées septentrionales de l’Asie presque toutes les mines des métaux se trouvent à la surface de la terre, tandis que dans les autres pays elles se trouvent profondément ensevelies dans son intérieur. Si ce fait était généralement vrai, ce serait une nouvelle preuve que les métaux ont été formés par le feu primitif, et que le globe de la terre ayant moins d’épaisseur dans les parties septentrionales, ils s’y sont formés plus près de la surface que dans les contrées méridionales.

Le même M. Gmelin a visité la grande montagne d’aimant qui se trouve en Sibérie, chez les Baschkires ; cette montagne est divisée en huit parties, séparées par des vallons : la septième de ces parties produit le meilleur aimant ; le sommet de cette portion de montagne, est formé d’une pierre jaunâtre, qui paraît tenir de la nature du jaspe ; on y trouve des pierres, que l’on prendrait de loin pour du grès, qui pèsent deux mille cinq cents ou trois milliers, mais qui ont toutes la vertu de l’aimant ; quoiqu’elles soient couvertes de mousse, elles ne laissent pas d’attirer le fer et l’acier à la distance de plus d’un pouce : les côtés exposés à l’air ont la plus forte vertu magnétique ; ceux qui sont enfoncés en terre en ont beaucoup moins ; ces parties les plus exposées aux injures de l’air, sont moins dures, et par conséquent moins propres à être armées. Un gros quartier d’aimant de la grandeur qu’on vient de dire, est composé de quantité de petits quartiers d’aimant, qui opèrent en différentes directions ; pour les bien travailler, il faudrait les séparer en les sciant, afin que tout le morceau qui renferme la vertu de chaque aimant particulier conservât son intégrité ; on obtiendrait vraisemblablement de cette façon des aimants d’une grande force. Mais on coupe des morceaux à tout hasard, et il s’en trouve plusieurs qui ne valent rien du tout, soit parce qu’on travaille un morceau de pierre qui n’a point de vertu magnétique, ou qui n’en renferme qu’une petite portion, soit que dans un seul morceau il y ait deux ou trois aimant réunis. À la vérité, ces morceaux ont une vertu magnétique, mais comme elle n’a pas sa direction vers un même point, il n’est pas étonnant que l’effet d’un pareil aimant soit sujet à bien des variations.

L’aimant de cette montagne, à la réserve de celui qui est exposé à l’air, est d’une grande dureté, taché de noir, et rempli de tubérosités qui ont de petites parties anguleuses, comme on en voit souvent à la surface de la pierre sanguine, dont il ne diffère que par la couleur ; mais souvent, au lieu de ces parties anguleuses, on ne voit qu’une espèce de terre d’ocre : en général, les aimants qui ont ces petites parties anguleuses ont moins de vertu que les autres. L’endroit de la montagne où sont les aimants, est presque entièrement composé d’une bonne mine de fer, qu’on tire par petits morceaux entre les pierres d’aimant. Toute la section de la montagne la plus élevée renferme une pareille mine ; mais plus elle s’abaisse, moins elle contient de métal. Plus bas, au-dessous de la mine d’aimant, il y a d’autres pierres ferrugineuses, mais qui rendraient fort peu de fer, si on voulait les faire fondre : les morceaux qu’on en tire ont la couleur de métal, et sont très lourds ; ils sont inégaux en dedans, et ont presque l’air de scories : ces morceaux ressemblent assez, par l’extérieur, aux pierres d’aimant ; mais ceux qu’on tire à huit brasses au-dessous du roc, n’ont plus aucune vertu. Entre ces pierres, on trouve d’autres morceaux de roc, qui paraissent composés de très petites particules de fer ; la pierre, par elle-même, est pesante, mais fort molle ; les particules intérieures ressemblent à une matière brûlée, et elles n’ont que peu ou point de vertu magnétique. On trouve aussi de temps en temps un minerai brun de fer dans des couches épaisses d’un pouce, mais il rend peu de métal. Extrait de l’Histoire générale des Voyages, tome XVIII, page 141 et suivantes.

Il y a plusieurs autres mines d’aimant en Sibérie, dans les monts Poïas. À 10 de la route qui mène de Catherinbourg à Solikamskaia, est la montagne Galazinski ; elle a plus de 20 toises de hauteur, et c’est entièrement un rocher d’aimant, d’un brun couleur de fer dur et compact.

À 20 lieues de Solikamskaia, on trouve un aimant cubique et verdâtre ; les cubes en sont d’un brillant vif : quand on les pulvérise, ils se décomposent en paillettes brillantes couleur de feu. Au reste, on ne trouve l’aimant que dans les chaines de montagnes dont la direction est du sud au nord. Extrait de l’Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 472.

Dans les terres voisines des confins de la Laponie, sur les limites de la Bothnie, à deux lieues de Cokluanda, on voit une mine de fer, dans laquelle on tire des pierres d’aimant tout à fait bonnes. « Nous admirâmes avec bien du plaisir, dit le relateur, les effets surprenants de cette pierre, lorsqu’elle est encore dans le lieu natal : il fallut faire beaucoup de violence pour en tirer des pierres aussi considérables que celles que nous voulions avoir ; et le marteau dont on se servait, qui était de la grosseur de la cuisse, demeurait si fixe en tombant sur le ciseau qui était dans la pierre, que celui qui frappait avait besoin de secours pour le tirer. Je voulus éprouver cela moi-même, et ayant pris une grosse pince de fer pareille à celle dont on se sert à remuer les corps les plus pesants, et que j’avais de la peine à soutenir, je l’approchai du ciseau, qui l’attira avec violence extrême, et la soutenait avec une force inconcevable. Je mis une boussole au milieu du trou où était la mine et l’aiguille tournait continuellement d’une vitesse incroyable. » Œuvres de Regnard, Paris, 1742, t. Ier, page 185.


(19) Page 49, ligne 7. Les plus hautes montagnes sont dans la zone torride, les plus basses dans les zones froides ; et l’on ne peut douter que, dès l’origine, les parties voisines de l’équateur ne fussent les plus irrégulières et les moins solides du globe. J’ai dit, volume Ier, page 49 de la Théorie de la terre, « que les montagnes du Nord ne sont que des collines en comparaison de celles des pays méridionaux, et que le mouvement général des mers avait produit ces plus grandes montagnes dans la direction d’orient en occident dans l’ancien continent, et du nord au sud dans le nouveau. » Lorsque j’ai composé, en 1744, ce Traité de la Théorie de la terre, je n’étais pas aussi instruit que je le suis actuellement, et l’on n’avait pas fait les observations par lesquelles on a reconnu que les sommets des plus hautes montagnes sont composés de granit et de rocs vitrescibles, et qu’on ne trouve pas de coquilles sur plusieurs de ces sommets : cela prouve que ces montagnes n’ont pas été composées par les eaux, mais produites par le feu primitif, et qu’elles sont aussi anciennes que le temps de la consolidation du globe. Toutes les pointes et les noyaux de ces montagnes étant composés de matières vitrescibles, semblables à la roche intérieure du globe, elles sont également l’ouvrage du feu primitif, lequel a le premier établi ces masses de montagnes, et formé les grandes inégalités de la surface de la terre[NdÉ 7]. L’eau n’a travaillé qu’en second, postérieurement au feu, et n’a pu agir qu’à la hauteur où elle s’est trouvée après la chute entière des eaux de l’atmosphère et l’établissement de la mer universelle[NdÉ 8], laquelle a déposé successivement les coquillages qu’elle nourrissait et les autres matières qu’elle délayait ; ce qui a formé les couches d’argiles et de matières calcaires qui composent nos collines, et qui enveloppent les montagnes vitrescibles jusqu’à une grande hauteur.

Au reste, lorsque j’ai dit que les montagnes du Nord ne sont que des collines en comparaison des montagnes du Midi, cela n’est vrai que pris généralement ; car il y a dans le nord de l’Asie de grandes portions de terre qui paraissent fort élevées au-dessus du niveau de la mer ; et en Europe, les Pyrénées, les Alpes, le mont Carpate, les montagnes de Norvège, les monts Riphées et Rymniques, sont de hautes montagnes ; et toute la partie méridionale de la Sibérie, quoique composée de vastes plaines et de montagnes médiocres, paraît être encore plus élevée que le sommet des monts Riphées ; mais ce sont peut-être les seules exceptions qu’il y ait à faire ici : car non seulement les plus hautes montagnes se trouvent dans les climats plus voisins de l’équateur que des pôles, mais il paraît que c’est dans les climats méridionaux où se sont faits les plus grands bouleversements intérieurs et extérieurs, tant par la force centrifuge, dans le premier temps de la consolidation, que par l’action plus fréquente des feux souterrains et le mouvement plus violent du flux et du reflux, dans les temps subséquents. Les tremblements de terre sont si fréquents dans l’Inde méridionale que les naturels du pays ne donnent pas d’autre épithète à l’Être tout-puissant, que celui de remueur de terre. Tout l’archipel Indien ne semble être qu’une mer de volcans agissants ou éteints : on ne peut donc pas douter que les inégalités du globe ne soient plus grandes vers l’équateur que vers les pôles ; on pourrait même assurer que cette surface de la zone torride a été entièrement bouleversée, depuis la côte orientale de l’Afrique jusqu’aux Philippines, et encore bien au delà dans la mer du Sud. Toute cette plage ne paraît être que les restes en débris d’un vaste continent, dont toutes les terres basses ont été submergées : l’action de tous les éléments s’est réunie pour la destruction de la plupart de ces terres équinoxiales ; car, indépendamment des marées qui y sont plus violentes que sur le reste du globe, il paraît aussi qu’il y a eu plus de volcans, puisqu’il en subsiste encore dans la plupart de ces îles, dont quelques-unes, comme les îles de France et de Bourbon, se sont trouvées ruinées par le feu, et absolument désertes lorsqu’on en a fait la découverte.

NOTES SUR LA TROISIÈME ÉPOQUE.

(20) Page 50, ligne 6. Les eaux ont couvert toute l’Europe jusqu’à 1 500 toises au-dessus du niveau de la mer.

Nous avons dit, dans la Théorie de la terre, « que la surface entière de la terre actuellement habitée a été autrefois sous les eaux de la mer ; que ces eaux étaient supérieures au sommet des plus hautes montagnes, puisqu’on trouve sur ces montagnes, et jusqu’à leur sommet, des productions marines et des coquilles. »

Ceci exige une explication, et demande même quelques restrictions. Il est certain reconnu par mille et mille observations, qu’il se trouve des coquilles et d’autres productions de la mer sur toute la surface de la terre actuellement habitée, et même sur les montagnes, à une très grande hauteur. J’ai avancé, d’après l’autorité de Woodward, qui le premier a recueilli ces observations, qu’on trouvait des coquilles jusque sur les sommets des plus hautes montagnes ; d’autant que j’étais assuré par moi-même et par d’autres observations assez récentes qu’il y en a dans les Pyrénées et les Alpes à 900, 1 000, 1 200 et 1 500 toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer, qu’il s’en trouve de même dans les montagnes de l’Asie, et qu’enfin dans les Cordillères en Amérique, on en a nouvellement découvert un banc à plus de 2 000 toises au-dessus du niveau de la mer[2].

On ne peut donc pas douter que, dans toutes les différentes parties du monde, et jusqu’à la hauteur de 1 500 ou 2 000 toises au-dessus du niveau des mers actuelles, la surface du globe n’ait été couverte des eaux, et pendant un temps assez long pour y produire ces coquillages et les laisser multiplier ; car leur quantité est si considérable que leurs débris forment des bancs de plusieurs lieues d’étendue, souvent de plusieurs toises d’épaisseur sur une largeur indéfinie ; en sorte qu’ils composent une partie assez considérable des couches extérieures de la surface du globe, c’est-à-dire toute la matière calcaire qui, comme l’on sait, est très commune et très abondante en plusieurs contrées. Mais au-dessus des plus hauts points d’élévation, c’est-à-dire au-dessus de 1 500 ou 2 000 toises de hauteur, et souvent plus bas, on a remarqué que les sommets de plusieurs montagnes sont composés de roc vif, de granit et d’autres matières vitrescibles produites par le feu primitif, lesquelles ne contiennent en effet ni coquilles, ni madrépores, ni rien qui ait rapport aux matières calcaires. On peut donc en inférer que la mer n’a pas atteint, ou du moins n’a surmonté que pendant un petit temps, ces parties les plus élevées, et ces pentes les plus avancées de la surface de la terre[NdÉ 9].

Comme l’observation de don Ulloa, que nous venons de citer au sujet des coquilles trouvées sur les Cordillères, pourrait paraître encore douteuse, ou du moins comme isolée et ne faisant qu’un seul exemple, nous devons rapporter à l’appui de son témoignage celui d’Alphonse Barba, qui dit qu’au milieu de la partie la plus montagneuse du Pérou, on trouve des coquilles de toutes grandeurs, les unes concaves et les autres convexes, et très bien imprimées[3]. Ainsi l’Amérique, comme toutes les autres parties du monde, a également été couverte par les eaux de la mer. Et si les premiers observateurs ont cru qu’on ne trouvait point de coquilles sur les montagnes des Cordillères, c’est que ces montagnes, les plus élevées de la terre, sont pour la plus part des volcans actuellement agissants, ou des volcans éteints, lesquels par leurs éruptions ont recouvert de matières toutes les terres adjacentes ; ce qui a non seulement enfoui, mais détruit toutes les coquilles qui pouvaient s’y trouver[NdÉ 10]. Il ne serait donc pas étonnant qu’on ne rencontrât point de productions marines autour de ces montagnes, qui sont aujourd’hui ou qui ont été autrefois embrasées ; car le terrain qui les enveloppe ne doit être qu’un composé de cendres, de scories, de verre, de lave et d’autres matières brûlées ou vitrifiées ; ainsi il n’y a d’autre fondement à l’opinion de ceux qui prétendent que la mer n’a pas couvert les montagnes, si ce n’est qu’il y a plusieurs de leurs sommets où l’on ne voit aucune coquille ni autres productions marines. Mais comme on trouve en une infinité d’endroits et jusqu’à 1 500 et 2 000 toises de hauteur, des coquilles et d’autres productions de la mer, il est évident qu’il y a eu peu de pointes ou crêtes de montagnes qui n’aient été surmontées par les eaux, et que les endroits où on ne trouve point de coquilles, indiquent seulement que les animaux qui les ont produites ne s’y sont pas habitués, et que les mouvements de la mer n’y ont point amené les débris de ses productions, comme elle en a amené sur tout le reste de la surface du globe.


(21) Page 51, ligne 21. Des espèces de poissons et de plantes qui vivent et végètent dans des eaux chaudes, jusqu’à 50 et 60 degrés du thermomètre. On avait plusieurs exemples de plantes qui croissent dans les eaux thermales les plus chaudes, et M. Sonnerat a trouvé des poissons dans une eau dont la chaleur était si active, qu’il ne pouvait y plonger la main. Voici l’extrait de sa relation à ce sujet : « Je trouvai, dit-il, à deux lieues de Calamba, dans l’île de Luçon, près du village des Bally, un ruisseau dont l’eau était chaude, au point que le thermomètre, division de Réaumur, plongé dans ce ruisseau à une lieue de sa source, marquait encore 69 degrés. J’imaginais, en voyant un pareil degré de chaleur, que toutes les productions de la nature devaient être éteintes sur les bords du ruisseau, et je fus très surpris de voir trois arbrisseaux très vigoureux, dont les racines trempaient dans cette eau bouillante, et dont les branches étaient environnées de sa vapeur ; elle était si considérable que les hirondelles qui osaient traverser ce ruisseau à la hauteur de sept ou huit pieds y tombaient sans mouvement : l’un de ces trois arbrisseaux était un agnus castus, et les deux autres, des aspalatus. Pendant mon séjour dans ce village, je ne bus d’autre eau que celle de ce ruisseau, que je faisais refroidir : son goût me parut terreux et ferrugineux ; on a construit différents bains sur ce ruisseau, dont les degrés de chaleur sont proportionnés à la distance de la source. Ma surprise redoubla lorsque je vis le premier bain : des poissons nageaient dans cette eau où je ne pouvais plonger la main ; je fis tout ce qu’il me fut possible pour me procurer quelques-uns de poissons, mais leur agilité et la maladresse des gens du pays ne me permirent pas d’en prendre un seul. Je les examinai nageant, mais la vapeur de l’eau ne me permit pas de les distinguer assez bien pour les rapprocher de quelques genres : je les reconnus cependant pour des poissons à écailles brunes ; la longueur des plus grands était de quatre pouces. J’ignore comment ces poissons sont parvenus dans ces bains. » M. Sonnerat appuie son récit du témoignage de M. Prevost, commissaire de la marine, qui a parcouru avec lui l’intérieur de l’île de Luçon. Voici comment est conçu ce témoignage : « Vous avez eu raison, Monsieur, de faire part à M. de Buffon des observations que vous avez rassemblées dans le voyage que nous avons fait ensemble. Vous désirez que je confirme par écrit celle qui nous a si fort surpris dans le village de Bally, situé sur le bord de la Laguna de Manille, à Los-Bagnos : je suis fâché de n’avoir point ici la note de nos observations faites avec le thermomètre de M. de Réaumur ; mais je me rappelle très bien que l’eau du petit ruisseau qui passe dans ce village pour se jeter dans le lac, fit monter le mercure à 66 ou 67 degrés, quoiqu’il n’eût été plongé qu’à une lieue de sa source ; les bords de ce ruisseau sont garnis d’un gazon toujours vert. Vous n’aurez sûrement pas oublié cet agnus castus que nous avons vu en fleurs, dont les racines étaient mouillées de l’eau de ce ruisseau, et la tige continuellement enveloppée de la fumée qui en sortait. Le Père franciscain, curé de la paroisse de ce village, m’a aussi assuré avoir vu des poissons dans ce même ruisseau : quant à moi, je ne puis le certifier ; mais j’en ai vu dans l’un des bains, dont la chaleur faisait monter le mercure à 48 et 50 degrés. Voilà ce que vous pouvez certifier avec assurance. Signé Prevost. » Voyage à la nouvelle-Guinée, par M. Sonnerat, correspondant de l’Académie des Sciences et du Cabinet du Roi. Paris 1776, page 38 et suivantes.

Je ne sache pas qu’on ait trouvé des poissons dans nos eaux thermales, mais il est certain que, dans celles même qui sont les plus chaudes, le fond du terrain est tapissé de plantes. M. l’abbé Mazéas dit expressément que, dans l’eau presque bouillante de la solfatare de Viterbe, le fond du bassin est couvert des mêmes plantes qui croissent au fond des lacs et des marais. Mémoires des savants étrangers, tome V, page 325.


(22) Page 53, ligne 20. Il paraît, par les monuments qui nous restent, qu’il y a eu des géants dans plusieurs espèces d’animaux.[NdÉ 11] Les grosses dents à pointes mousses dont nous avons parlé indiquent une espèce gigantesque relativement aux autres espèces, et même à celle de l’éléphant ; mais cette espèce gigantesque n’existe plus. D’autres grosses dents, dont la face qui broie est figurée en trèfle, comme celles des hippopotames, et qui néanmoins sont quatre fois plus grosses que celles des hippopotames actuellement subsistants, démontrent qu’il y a eu des individus très gigantesques dans l’espèce de l’hippopotame. D’énormes fémurs, plus grands et beaucoup plus épais que ceux de nos éléphants, démontrent la même chose pour les éléphants ; et nous pouvons citer encore quelques exemples qui vont à l’appui de notre opinion sur les animaux gigantesques.

On a trouvé auprès de Rome, en 1772, une tête de bœuf pétrifiée, dont le P. Jacquier a donné la description. « La longueur du front, comprise entre les deux cornes, est, dit-il, de 2 pieds 3 pouces ; la distance entre les orbites des yeux, de 14 pouces ; celle depuis la portion supérieure du front jusqu’à l’orbite de l’œil, de 1 pied 6 pouces ; la circonférence d’une corne mesurée dans le bourrelet inférieur, de 1 pied 6 pouces ; la longueur d’une corne mesurée dans toute sa courbure, de 4 pieds ; la distance des sommets des cornes, de 3 pieds ; l’intérieur est d’une pétrification très dure. Cette tête a été trouvée dans un fonds de pouzzolane à la profondeur de plus de 20 pieds[4]. »

« On voyait, en 1768, dans la cathédrale de Strasbourg, une très grosse corne de bœuf, suspendue par une chaîne à un pilier près du chœur ; elle m’a paru excéder trois fois la grandeur ordinaire de celle des plus grands bœufs. Comme elle est fort élevée, je n’ai pu en prendre les dimensions ; mais je l’ai jugée d’environ 4 pieds 1/2 de longueur, sur 7 à 8 pouces de diamètre au gros bout[5]. »

Lionel Waffer rapporte qu’il a vu au Mexique des ossements et des dents d’une prodigieuse grandeur ; entre autres une dent de 3 pouces de large sur 4 pouces de longueur, et que les plus habiles gens du pays, ayant été consultés, jugèrent que la tête ne pouvait pas avoir moins d’une aune de largeur. Waffer, Voyage en Amérique, page 367.

C’est peut-être la même dent dont parle le P. Acosta : « J’ai vu, dit-il, une dent molaire qui m’étonna beaucoup par son énorme grandeur, car elle était aussi grosse que le poing d’un homme. » Le P. Torquemado, franciscain, dit aussi qu’il a eu en son pouvoir une dent molaire deux fois aussi grosse que le poing et qui pesait plus de deux livres ; il ajoute que dans cette même ville de Mexico, au couvent de Saint-Augustin, il avait vu un os fémur si grand, que l’individu auquel cet os avait appartenu devait avoir été haut de 11 à 12 coudées, c’est-à-dire 17 à 18 pieds, et que la tête dont la dent avait été tirée était aussi grosse qu’une de ces grandes cruches dont on se sert en Castille pour mettre le vin.

Philippe Hernandès rapporte qu’on trouve à Tezcaco et à Tosuca plusieurs os de grandeur extraordinaire, et que parmi ces os il y a des dents molaires larges de cinq pouces et hautes de dix ; d’où l’on doit conjecturer que la grosseur de la tête à laquelle elles appartenaient était si énorme que deux hommes auraient à peine pu l’embrasser. Don Lorenzo Boturini Benaduci dit aussi que dans la Nouvelle-Espagne, surtout dans les hauteurs de Santa-Fé et dans le territoire de la Puebla et de Tlascallan, on trouve des os énormes et des dents molaires, dont une, qu’il conservait dans son cabinet, est cent fois plus grosse que les plus grosses dents humaines. Gigantologie espagnole, par le P. Torrubla, Journal étranger, novembre 1760.

L’auteur de cette Gigantologie espagnole attribue ces dents énormes et ces grands os à des géants de l’espèce humaine : mais est-il croyable qu’il y ait jamais eu des hommes dont la tête ait eu 8 ou 10 pieds de circonférence ? N’est-il pas même assez étonnant que, dans l’espèce de l’hippopotame ou de l’éléphant, il y en ait eu de cette grandeur ? Nous pensons donc que ces énormes dents sont de la même espèce que celles qui ont été trouvées nouvellement en Canada, sur la rivière d’Ohio, que nous avons dit appartenir à un animal inconnu dont l’espèce était autrefois existante en Tartarie, en Sibérie, au Canada, et s’est étendue depuis les Illinois jusqu’au Mexique. Et comme ces auteurs espagnols ne disent pas que l’on ait trouvé dans la Nouvelle-Espagne des défenses d’éléphant mêlées avec ces grosses dents molaires, cela nous fait présumer qu’il y avait en effet une espèce différente de celle de l’éléphant à laquelle ces grosses dents molaires appartenaient, laquelle est parvenue jusqu’au Mexique. Au reste, les grosses dents d’hippopotame paraissent avoir été anciennement connues, car Saint-Augustin dit avoir vu une dent molaire si grosse, qu’en la divisant elle aurait fait cent dents molaires d’un homme ordinaire (lib. XV, De civitate Dei, cap. 9). Fulgose dit aussi qu’on a trouvé en Sicile, des dents dont chacune pesait trois livres (lib. Ier, cap. 6).

M. John Sommer rapporte avoir trouvé à Chatham, près de Cantorbery, à 17 pieds de profondeur, quelques os étrangers et monstrueux, les uns entiers, les autres rompus, et quatre dents saines et parfaites, pesant chacune un peu plus d’une demi-livre, grosses à peu près comme le poing d’un homme ; toutes quatre étaient des dents molaires ressemblant assez aux dents molaires de l’homme, si ce n’est par la grosseur. Il dit que Louis Vives parle d’une dent encore plus grosse (Di dens molaris pugno major), qui lui fut montrée pour une dent de saint Christophe ; il dit aussi qu’Acosta rapporte avoir vu, dans les Indes, une dent semblable qui avait été tirée de terre avec plusieurs autres os, lesquels, rassemblés et arrangés, représentaient un homme d’une stature prodigieuse ou plutôt monstrueuse (defomed highness or greatness). Nous aurions pu, dit judicieusement M. Sommer, juger de même des dents qu’on a tirées de la terre auprès de Cantorbery, si l’on n’eût pas trouvé avec ces mêmes dents des os qui ne pouvaient être des os d’hommes ; quelques personnes qui les ont vues ont jugé que les os et les dents étaient d’un hippopotame. Deux de ces dents sont gravées dans une planche qui est à la tête du no 272 des Transactions philosophiques, fig. 9.

On peut conclure de ces faits, que la plupart des grands os trouvés dans le sein de la terre, sont des os d’éléphants et d’hippopotames ; mais il me paraît certain, par la comparaison immédiate des énormes dents à pointes mousses avec les dents de l’éléphant et de l’hippopotame, qu’elles ont appartenu à un animal beaucoup plus gros que l’un et l’autre et que l’espèce de ce prodigieux animal ne subsiste plus aujourd’hui.

Dans les éléphants actuellement existants, il est extrêmement rare d’en trouver dont les défenses aient six pieds de longueur. Les plus grandes sont communément de cinq pieds à cinq pieds et demi, et par conséquent l’ancien éléphant auquel a appartenu la défense de dix pieds de longueur, dont nous avons les fragments, était un géant dans cette espèce aussi bien que celui dont nous avons un fémur d’un tiers plus gros et plus grand que les fémurs des éléphants ordinaires.

Il en est de même dans l’espèce de l’hippopotame ; j’ai fait arracher les deux plus grosses dents molaires de la plus grande tête d’hippopotame que nous ayons au Cabinet du Roi : l’une de ces dents pèse 10 onces, et l’autre 9 1/2 onces. J’ai pesé ensuite deux dents, l’une trouvée en Sibérie et l’autre au Canada ; le première pèse 2 livres 12 onces, et la seconde 2 livres 2 onces. Ces anciens hippopotames étaient, comme l’on voit, bien gigantesque en comparaison de ceux qui existent aujourd’hui.

L’exemple que nous avons cité de l’énorme tête de bœuf pétrifiée, trouvée aux environs de Rome, prouve aussi qu’il y a eu de prodigieux géants dans cette espèce, et nous pouvons le démontrer par plusieurs autres monuments. Nous avons au Cabinet du Roi : 1o une corne d’une belle couleur verdâtre, très lisse et bien contournée, qui est évidemment une corne de bœuf ; elle porte 25 pouces de circonférence à la base, et sa longueur est de 42 pouces ; sa cavité contient 11 1/4 pintes de Paris. 2o Un os de l’intérieur de la corne d’un bœuf, du poids de 7 livres, tandis que le plus grand os de nos bœufs, qui soutient la corne, ne pèse qu’une livre. Cet os a été donné pour le Cabinet du Roi par M. le comte de Tressan, qui joint au goût et aux talents beaucoup de connaissances en histoire naturelle. 3o Deux os de l’intérieur des cornes d’un bœuf réunis par un morceau de crâne, qui ont été trouvés à 25 pieds de profondeur, dans les couches de tourbes, entre Amiens et Abbeville, et qui m’ont été envoyés pour le Cabinet du Roi : ce morceau pèse 17 livres ; ainsi chaque os de la corne, étant séparé de la portion du crâne, pèse au moins 7 1/2 livres. J’ai comparé les dimensions comme les poids de ces différents os : celui du plus gros bœuf qu’on a pu trouver à la boucherie de Paris, n’avait que 13 pouces de longueur sur 7 pouces de circonférence à la base ; tandis que les deux autres, tirés du sein de la terre, l’un a 24 pouces de longueur sur 12 pouces de circonférence à la base, et l’autre 27 pouces de longueur sur 13 de circonférence. En voilà plus qu’il n’en faut pour démontrer que dans l’espèce du bœuf, comme dans celles de l’hippopotame et de l’éléphant, il y a eu de prodigieux géants.


(23) Page 54, ligne 4. Nous avons des monuments tirés du sein de la terre, et particulièrement du fond des minières de charbon et d’ardoises, qui nous démontrent que quelques-uns des poissons et des végétaux que ces matières contiennent, ne sont pas des espèces actuellement existantes. Sur cela nous observerons, avec M. Lehman, qu’on ne trouve guère des empreintes de plantes dans les mines d’ardoise, à l’exception de celles qui accompagnent les mines de charbon de terre, et qu’au contraire, on ne trouve ordinairement les empreintes de poissons que dans les ardoises cuivreuses. Tome III, page 407.

On a remarqué que les bancs d’ardoise chargés de poissons pétrifiés, dans le comté de Mansfeld, sont surmontés d’un banc de pierres appelées puantes ; c’est une espèce d’ardoise grise qui a tiré son origine d’une eau croupissante, dans laquelle les poissons avaient pourri avant de se pétrifier. Leeberoth, Journal économique, juillet 1752.

M. Hoffmann, en parlant des ardoises, dit que non seulement les poissons que l’on y trouve pétrifiés ont été des créatures vivantes, mais que les couches d’ardoises n’ont été que le dépôt d’une eau fangeuse, qui, après avoir fermenté et s’être pétrifiée, s’était précipitée par couches très minces.

« Les ardoises d’Angers, dit M. Guettard, présentent quelquefois des empreintes de plantes et de poissons, qui méritent d’autant plus d’attention que les plantes auxquelles ces empreintes sont dues, étaient des fucus de mer, et que celles des poissons représentent différents crustacés ou animaux de la classe des écrevisses, dont les empreintes sont plus rares que celles des poissons et des coquillages. Il ajoute qu’après avoir consulté plusieurs auteurs qui ont écrit sur les poissons, les écrevisses et les crabes, il n’a rien trouvé de ressemblant aux empreintes en question, si ce n’est le pou de mer qui y a quelques rapports, mais qui en diffère néanmoins par le nombre de ses anneaux, qui sont au nombre de treize, au lieu que les anneaux ne sont qu’au nombre de sept ou huit dans les empreintes de l’ardoise : les empreintes de poissons se trouvent communément parsemées de matières pyriteuses et blanchâtres. Une singularité, qui ne regarde pas plus les ardoisières d’Angers que celles des autres pays, tombe sur la fréquence des empreintes de poissons et la rareté de celles des coquillages dans les ardoises, tandis qu’elles sont si communes dans les pierres à chaux ordinaires. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1757, page 52.

On peut donner des preuves démonstratives que tous les charbons de terre ne sont composés que de débris de végétaux, mêlés avec du bitume et du soufre, ou plutôt de l’acide vitriolique, qui se fait sentir dans la combustion : on reconnaît les végétaux souvent en grand volume dans les couches supérieures de veines de charbon de terre ; et, à mesure que l’on descend, on voit les nuances de la décomposition de ces mêmes végétaux : il y a des espèces de charbon de terre qui ne sont que des bois fossiles ; celui qui se trouve à Sainte-Agnès, près Lons-le-Saunier, ressemble parfaitement à des bûches ou tronçons de sapin ; on y remarque très distinctement les veines de chaque crue annuelle, ainsi que le cœur : ces tronçons ne diffèrent des sapins ordinaires qu’en ce qu’ils sont ovales sur leur longueur, et que leurs veines forment autant d’ellipses concentriques. Ces bûches n’ont guère qu’environ un pied de tour, et leur écorce est très épaisse et fort crevassée, comme celle des vieux sapins, au lieu que les sapins ordinaires de pareille grosseur ont toujours une écorce assez lisse.

« J’ai trouvé, dit M. de Gensanne, plusieurs filons de ce même charbon dans le diocèse de Montpellier : ici les tronçons sont très gros, leur tissu est très semblable à celui des châtaigniers de trois à quatre pieds de tour. Ces sortes de fossiles ne donnent au feu qu’une légère odeur d’asphalte ; ils brûlent, donnent de la flamme et de la braise comme le bois ; c’est ce qu’on appelle communément en France de la houille ; elle se trouve près de la surface du terrain : ces houilles annoncent pour l’ordinaire du véritable charbon de terre à de plus grandes profondeurs. » Histoire naturelle du Languedoc, par M. de Gensanne, tome Ier, page 20.

Ces charbons ligneux doivent être regardés comme des bois déposés dans une terre bitumineuse à laquelle est due leur qualité de charbons fossiles ; on ne les trouve jamais que dans ces sortes de terres et toujours assez près de la surface du terrain : il n’est pas même rare qu’ils forment la tête des veines d’un véritable charbon ; il y en a qui, n’ayant reçu que peu de substance bitumineuse, ont conservé leurs nuances de couleur de bois. « J’en ai trouvé de cette espèce, dit M. de Gensanne, aux Cazarets près de Saint-Jean-de-Cucul, à quatre lieues de Montpellier ; mais pour l’ordinaire la fracture de ce fossile présente une surface lisse, entièrement semblable à celle du jayet. Il y a dans le même canton, près d’Aseras, du bois fossile qui est en partie changé en une vraie pyrite blanche ferrugineuse. La matière minérale y occupe le cœur du bois, et on y remarque très distinctement la substance ligneuse, rongée en quelque sorte et dissoute par l’acide minéralisateur. » Hist. nat. du Languedoc, tome Ier, page 54.

J’avoue que je suis surpris de voir qu’après de pareilles épreuves rapportées par M. de Gensanne lui-même, qui d’ailleurs est bon minéralogiste, il attribue néanmoins l’origine du charbon de terre à l’argile plus ou moins imprégnée de bitume : non seulement les faits que je viens de citer d’après lui démentent cette opinion, mais on verra, par ceux que je vais rapporter, qu’on ne doit attribuer qu’aux détriments des végétaux mêlés de bitumes la masse entière de toutes les espèces de charbon de terre.

Je sens bien que M. de Gensanne ne regarde pas ces bois fossiles, non plus que la tourbe et même la houille, comme de véritables charbons de terre entièrement formés, et en cela je suis de son avis : celui qu’on trouve auprès de Lons-le-Saunier a été examiné nouvellement par M. le président de Ruffey, savant académicien de Dijon. Il dit que ce bois fossile s’approche beaucoup de la nature des charbons de terre, mais qu’on le trouve à deux ou trois pieds de la surface de la terre dans une étendue de deux lieues sur trois à quatre pieds d’épaisseur, et que l’on reconnaît encore facilement les espèces de bois de chêne, charme, hêtre, tremble ; qu’il y a du bois de corde et du fagotage, que l’écorce des bûches est bien conservée, qu’on y distingue les cercles des sèves et les coups de hache, et qu’à différente distance on voit des amas de copeaux ; qu’au reste ce charbon, dans lequel le bois s’est changé, est excellent pour souder le fer, que néanmoins il répand, lorsqu’on le brûle, une odeur fétide et qu’on en a extrait de l’alun. Mémoires de l’Académie de Dijon, tome Ier, page 47.

« Près du village nommé Beichlitz, à une lieue environ de la ville de Halle, on exploite deux couches composées d’une terre bitumineuse et de bois fossile (il y a plusieurs mines de cette espèce dans le pays de Hesse), et celui-ci est semblable à celui que l’on trouve dans le village de Sainte-Agnès en Franche-Comté, à deux lieues de Lons-le-Saunier. Cette mine est dans le terrain de Saxe ; la première couche est à trois toises et demie de profondeur perpendiculaire, et de 8 à 9 pieds d’épaisseur : pour y parvenir, on traverse un sable blanc, ensuite une argile blanche et grise qui sert de toit et qui a 3 pieds d’épaisseur ; on rencontre encore au-dessous une bonne épaisseur, tant de sable que d’argile, qui recouvre la seconde couche, épaisse seulement de 3 1/2 à 4 pieds ; on a sondé beaucoup plus bas sans en trouver d’autres.

» Ces couches sont horizontales, mais elles plongent ou remontent à peu près comme les autres couches connues. Elles consistent en une terre brune, bitumineuse, qui est friable lorsqu’elle est sèche, et ressemble à du bois pourri. Il s’y trouve des pièces de bois de toute grosseur, qu’il faut couper à coups de hache, lorsqu’on les retire de la mine où elles sont encore mouillées. Ce bois étant sec se casse très facilement. Il est luisant dans sa cassure comme le bitume, mais on y reconnaît toute l’organisation du bois. Il est moins abondant que la terre ; les ouvriers le mettent à part pour leur usage.

» Un boisseau ou deux quintaux de terre bitumineuse se vend dix-huit à vingt sous de France. Il y a des pyrites dans ces couches ; la matière en est vitriolique ; elle refleurit et blanchit à l’air ; mais la matière bitumineuse n’est pas d’un grand débit, elle ne donne qu’une chaleur faible. » Voyages métallurgiques de M. Jars, page 320 et suivantes.

Tout ceci prouverait qu’en effet cette espèce de mine de bois fossile, qui se trouve si près de la surface de la terre, serait bien plus nouvelle que les mines de charbon de terre ordinaire, qui presque toutes s’enfoncent profondément ; mais cela n’empêche pas que les anciennes mines de charbon n’aient été formées des débris de végétaux, puisque dans les plus profondes on y reconnaît la substance ligneuse et plusieurs autres caractères qui n’appartiennent qu’aux végétaux ; d’ailleurs on a quelques exemples de bois fossiles trouvés en grandes masses et en lits fort étendus, sous des bancs de grès et sous des rochers calcaires. Voyez ce que j’en ai dit dans le premier volume, à l’article des Additions sur les bois souterrains. Il n’y a donc d’autre différence entre le vrai charbon de terre et ces bois charbonnifiés, que le plus ou moins de décomposition, et aussi le plus ou moins d’imprégnation par les bitumes ; mais le fond de leur substance est le même, et tous doivent également leur origine aux détriments des végétaux.

M. Le Monnier, premier médecin ordinaire du roi et savant botaniste, a trouvé dans le schiste ou fausse ardoise, qui traverse une masse de charbon de terre en Auvergne, les impressions de plusieurs espèces de fougères qui lui étaient presque toutes inconnues ; il croit seulement avoir remarqué l’impression des feuilles de l’osmonde royale, dont il dit n’avoir jamais vu qu’un seul pied dans toute l’Auvergne. Observations d’histoire naturelle par M. Le Monnier. Paris, 1739, page 193.

Il serait à désirer que nos botanistes fissent des observations exactes sur les impressions de plantes qui se trouvent dans les charbons de terre, dans les ardoises et dans les schistes ; il faudrait même dessiner et graver ces impressions de plantes aussi bien que celles des crustacés, des coquilles et des poissons que ces mines renferment, car ce ne sera qu’après ce travail qu’on pourra prononcer sur l’existence actuelle ou passée de toutes ces espèces, et même sur leur ancienneté relative. Tout ce que nous en savons aujourd’hui, c’est qu’il y en a plus d’inconnues que d’autres, et que dans celles qu’on voulu rapporter à des espèces bien connues, l’on a toujours trouvé des différences assez grandes pour n’être pas pleinement satisfait de la comparaison.


(24) Page 55, ligne 14. Nous pouvons démontrer, par des expériences aisées à répéter, que le verre et le grès en poudre se convertissent en peu de temps en argile par leur séjour dans l’eau.

« J’ai mis dans un vaisseau de faïence deux livres de grès en poudre, dit M. Nadault ; j’ai rempli le vaisseau d’eau de fontaine distillée, de façon qu’elle surnageait le grès d’environ trois ou quatre doigts de hauteur ; j’ai ensuite agité ce grès pendant l’espace de quelques minutes, et j’ai exposé le vaisseau en plein air : quelques jours après, je me suis aperçu qu’il s’était formé sur ce grès une couche de plus d’un quart de pouce d’épaisseur d’une terre jaunâtre très fine, très grasse et très ductile ; j’ai versé alors par inclinaison l’eau qui surnageait dans un autre vaisseau, et cette terre, plus légère que le grès, s’en est séparée, sans qu’il s’y soit mêlé : la quantité que j’en ai retirée par cette première lotion était trop considérable pour pouvoir penser que, dans un espace de temps aussi court, il eût pu se faire une assez grande décomposition de grès pour avoir produit autant de terre : j’ai donc jugé qu’il fallait que cette terre fût déjà dans le grès dans le même état que je l’en avais retirée, et qu’il se faisait peut-être ainsi continuellement une décomposition du grès dans sa propre mine ; j’ai rempli ensuite le vaisseau de nouvelle eau distillée ; j’ai agité le grès pendant quelques instants, et, trois jours après, j’ai encore trouvé sur ce grès une couche de terre de la même qualité que la première, mais plus mince de moitié ; ayant mis à part ces espèces de sécrétions, j’ai continué, pendant le cours de plus d’une année, cette même opération et ces expériences que j’avais commencées dans le mois d’avril ; et la quantité de terre que m’a produit ce grès a diminué peu à peu, jusqu’à ce qu’au bout de deux mois, en transvidant l’eau du vaisseau qui le contenait, je ne trouvais plus sur le grès qu’une pellicule terreuse qui n’avait pas une ligne d’épaisseur ; mais aussi pendant tout le reste de l’année, et tant que le grès a été dans l’eau, cette pellicule n’a jamais manqué de se former dans l’espace de deux ou trois jours, sans augmenter ni diminuer en épaisseur, à l’exception du temps où j’ai été obligé, par rapport à la gelée, de mettre le vaisseau à couvert, qu’il m’a paru que la décomposition du grès se faisait un peu plus lentement. Quelque temps après avoir mis ce grès dans l’eau, j’y ai aperçu une grande quantité de paillettes brillantes et argentées, comme le sont celles du talc, qui n’y étaient pas auparavant, et j’ai jugé que c’était là son premier état de décomposition ; que ses molécules, formées de plusieurs petites couches, s’exfoliaient, comme j’ai observé qu’il arrivait au verre dans certaines circonstances, et que ces paillettes s’atténuaient ensuite peu à peu dans l’eau, jusqu’à ce que, devenues si petites qu’elles n’avaient plus assez de surface pour réfléchir la lumière, elles acquéraient la forme et les propriétés d’une véritable terre : j’ai donc amassé et mis à part toutes les sécrétions terreuses que les deux livres de grès m’ont produites pendant le cours de plus d’une année ; et, lorsque cette terre a été bien sèche, elle pesait environ cinq onces : j’ai aussi pesé le grès après l’avoir fait sécher, et il avait diminué en pesanteur dans la même proportion, de sorte qu’il s’en était décomposé un peu plus de la sixième partie : toute cette terre était au reste de la même qualité, et les dernières sécrétions étaient aussi grasses, aussi ductiles que les premières, et toujours d’un jaune tirant sur l’orangé ; mais comme j’y apercevais encore quelques paillettes brillantes, quelques molécules de grès qui n’étaient pas entièrement décomposées, j’ai remis cette terre avec de l’eau dans un vaisseau de verre, et je l’ai laissée exposée à l’air, sans la remuer, pendant tout un été, ajoutant de temps en temps de nouvelle eau à mesure qu’elle s’évaporait : un mois après cette eau a commencé à se corrompre, et elle est devenue verdâtre et de mauvaise odeur : la terre paraissait être aussi dans un état de fermentation ou de putréfaction, car il s’en élevait une grande quantité de bulles d’air ; et, quoiqu’elle eût conservé à sa superficie sa couleur jaunâtre, celle qui était au fond du vaisseau était brune, et cette couleur s’étendait de jour en jour, et paraissait plus foncée ; de sorte qu’à la fin de l’été, cette terre était devenue absolument noire : j’ai laissé évaporer l’eau sans en remettre de nouvelle dans le vaisseau, et en ayant tiré la terre, qui ressemblait assez à de l’argile grise lorsqu’elle est humectée, je l’ai fait sécher à la chaleur du feu, et, lorsqu’elle a été échauffée, il m’a paru qu’elle exhalait une odeur sulfureuse ; mais ce qui m’a surpris davantage, c’est qu’à proportion qu’elle s’est desséchée, la couleur noire s’est un peu effacée, et elle est devenue aussi blanche que l’argile la plus blanche ; d’où on peut conjecturer que c’était par conséquent une matière volatile qui lui communiquait cette couleur brune : les esprits acides n’ont fait aucune impression sur cette terre ; et, lui ayant fait éprouver un degré de chaleur assez violent, elle n’a point rougi comme l’argile grise, mais elle a conservé sa blancheur, de sorte qu’il me paraît évident que cette matière que m’a produite le grès, en s’atténuant et en se décomposant dans l’eau, est une véritable argile blanche. » Note communiquée à M. de Buffon par M. Nadault, correspondant de l’Académie des sciences, ancien avocat général de la chambre des comptes de Dijon.


(25) Page 69, ligne 8 et suiv. Le mouvement des eaux d’orient en occident a travaillé la surface de la terre dans ce sens : dans tous les continents du monde la pente est plus rapide du côté de l’occident que du côté de l’orient. Cela est évident dans le continent de Amérique, dont les pentes sont extrêmement rapides vers les mers de l’ouest, et dont toutes les terres s’étendent en pente douce et aboutissent presque toutes à de grandes plaines du côté de la mer à l’orient. En Europe la ligne du sommet de la Grande-Bretagne, qui s’étend du nord au sud, est bien plus proche du bord occidental que de l’oriental de l’Océan ; et, par la même raison, les mers qui sont à l’occident de l’Irlande et l’Angleterre sont plus profondes que la mer qui sépare l’Angleterre et la Hollande. La ligne du sommet la Norvège est bien plus proche de l’Océan que de la mer Baltique : les montagnes du sommet général de l’Europe sont bien plus hautes vers l’occident que vers l’orient ; et, si l’on prend une partie de ce sommet depuis la Suisse jusqu’en Sibérie, il est bien plus près de la mer Baltique et de la mer Blanche qu’il ne l’est de la mer Noire et de la mer Caspienne. Les Alpes et l’Apennin règnent bien plus près de la Méditerranée que de la mer Adriatique. La chaîne de montagnes qui sort du Tyrol, et qui s’étend en Dalmatie et jusqu’à la pointe de la Morée, côtoie pour ainsi dire la mer Adriatique, tandis que les côtes orientales qui leur sont opposées sont plus basses. Si l’on suit en Asie la chaîne qui s’étend depuis les Dardanelles jusqu’au détroit de Bab-el-Mandel, on trouve que les sommets du mont Taurus, du Liban et de toute l’Arabie côtoient la Méditerranée et la mer Rouge, et qu’à l’orient ce sont de vastes continents où coulent les fleuves d’un long cours, qui vont se jeter dans le golfe Persique. Le sommet des fameuses montagnes de Gattes s’approche plus des mers occidentales que des mers orientales. Le sommet qui s’étend depuis les frontières occidentales de la Chine jusqu’à la pointe de Malaca est encore plus près de la mer d’occident que de la mer d’orient. En Afrique, la chaîne du mont Atlas envoie dans la mer des Canaries des fleuves moins longs que ceux qu’elle envoie dans l’intérieur du continent, et qui vont se perdre au loin dans des lacs et de grands marais. Les hautes montagnes qui sont à l’occident vers le cap Vert et dans toute la Guinée, lesquelles, après avoir tourné autour de Congo, vont gagner les monts de la Lune et plongent jusqu’au cap de Bonne-Espérance, occupent assez régulièrement le milieu de l’Afrique : on reconnaîtra néanmoins, en considérant la mer à l’orient et à l’occident, que celle à l’orient est peu profonde, avec grand nombre d’îles, tandis qu’à l’occident elle a plus de profondeur et très peu d’îles : en sorte que l’endroit le plus profond de la mer occidentale est bien plus près de cette chaîne que le plus profond des mers orientales ou des Indes.

On voit donc généralement, dans tous les grands continents, que les points de partage sont toujours beaucoup plus près des mers de l’ouest que des mers de l’est ; que les revers de ces continents sont tous allongés vers l’est et toujours raccourcis à l’ouest ; que les mers des rives occidentales sont plus profondes et bien moins semées d’îles que les orientales ; et même l’on reconnaîtra que dans toutes ces mers les côtes des îles sont toujours plus hautes et les mers qui les baignent plus profondes à l’occident qu’à l’orient.

NOTES SUR LA CINQUIÈME ÉPOQUE.

(26) Page 98, ligne 38. Il y a des animaux et même des hommes si brutes qu’ils préfèrent de languir dans leur ingrate terre natale à la peine qu’il faudrait prendre pour se gîter plus commodément ailleurs. Je puis en citer un exemple frappant ; les Maillés, petite nation sauvage de la Guiane, à peu de distance de l’embouchure de la rivière Ouassa, n’ont pas d’autre domicile que les arbres, au-dessus desquels ils se tiennent toute l’année, parce que leur terrain est toujours plus ou moins couvert d’eau : ils ne descendent de ces arbres que pour aller en canot chercher leur subsistance. Voilà un singulier exemple du stupide attachement à la terre natale : car il ne tiendrait qu’à ces sauvages d’aller comme les autres habiter sur la terre, en s’éloignant de quelques lieues des savanes noyées, où ils ont pris naissance et où ils veulent mourir. Ce fait, cité par quelques voyageurs[6], m’a été confirmée par plusieurs témoins qui ont vu récemment cette petite nation, composée de trois ou quatre cents sauvages : ils se tiennent en effet sur les arbres au-dessus de l’eau, ils y demeurent toute l’année : leur terrain est une grande nappe d’eau pendant les huit ou neuf mois de pluie, et pendant les quatre mois d’été la terre n’est qu’une boue fangeuse, sur laquelle il se forme une petite croûte de cinq ou six pouces d’épaisseur, composée d’herbes plutôt que de terre, et sous lesquelles on trouve une grande épaisseur d’eau croupissante et fort infecte.

NOTES SUR LA SIXIÈME ÉPOQUE.

(27) Page 108, ligne 24. La mer Caspienne était anciennement bien plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui ; cette supposition est bien fondée. « En parcourant, dit M. Pallas, les immenses déserts qui s’étendent entre le Volga, le Jaïk, la mer Caspienne et le Don, j’ai remarqué que ces steppes ou déserts sablonneux sont de toutes parts environnés d’une côte élevée qui embrasse une grande partie du lit du Jaïk, du Volga et du Don, et que ces rivières très profondes, avant que d’avoir pénétré dans cette enceinte, sont remplies d’îles et de bas-fonds, dès qu’elles commencent à tomber dans les steppes, où la grande rivière de Kuman va se perdre elle-même dans les sables. De ces observations réunies, je conclus que la mer Caspienne a couvert autrefois tous ces déserts ; qu’elle n’a eu anciennement d’autres bords que ces mêmes côtes élevées qui les environnent de toutes parts, et qu’elle a communiqué au moyen du Don avec la mer Noire, supposé même que cette mer, ainsi que celle d’Azoff, n’en ait pas fait partie[7]. »

M. Pallas est sans contredit l’un de nos plus savants naturalistes, et c’est avec la plus grande satisfaction que je le vois ici entièrement de mon avis sur l’ancienne étendue de la mer Caspienne et sur la probabilité bien fondée qu’elle communiquait autrefois avec la mer Noire.


(28) Page 112, ligne 22. La tradition ne nous a conservé que la mémoire de la submersion de la Taprobane… Il y a eu des bouleversements plus grands et plus fréquents dans l’océan Indien que dans aucune autre partie du monde. La plus ancienne tradition qui reste de ces affaissements dans les terres du midi est celle de la perte de la Taprobane, dont on croit que les Maldives et les Laquedives ont fait autrefois partie. Ces îles, ainsi que les écueils et les bancs qui règnent depuis Madagascar jusqu’à la pointe de l’Inde, semblent indiquer les sommets des terres qui réunissaient l’Afrique avec l’Asie, car ces îles ont presque toutes, du côté du nord, des terres et des bancs qui se prolongent très loin sous les eaux.

Il paraît aussi que les îles de Madagascar et de Ceylan étaient autrefois unies aux continents qui les avoisinent. Ces séparations et ces grands bouleversements dans les mers du midi ont la plupart été produits par l’affaissement des cavernes, par les tremblements de terre et par l’explosion des feux souterrains ; mais il y a eu aussi beaucoup de terres envahies par le mouvement lent et successif de la mer d’orient en occident : les endroits du monde où cet effet est le plus sensible sont les régions du Japon, de la Chine et de toutes les parties orientales de l’Asie. Ces mers, situées à l’occident de la Chine et du Japon, ne sont pour ainsi dire qu’accidentelles et peut-être encore plus récentes que notre Méditerranée.

Les îles de la Sonde, les Moluques et les Philippines ne présentent que des terres bouleversées, et sont encore pleines de volcans ; il y en a beaucoup aussi dans les îles du Japon, et l’on prétend que c’est l’endroit de l’univers le plus sujet aux tremblements de terre ; on y trouve quantité de fontaines d’eau chaude. La plupart des autres îles de l’océan Indien ne nous offrent aussi que des pics ou des sommets de montagnes isolées qui vomissent le feu. L’île de France et l’île de Bourbon paraissent deux de ces sommets, presque entièrement couverts de matières rejetées par les volcans ; ces deux îles étaient inhabitées lorsqu’on en a fait la découverte.


(29) Page 114, ligne 40. À la Guyane, les fleuves sont si voisins les uns des autres, et en même temps si gonflés, si rapides dans la saison des pluies, qu’ils entraînent des limons immenses qui se déposent sur toutes les terres basses et sur le fond de la mer en sédiments vaseux. Les côtes de la Guiane française sont si basses que ce sont plutôt des grèves toutes couvertes de vase en pente très douce, qui commence dans les terres et s’étend sur le fond de la mer à une très grande distance. Les gros navires ne peuvent approcher de la rivière de Cayenne sans toucher, et les vaisseaux de guerre sont obligés de rester à deux lieues en mer. Ces vases en pente douce s’étendent tout le long des rivages, de Cayenne jusqu’à la rivière des Amazones : l’on ne trouve dans cette grande étendue que de la vase et point de sable, et tous les bords de la mer sont couverts de palétuviers ; mais à sept ou huit lieues au-dessus de Cayenne, du côté du nord-ouest jusqu’au fleuve Marony, on trouve quelques anses dont le fond est de sable et de rochers qui forment des brisants : la vase cependant les recouvre pour la plupart, aussi bien que les couches de sable, et cette vase a d’autant plus d’épaisseur qu’elle s’éloigne davantage du bord de la mer : les petits rochers n’empêchent pas que ce terrain ne soit en pente très douce à plusieurs lieues d’étendue dans les terres. Cette partie de la Guiane, qui est au nord-ouest de Cayenne, est une contrée plus élevée que celles qui sont au sud-est : on en a une preuve démonstrative, car tout le long des bords de la mer on trouve de grandes savanes noyées qui bordent la côte, et dont la plupart sont desséchées dans la parties du nord-ouest, tandis qu’elles sont couvertes des eaux de la mer dans les parties du sud-est. Outre ces terrains noyés actuellement par la mer, il y en a d’autres plus éloignés, et qui de même étaient noyés autrefois : on trouve aussi en quelques endroits des savanes d’eau douce, mais celles-ci ne produisent point de palétuviers, et seulement beaucoup de palmiers lataniers ; on ne trouve pas une seule pierre sur toutes ces côtes basses ; la marée ne laisse pas d’y monter de sept à huit pieds de hauteur, quoique les courants lui soient opposés, car ils sont tous dirigés vers les îles Antilles. La marée est fort sensible lorsque les eaux du fleuve sont basses, et on s’en aperçoit alors jusqu’à quarante et même cinquante lieues dans ces fleuves ; mais en hiver, c’est-à-dire dans la saison des pluies, lorsque les fleuves sont gonflés, la marée y est à peine sensible à une ou deux lieues, tant le courant de ces fleuves est rapide, et il devient de la plus grande impétuosité à l’heure du reflux.

Les grosses tortues de mer viennent déposer leurs œufs sur le fond de ces anses de sable, et on ne les voit jamais fréquenter les terrains vaseux ; en sorte que, depuis Cayenne jusqu’à la rivière des Amazones, il n’y a point de tortues, et on va les pêcher depuis la rivière Courou jusqu’au fleuve Marony. Il semble que la vase gagne tous les jours du terrain sur les sables, et qu’avec le temps cette côte nord-ouest de Cayenne en sera recouverte comme la côte sud-est ; car les tortues, qui ne veulent que du sable pour y déposer leurs œufs, s’éloignent peu à peu de la rivière Courou, et depuis quelques années on est obligé de les aller chercher plus loin du côté du fleuve Marony, dont les sables ne sont pas encore couverts.

Au delà des savanes, dont les unes sont sèches et les autres noyées, s’étend un cordon de collines qui sont toutes couvertes d’une grande épaisseur de terre, plantées partout de vieilles forêts : communément ces collines ont 350 ou 400 pieds d’élévation ; mais en s’éloignant davantage on en trouve de plus élevées, et peut-être de plus du double, en s’avançant dans les terres jusqu’à dix ou douze lieues : la plupart de ces montagnes sont évidemment d’anciens volcans éteints. Il y en a pourtant une appelée la Gabrielle, au sommet de laquelle on trouve une grande mare ou petit lac, qui nourrit des caïmans en assez grand nombre, dont apparemment l’espèce s’y est conservée depuis le temps où la mer couvrait cette colline.

Au delà de cette montagne Gabrielle, on ne trouve que de petits vallons, des tertres, des mornes et des matières volcanisées qui ne sont point en grandes masses, mais qui sont brisées par petits blocs : la pierre la plus commune, et dont les eaux ont entraîné des blocs jusqu’à Cayenne, est celle que l’on appelle pierre à ravets, qui, comme nous l’avons dit, n’est point une pierre, mais une lave de volcan ; on l’a nommée pierre à ravets parce qu’elle est trouée, et que les insectes appelés ravets se logent dans les trous de cette lave.


(30) Page 116, ligne 8. La race des géants dans l’espèce humaine a été détruite depuis nombre de siècles dans les lieux de son origine en Asie. On ne peut pas douter qu’il n’y ait eu des individus géants dans tous les climats de la terre, puisque de nos jours on en voit encore naître en tout pays, et que récemment on en a vu un qui était né sur les confins de la Laponie, du côté de la Finlande. Mais on n’est pas également sûr qu’il y ait eu des races constantes, et moins encore des peuples entiers de géants[NdÉ 12] : cependant le témoignage de plusieurs auteurs anciens, et ceux de l’Écriture sainte, qui est encore plus ancienne, me paraissent indiquer assez clairement qu’il y a eu des races de géants en Asie, et nous croyons devoir présenter ici les passages les plus positifs à ce sujet. Il est dit, Nombres xiii, verset 34 : Nous avons vu les géants de la race d’Hanak, aux yeux desquels nous ne devions pas paraître plus grands que des cigales. Et par une autre version, il est dit : Nous avons vu des monstres de la race d’Énac, auprès desquels nous n’étions pas plus grands que des sauterelles. Quoique ceci ait l’air d’une exagération, assez ordinaire dans le style oriental, cela prouve néanmoins que ces géants étaient très grands.

Dans le Deutéronome, chapitre xxi, verset 20, il est parlé d’un homme très grand de la race d’Arapha, qui avait six doigts aux pieds et aux mains. Et l’on voit, par le verset 18, que cette race d’Arapha était de genere gigantum.

On trouve encore dans le Deutéronome plusieurs passages qui prouvent l’existence des géants et leur destruction : Un peuple nombreux, est-il dit, et d’une grande hauteur, comme ceux d’Énacim, que le Seigneur a détruit ; chapitre ii, verset 21. Et il est dit versets 19 et 20 : Le pays d’Ammon est réputé pour un pays de géants, dans lequel ont autrefois habité les géants que les Ammonites appellent Zomzommim.

Dans Josué, chapitre ii, verset 22, il est dit : Les seuls géants de la race d’Énacin, qui soient restés parmi les enfants d’Israël, étaient dans les villes de Gaza, de Geth et d’Azoth ; tous les autres géants de cette race ont été détruits.

Philon, saint Cyrille et plusieurs autres auteurs, semblent croire que le mot de géants n’indique que des hommes superbes et impies, et non pas des hommes d’une grandeur de corps extraordinaire ; mais ce sentiment ne peut pas se soutenir, puisque souvent il est question de la hauteur et de la force de corps de ces mêmes hommes.

Dans le prophète Amos, il est dit que le peuple d’Amores était si haut qu’on les a comparés aux cèdres, sans donner d’autres mesures à leur grande hauteur.

Og, roi de Bazan, avait la hauteur de neuf coudées, et Goliath, de dix coudées et une palme. Le lit d’Og avait neuf coudées de longueur, c’est-à-dire treize pieds et demi, et de largeur quatre coudées, qui font six pieds.

Le corselet de Goliath pesait 208 livres 4 onces, et le fer de sa lance pesait 25 livres.

Ces témoignages me paraissent suffisants pour qu’on puisse croire avec quelque fondement qu’il a autrefois existé dans le continent de l’Asie non seulement des individus, mais des races de géants qui ont été détruites, et dont les derniers subsistaient encore du temps de David ; et quelquefois la nature, qui ne perd jamais ses droits, semble remonter à ce même point de force de production et de développement car, dans presque tous les climats de la terre, il paraît de temps en temps des hommes d’une grandeur extraordinaire, c’est-à-dire de sept pieds et demi, huit et même neuf pieds ; car, indépendamment des géants bien avérés, et dont nous avons fait mention, tome II, page 232, nous pourrions citer un nombre infini d’autres exemples, rapportés par les auteurs anciens et modernes, de géants de dix, douze, quinze, dix-huit pieds de hauteur, et même encore au delà ; mais je suis bien persuadé qu’il faut beaucoup rabattre de ces dernières mesures : on a souvent pris des os d’éléphants pour des os humains ; et d’ailleurs la nature, telle qu’elle nous est connue, ne nous offre dans aucune espèce des disproportions aussi grandes, excepté peut-être dans l’espèce de l’hippopotame, dont les dents trouvées dans le sein de la terre sont au moins quatre fois plus grosses que les dents des hippopotames actuels.

Les os du prétendu roi Teutobochus[NdÉ 13], trouvés en Dauphiné, ont fait le sujet d’une dispute entre Habicot, chirurgien de Paris, et Riolan, docteur en médecine, célèbre anatomiste. Habicot a écrit dans un petit ouvrage qui a pour titre : Gigantostéologie[8], que ces os étaient dans un sépulcre de brique à 18 pieds en terre, entouré de sablon : il ne donne ni la description exacte, ni les dimensions, ni le nombre de ces os ; il prétend que ces os étaient vraiment des os humains, d’autant, dit-il, qu’aucun animal n’en possède de tels. Il ajoute que ce sont des maçons qui, travaillant chez le seigneur de Langon, gentilhomme du Dauphiné, trouvèrent, le 11 janvier 1613, ce tombeau, proche les masures du château de Chaumont ; que ce tombeau était de brique, qu’il avait 30 pieds de longueur, 12 pieds de largeur et 8 de profondeur, en comptant le chapiteau, au milieu duquel était une pierre grise sur laquelle était gravé Teutobochus Rex ; que ce tombeau ayant été ouvert, on vit un squelette humain de 25 pieds 1/2 de longueur, 10 de largeur à l’endroit des épaules, et 5 d’épaisseur ; qu’avant de toucher ces os, on mesura la tête, qui avait 5 pieds de rondeur et 10 en rondeur. (Je dois observer que la proportion de la longueur de la tête humaine avec celle du corps n’est pas d’un cinquième, mais d’un septième et demi ; en sorte que cette tête de 5 pieds supposerait un corps humain de 37 pieds 1/2 pieds de hauteur.) Enfin, il dit que la mâchoire inférieure avait 6 pieds de tour, les orbites des yeux 7 pouces de tour, chaque clavicule 4 pieds de long, et que la plupart de ces ossements se mirent en poudre après avoir été frappés de l’air.

Le docteur Riolan publia, la même année 1613, un écrit sous le nom de Gigantomachie, dans lequel il dit que le chirurgien Habicot a donné, dans sa Gigantostéologie, des mesures fausses de la grandeur du corps et des os du prétendu géant Teutobochus ; que lui, Riolan, a mesuré l’os de la cuisse, celui de la jambe, avec l’astragale joint au calcanéum, et qu’il ne leur a trouvé que 6 1/2 pieds, y compris l’os pubis, ce qui ne ferait que 13 pieds au lieu de 25 pour la hauteur du géant.

Il donne ensuite les raisons qui lui font douter que ces os soient des os humains ; et il conclut en disant que ces os présentés par Habicot ne sont pas des os humains, mais des os d’éléphant.

Un an ou deux après la publication de la Gigantostéologie d’Habicot et de la Gigantomachie de Riolan, il parut une brochure sous le titre de l’Imposture découverte des os humains supposés, et faussement attribués au roi Teutobochus ; dans laquelle on ne trouve autre chose, sinon que ces os ne sont pas des os humains, mais des os fossiles engendrés par la vertu de la terre. Et encore un autre livret, sans nom d’auteur, dans lequel il est dit qu’à la vérité il y a parmi ces os des os humains, mais qu’il y en avait d’autres qui n’étaient pas humains.

Ensuite, en 1618, Riolan publia un écrit, sous le nom de Gigantologie, où il prétend non seulement que les os en question ne sont pas des os humains, mais encore que les hommes en général n’ont jamais été plus grands qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Habicot répondit à Riolan dans la même année 1618 ; et il dit qu’il a offert au roi Louis XIII sa Gigantostéologie, et qu’en 1613, sur la fin de juillet, on exposa aux yeux du public les os énoncés dans cet ouvrage, et que ce sont vraiment des os humains : il cite un grand nombre d’exemples, tirés des auteurs anciens et modernes, pour prouver qu’il a eu des hommes d’une grandeur excessive. Il persiste à dire que les os calcanéum, tibia et fémur du géant Teutobochus étant joints les uns avec les autres, portaient plus de 11 pieds de hauteur.

Il donne ensuite les lettres qui lui ont été écrites dans le temps de la découverte de ces os, et qui semblent confirmer la réalité du fait du tombeau et des os du géant Teutobochus. Il paraît par la lettre du seigneur de Langon, datée de Saint-Marcelin en Dauphiné, et par une autre du sieur Masurier, chirurgien à Beaurepaire qu’on avait trouvé des monnaies d’argent avec les os. La première lettre est conçue dans les termes suivants : « Comme Sa Majesté désire d’avoir le reste des os du roi Teutobochus, avec la monnaie d’argent qui s’y est trouvée, je puis vous dire d’avance que vos parties adverses sont très mal fondées, et que s’ils savaient leur métier, ils ne douteraient pas que ces os ne soient véritablement des os humains. Les docteurs en médecine de Montpellier se sont transportés ici, et auraient bien voulu avoir ces os pour de l’argent. M. le maréchal de Lesdiguières les a fait porter à Grenoble pour les voir, et les médecins et chirurgiens de Grenoble les ont reconnus pour os humains ; de sorte qu’il n’y a que les ignorants qui puissent nier cette vérité, etc. » Signé Langon.

Au reste, dans cette dispute, Riolan et Habicot, l’un médecin et l’autre chirurgien, se sont dit plus d’injures qu’ils n’ont écrit de faits et de raisons. Ni l’un ni l’autre n’ont eu assez de sens pour décrire exactement les os dont il est question ; mais tous deux, emportés par l’esprit de corps et de parti, ont écrit de manière à ôter toute confiance. Il est donc très difficile de prononcer affirmativement sur l’espèce de ces os ; mais s’ils ont été en effet trouvés dans un tombeau de brique, avec un couvercle de pierre, sur lequel était l’inscription Teutobochus Rex ; s’il s’est trouvé des monnaies dans ce tombeau ; s’il ne conte qu’un seul cadavre de 24 ou 25 pieds de longueur ; si la lettre du seigneur de Langon contient vérité, on ne pourrait guère douter du fait essentiel, c’est-à-dire de l’existence d’un géant de 24 pieds de hauteur, à moins de supposer un concours fort extraordinaire de circonstances mensongères ; mais aussi le fait n’est pas prouvé d’une manière assez positive, pour ne qu’on doive pas en douter beaucoup. Il est vrai que plusieurs auteurs, d’ailleurs dignes de foi, ont parlé de géants aussi grands et encore plus grands. Pline[9] rapporte que par un tremblement de terre en Crète, une montagne s’étant entr’ouverte, on y trouva un corps de 16 coudées, que les uns ont dit être le corps d’Otus, et d’autres celui Orion. Les 16 coudées donnent 24 pieds de longueur ; c’est-à-dire la même que celle du roi Teutobochus.

On trouve dans Mémoire de M. Le Cat, académicien de Rouen, une énumération de plusieurs géants d’une grandeur excessive, savoir, deux géants dont les squelettes furent trouvés par les Athéniens près de leur ville, l’un de 36 et l’autre de 34 pieds de hauteur ; un autre de 30 pieds trouvé en Sicile près de Palerme, en 1548 ; un autre de 33 pieds, trouvé de même en Sicile en 1550 ; encore un autre trouvé, de même en Sicile près de Mazarino, qui avait 30 pieds de hauteur.

Malgré tous ces témoignages, je crois qu’on aura bien de la peine à se persuader qu’il ait jamais existé des hommes de 30 ou 36 pieds de hauteur ; ce serait déjà bien trop que de ne pas se refuser à croire qu’il y en a eu de 24 : cependant les témoignages se multiplient, deviennent plus positifs, et vont pour ainsi dire par nuances d’accroissement à mesure que l’on descend. M. Le Cat rapporte qu’on trouva en 1705, près des bords de la rivière Morderi, au pied de la montagne de Crussol, le squelette d’un géant de 22 1/2 pieds de hauteur ; et que les dominicains de Valence ont une partie de sa jambe avec l’articulation du genou.

Platerus, médecin célèbre, atteste qu’il a vu à Lucerne le squelette d’un homme de 19 pieds au moins de hauteur.

Le géant Ferragus, tué par Rolland, neveu de Charlemagne, avait 18 pieds de hauteur.

Dans les cavernes sépulcrales de l’île de Ténériffe, on a trouvé le squelette d’un guanche qui avait 15 pieds de hauteur, et dont la tête avait quatre-vingts dents. Ces trois faits sont rapportés, précédents, dans le Mémoire de M. Le Cat sur les géants. Il cite encore un squelette trouvé dans un fossé près du couvent des dominicains de Rouen, dont le crâne tenait un boisseau de blé, et dont l’os de la jambe avait environ 4 pieds de longueur, ce qui donne pour la hauteur du corps entier 17 à 18 pieds. Sur la tombe de ce géant était une inscription gravée où on lisait : Ci-gît noble et puissant seigneur le chevalier Ricon de Valmont et ses os.

On trouve, dans le Journal littéraire de l’abbé Nazari, que dans la haute Calabre, au mois de juin 1665, on déterra dans les jardins du seigneur de Tiviolo, un squelette de 18 pieds romains de longueur ; que la tête avait 2 1/2 pieds ; que chaque dent molaire pesait environ environ une once et un tiers, et les autres dents trois quarts d’once, et que ce squelette était couché sur une masse de bitume.

Hector Boëtius, dans son Histoire de l’Écosse, livre vii, rapporte que l’on conserve encore quelques os d’un homme, nommé par contre-vérité le Petit-Jean, qu’on croit avoir eu 14 pieds de hauteur, c’est-à-dire 13 pieds 2 pouces 6 lignes de France.

On trouve dans le Journal des Savants, année 1692, une lettre du P. Gentil, prêtre de l’Oratoire, professeur de philosophie à Angers, où il dit qu’ayant eu avis de la découverte qui était faite d’un cadavre gigantesque dans le bourg de Lassé, à neuf lieues de cette ville, il fut lui-même sur les lieux pour s’informer du fait. Il apprit que le curé du lieu ayant fait creuser dans son jardin, on avait trouvé un sépulcre qui renfermait un corps de 17 pieds 2 pouces de long qui n’avait plus de peau. Ce cadavre avait d’autres corps entre ses bras et ses jambes, qui pouvaient être ses enfants. On trouva dans le même lieu quatorze ou quinze autres sépulcres, les uns de 10 pieds, les autres de 12 et d’autres même de 15 pieds, qui renfermaient des corps de même longueur. Le sépulcre de ce géant resta exposé à l’air pendant plus d’un an ; mais comme cela attirait trop de visites au curé, il l’a fait recouvrir de terre et planter trois arbre sur la place. Ces sépulcres sont d’une pierre semblable à la craie.

Thomas Molineux a vu, aux écoles de médecine de Leyde, un os frontal humain prodigieux ; sa hauteur, prise depuis sa jonction aux os du nez jusqu’à la suture sagittale, était de 9 1/12 pouces, sa largeur de 9 2/10 pouces, son épaisseur d’un demi-pouce, c’est-à-dire que chacune de ces dimensions était double de la dimension correspondante à l’os frontal, tel qu’il est dans les hommes de taille ordinaire ; en sorte que l’homme à qui cet os gigantesque a appartenu était probablement une fois plus grand que les hommes ordinaires, c’est-à-dire qu’il avait 11 pieds de haut. Cet os était très certainement un os frontal humain ; et il ne paraît pas qu’il eût acquis ce volume par un vice morbifique ; car son épaisseur était proportionnée à ses autres dimensions, ce qui n’a pas lieu dans les os viciés[10].

Dans le cabinet de M. Witreu à Amsterdam, M. Klein dit avoir vu un os frontal, d’après lequel il lui parut que l’homme auquel il avait appartenu avait 13 pieds 4 pouces de hauteur, c’est-à-dire environ 12 1/2 pieds de France[11].

D’après tous les faits que je viens d’exposer, et ceux que j’ai discutés ci-devant au sujet des Patagons, je laisse à mes lecteurs le même embarras où je suis pour pouvoir prononcer sur l’existence réelle de ces géants de 24 pieds : je ne puis me persuader qu’en aucun temps et par aucun moyen, aucune circonstance, le corps humain ait pu s’élever à des dimensions aussi démesurées ; mais je crois en même temps qu’on ne peut guère douter qu’il n’y ait eu des géants de 10, 12 et peut-être de 15 pieds de hauteur ; et qu’il est presque certain que dans les premiers âges de la nature vivante, il a existé non seulement des individus gigantesques en grand nombre, mais même quelques races constantes et successives de géants, dont celle des Patagons est la seule qui se soit conservée[NdÉ 14].


(31) Page 117, ligne 16. On trouve au-dessus des Alpes une étendue immense et presque continue de vallées, de plaines et de montagnes de glace, etc.[NdÉ 15]. Voici ce que M. Grouner et quelques autres bons observateurs et témoins oculaires rapportent à ce sujet.

Dans les plus hautes régions des Alpes, les eaux provenant annuellement de la fonte des neiges se gèlent dans tous les aspects et à tous les points de ces montagnes, depuis leurs bases jusqu’à leurs sommets, surtout dans les vallons et sur le penchant de celles qui sont groupées ; en sorte que les eaux ont dans ces vallées formé des montagnes qui ont des roches pour noyau, et d’autres montagnes qui sont entièrement de glace, lesquelles ont six, sept à huit lieues d’étendue en longueur, sur une lieue de largeur, et souvent mille à douze cents toises de hauteur : elles rejoignent les autres montagnes par leur sommet. Ces énormes amas de glace gagnent de l’étendue en se prolongeant dans les vallées ; en sorte qu’il est démontré que toutes les glacières s’accroissent successivement, quoique, dans les années chaudes et pluvieuses, non seulement leur progression soit arrêtée, mais même leur masse immense diminuée… La hauteur de la congélation, fixée à 2 440 toises sous l’équateur pour les hautes montagnes isolées, n’est point une règle pour les groupes de montagnes gelées depuis leur base jusqu’à leur sommet ; elles ne dégèlent jamais. Dans les Alpes, la hauteur du degré de congélation pour les montagnes isolées est fixée à 1 500 toises d’élévation, et toute la partie au-dessous de cette hauteur se dégèle entièrement ; tandis que celles qui sont entassées gèlent à une moindre hauteur, et ne dégèlent jamais dans aucun point de leur élévation depuis leur base, tant le degré de froid est augmenté par les masses de matières congelées réunies dans un même espace.

Toutes les montagnes glaciales de la Suisse réunies occupent une étendue de 66 lieues du levant au couchant, mesurées en ligne droite, depuis les bornes occidentales du canton de Vallis, vers la Savoie, jusqu’aux bornes orientales du canton de Bendner, vers Tyrol ; ce qui forme une chaîne interrompue, dont plusieurs bras s’étendent du midi au nord sur une longueur d’environ 36 lieues. Le grand Gothard, le Fourk et le Grimsel sont les montagnes les plus élevées de cette partie ; elles occupent le centre de ces chaînes qui divisent la Suisse en deux parties : elles sont toujours couvertes de neige et de glace, ce qui leur a fait donner le nom générique de Glacières.

L’on divise les glacières en montagnes glacées, vallons de glace, champs de glace ou mers glaciales, et en gletchers ou amas de glaçons.

Les montagnes glacées sont ces grosses masses de rochers qui s’élèvent jusqu’aux nues, et qui sont toujours couvertes de neige et de glace.

Les vallons de glace sont des enfoncements qui sont beaucoup plus élevés entre les montagnes que les vallons inférieurs ; ils sont toujours remplis de neige, qui s’y accumule et forme des monceaux de glace qui ont plusieurs lieues d’étendue, et qui rejoignent les hautes montagnes.

Les champs de glace ou mers glaciales sont des terrains en pente douce, qui sont dans le circuit des montagnes ; ils ne peuvent être appelés vallons, parce qu’ils n’ont pas assez de profondeur : ils sont couverts d’une neige épaisse. Ces champs reçoivent l’eau de la fonte des neiges qui descendent des montagnes et qui regèlent : la surface de ces glaces fond et gèle alternativement, et tous ces endroits sont couverts de couches épaisses de neige et de glace.

Les gletchers sont des amas de glaçons formés par les glaces et les neiges qui sont précipitées des montagnes : ces neiges se regèlent et s’entassent en différentes manières ; ce qui fait qu’on divise les gletchers en monts, en revêtements et en murs de glace.

Les monts de glace s’élèvent entre les sommets des hautes montagnes : ils ont eux-mêmes la forme de montagnes ; mais il n’entre point de rochers dans leur structure : ils sont composés entièrement de pure glace, qui a quelquefois plusieurs lieues en longueur, une lieue de largeur et une demi-lieue d’épaisseur.

Les revêtements de glaçons sont formés dans les vallées supérieures et sur les côtes des montagnes qui sont recouvertes comme des draperies de glaces taillées en pointes ; elles versent leurs eaux superflues dans les vallées inférieures.

Les murs de glace sont des revêtements escarpés qui terminent les vallées de glace qui ont une forme aplatie, et qui paraissent de loin comme des mers agitées dont les flots ont été saisis et glacés dans le moment de leur agitation. Ces murs ne sont point hérissés de pointes de glace ; souvent ils forment des colonnes, des pyramides et des tours énormes par leur hauteur et leur grosseur, taillées à plusieurs faces, quelquefois hexagones et de couleur bleue ou vert céladon.

Il se forme aussi sur les côtes et au pied des montagnes des amas de neige, qui sont ensuite arrosés par l’eau des neiges fondues et recouvertes de nouvelles neiges. L’on voit des glaçons qui s’accumulent en tas, qui ne tiennent ni aux vallons, ni aux monts de glace : leur position est ou horizontale ou inclinée ; tous ces amas détachés se nomment lits ou couches de glaces

La chaleur intérieure de la terre mine plusieurs de ces montagnes de glaces par-dessous, et y entretient des courants d’eau qui fondent leurs surfaces inférieures ; alors les masses s’affaissent insensiblement par leur propre poids, et leur hauteur est réparée par les eaux, les neiges et les glaces qui viennent successivement les recouvrir ; ces affaissements occasionnent souvent des craquements horribles ; les crevasses qui s’ouvrent dans l’épaisseur des glaces forment des précipices aussi fâcheux qu’ils sont multipliés. Ces abîmes sont d’autant plus perfides et funestes qu’ils sont ordinairement recouverts de neige. Les voyageurs, les curieux et les chasseurs qui courent les daims, les chamois, les bouquetins, ou qui font la recherche des mines de cristal, sont souvent engloutis dans les gouffres et rejetés sur la surface par les flots qui s’élèvent du fond de ces abîmes.

Les pluies douces fondent promptement les neiges ; mais toutes les eaux qui en proviennent ne se précipitent pas dans les abîmes inférieurs par les crevasses ; une grande partie se regèle, et, tombant sur la surface des glaces, en augmente le volume.

Les vents chauds du midi, qui règnent ordinairement dans le mois de mai, sont les par agents les plus puissants qui détruisent les neiges et les glaces ; alors leur fonte, annoncée par le bruissement des lacs glacés et par le fracas épouvantable du choc des pierres et des glaces qui se précipitent confusément du haut des montagnes, porte de toutes parts dans les vallées inférieures les eaux des torrents, qui tombent du haut des rochers de plus de 1 200 pieds de hauteur.

Le soleil n’a que peu de prise sur les neiges et sur les glaces pour en opérer la fonte. L’expérience a prouvé que ces glaces formées pendant un laps de temps très long, sous des fardeaux énormes, dans un degré de froid si multiplié et d’eau si pure, que ces glaces, dis-je, étaient d’une matière si dense et si purgée d’air que de petits glaçons exposés au soleil le plus ardent dans la plaine, pendant un jour entier, s’y fondaient à peine.

Quoique la masse de ces glacières fonde en partie tous les ans dans les trois mois de l’été, que les pluies, les vents et la chaleur, plus actifs dans certaines années, détruisent les progrès que les glaces ont faits pendant plusieurs autres années, cependant il est prouvé que ces glacières prennent un accroissement constant et qu’elles s’étendent ; les annales du pays le prouvent ; des actes authentiques le démontrent, et la tradition est invariable sur ce sujet. Indépendamment de ces autorités et des observations journalières, cette progression des glacières est prouvée par des forêts de mélèzes qui ont été absorbées par les glaces, et dont la cime de quelques-uns de ces arbres surpasse encore la surface des glacières ; ce sont des témoins irréprochables qui attestent le progrès des glacières, ainsi que le haut des clochers d’un village qui a été englouti sous les neiges, et que l’on aperçoit lorsqu’il se fait des fontes extraordinaires. Cette progression des glacières ne peut avoir d’autre cause que l’augmentation de l’intensité du froid, qui s’accroît, dans les montagnes glacées, en raison des masses de glaces ; et il est prouvé que dans les glacières de Suisse le froid est aujourd’hui plus vif, mais moins long que dans l’Islande, dont les glacières, ainsi que celles de Norvège, ont beaucoup de rapport avec celles de la Suisse.

Le massif des montagnes glacées de la Suisse est composé comme celui de toutes les hautes montagnes : le noyau est une roche vitreuse qui s’étend jusqu’à leur sommet ; la partie au-dessous, à commencer du point où elles ont été couvertes des eaux de la mer, est composée en revêtement de pierre calcaire, ainsi que tout le massif des montagnes d’un ordre inférieur, qui sont groupées sur la base des montagnes primitives de ces glacières ; enfin ces masses calcaires ont pour base des schistes produits par le dépôt du limon des eaux.

Les masses vitreuses sont des rocs vifs, des granits, des quartz ; leurs fentes sont remplies de métaux, de demi-métaux, de substances minérales et de cristaux.

Les masses calcinables sont des pierres à chaux, des marbres de toutes les espèces en couleurs et variétés, des craies, des gypses, des spaths et des albâtres, etc.

Les masses schisteuses sont des ardoises de différentes qualités et couleur, qui contiennent des plantes et des poissons, et qui sont souvent posées à des hauteurs assez considérables : leur lit n’est pas toujours horizontal ; il est souvent incliné, même sinueux et perpendiculaire en quelques endroits.

L’on ne peut révoquer en doute l’ancien séjour des eaux de la mer sur les montagnes qui forment aujourd’hui ces glacières ; l’immense quantité de coquilles qu’on y trouve l’atteste, ainsi que les ardoises et les autres pierres de ce genre. Les coquilles y sont ou distribuées par familles, ou bien elles sont les unes avec les autres, et l’on y en trouve de très grandes hauteurs.

Il y a lieu de penser que ces montagnes n’ont pas formé des glacières continues dans la haute antiquité, pas même depuis que les eaux de la mer les ont abandonnées, quoiqu’il paraisse par leur très grand éloignement des mers, qui est de près de cent lieues, et par leur excessive hauteur, qu’elles ont été les premières qui sont sorties des eaux sur le continent de l’Europe. Elles ont eu anciennement leurs volcans ; il parait que le dernier qui s’est éteint était celui de la montagne de Myssenberg, dans le canton de Schwitz : ces deux principaux sommets, qui sont très hauts et isolés, sont terminés coniquement, comme toutes les bouches de volcan ; et l’on voit encore le cratère de l’un de ces cônes, qui est creusé à une très grande profondeur.

M. Bourrit, qui eut le courage de faire un grand nombre de courses dans les glacières de Savoie, dit « qu’on ne peut douter de l’accroissement de toutes les glacières des Alpes ; que la quantité de neige qui est tombée pendant les hivers l’a emporté sur la quantité fondue pendant les étés ; que non seulement la même cause subsiste, mais que ces amas de glaces déjà formés doivent l’augmenter toujours plus, puisqu’il en résulte et plus de neige et une moindre fonte… Ainsi il n’y a pas de doute que les glacières n’aillent en augmentant, et même dans une progression croissante[12]. »

Cet observateur infatigable a fait un grand nombre de courses dans les glacières, et en parlant de celle du Glatchers ou glacières des Bossons, il dit « qu’il paraît s’augmenter tous les jours ; que le sol qu’il occupe présentement était, il y a quelques années, un champ cultivé, et que les glaces augmentent encore tous les jours[13]. Il rapporte que l’accroissement des glaces paraît démontré non seulement dans cet endroit, mais dans plusieurs autres ; que l’on a encore le souvenir d’une communication qu’il y avait autrefois de Chamouny à la Val-d’Aost, et que les glaces l’ont absolument fermée ; que les glaces en général doivent s’être accrues en s’étendant d’abord de sommités en sommités, et ensuite de vallées en vallées, et que c’est ainsi que s’est faite la communication des glaces du mont Blanc avec celles des autres montagnes et glacières du Valais et de la Suisse[14]. Il paraît, dit-il ailleurs, que tous ces pays de montagne n’étaient pas anciennement aussi remplis de neiges et de glaces qu’ils le sont aujourd’hui… L’on ne date que depuis quelques siècles les désastres arrivés par l’accroissement des neiges et des glaces, par leur accumulation dans plusieurs vallées, par la chute des montagnes elles-mêmes et des rochers : ce sont ces accidents continuels et cette augmentation annuelle des glaces qui peuvent seuls rendre raison de ce que l’on sait de l’histoire de ce pays touchant le peuple qui l’habitait anciennement[15]. »


(32) Page 120, ligne 6. Car, malgré ce qu’en ont dit les Russes, il est très douteux qu’ils aient doublé la pointe septentrionale de l’Asie. M. Engel, qui regarde comme impossible le passage au nord-ouest par les baies de Hudson et de Baffin, paraît au contraire persuadé qu’on trouvera un passage plus court et plus sûr par le nord-est, et il ajoute aux raisons assez faibles qu’il en donne un passage de M. Gmelin qui, parlant des tentatives faites par les Russes pour trouver ce passage au nord-est, dit que la manière dont on a procédé à ces découvertes sera en son temps le sujet du plus grand étonnement de tout le monde, lorsqu’on en aura la relation authentique ; ce qui dépend uniquement, ajoute-t-il, de la haute volonté de l’impératrice. « Quel sera donc, dit M. Engel, ce sujet d’étonnement, si ce n’est d’apprendre que le passage regardé jusqu’à présent comme impossible est très praticable ? Voilà le seul fait, ajoute-t-il, qui puisse surprendre ceux qu’on a tâché d’effrayer par des relations publiées à dessein de rebuter les navigateurs, etc.[16] »

Je remarque d’abord qu’il faudrait être bien assuré des choses avant de faire à la nation cette imputation : en second lieu, elle me paraît mal fondée, et les paroles de M. Gmelin pourraient bien signifier tout le contraire de l’interprétation que leur donne M. Engel, c’est-à-dire qu’on sera fort étonné, lorsque l’on saura qu’il n’existe point de passage praticable, au nord-est ; et ce qui me confirme dans cette opinion, indépendamment des raisons générales que j’en ai données, c’est que les Russes eux-mêmes n’ont nouvellement tenté des découvertes qu’en remontant de Kamtschatka, et point du tout en descendant de la pointe de l’Asie. Les capitaines Behring et Tschirikow ont, en 1741, reconnu des parties de côte de l’Amérique jusqu’au 59e degré ; et ni l’un ni l’autre ne sont venus par la mer du Nord le long des côtes de l’Asie. Cela prouve que le passage n’est pas aussi praticable que le suppose M. Engel ; ou, pour mieux dire, cela prouve que les Russes savent qu’il n’est pas praticable ; sans quoi ils eussent préféré d’envoyer leurs navigateurs par cette route, plutôt que de les faire partir de Kamtschatka, pour faire la découverte de l’Amérique occidentale.

M. Muller, envoyé avec M. Gmelin par l’impératrice en Sibérie, est d’un avis bien différent de M. Engel. Après avoir comparé toutes les relations, M. Muller conclut par dire qu’il n’y a qu’une très petite séparation entre l’Asie et l’Amérique, et que ce détroit offre une ou plusieurs îles, qui servent de route ou de stations communes aux habitants des deux continents. Je crois cette opinion bien fondée, et M. Muller rassemble un grand nombre de faits pour l’appuyer. Dans les demeures souterraines des habitants de l’île Karaga, ont voit des poutres faites de grands arbres de sapin, que cette île ne produit point, non plus que les terres du Kamtschatka, dont elle est très voisine : les habitants disent que ce bois leur vient par un vent d’est qui l’amène sur leurs côtes. Celles du Kamtschatka reçoivent, du même côté, des glaces que la mer orientale y pousse en hiver, deux à trois jours de suite. On y voit en certains temps des vols d’oiseaux, qui, après un séjour de quelques mois, retournent à l’est, d’où ils étaient arrivés. Le continent opposé à celui de l’Asie vers le nord descend donc jusqu’à la latitude du Kamtschatka : ce continent doit être celui de l’Amérique occidentale. M. Muller[17], après avoir donné le précis de cinq ou six voyages tentés par la mer du Nord pour doubler la pointe septentrionale de l’Asie, finit par dire que tout annonce l’impossibilité de cette navigation, et il le prouve par les raisons suivantes. Cette navigation devrait se faire dans un été ; or, l’intervalle depuis Archangel à l’Oby, et de ce fleuve au Jenisey, demande une belle saison tout entière : le passage du Waigat a coûté des peines infinies aux Anglais et aux Hollandais : au sortir de ce détroit glacial, on rencontre des îles qui ferment le chemin ; ensuite le continent, qui forme un cap entre les fleuves Piasida et Chatanga, s’avançant au delà du 76e degré de latitude, est de même bordé d’une chaîne d’îles, qui laissent difficilement un passage à la navigation. Si l’on veut s’éloigner des côtes et gagner la haute mer vers le pôle, les montagnes de glaces presque immobiles qu’on trouve au Groënland et au Spitzberg, n’annoncent-elles pas une continuité de glaces jusqu’au pôle ? Si l’on veut longer les côtes, cette navigation est moins aisée qu’elle ne l’était il y a cent ans : l’eau de l’Océan y a diminué sensiblement. On voit encore, loin des bords que baigne la mer Glaciale, les bois qu’elle a jetés sur des terres qui jadis lui servaient de rivage : ces bords y sont si peu profonds, qu’on ne pourrait y employer que des bateaux très plats, qui, trop faibles pour résister aux glaces, ne sauraient fournir une longue navigation, ni se charger des provisions qu’elle exige. Quoique les Russes aient des ressources et des moyens que n’ont pas la plupart des autres nations européennes pour fréquenter ces mers froides, on voit que les voyages tentés sur la mer Glaciale n’ont pas encore ouvert une route de l’Europe et de l’Asie à l’Amérique ; et ce n’est qu’en partant de Kamtschatka ou d’un autre point de l’Asie la plus orientale qu’on a découvert quelques côtes de l’Amérique occidentale.

Le capitaine Behring partit du port d’Awatscha en Kamtschatka le 4 juin 1741. Après avoir couru au sud-est et remonté au nord-est, il aperçut le 18 du mois suivant le continent de l’Amérique à 58° 28′ de latitude : deux jours après, il mouilla près d’une île enfoncée dans une baie. De là voyant deux caps, il appela l’un, à l’orient, Saint-Élie, et l’autre, au couchant, Saint-Hermogène. Ensuite il dépêcha Chitrou, l’un de ses officiers, pour reconnaître et visiter le golfe où il venait d’entrer. On le trouva coupé ou parsemé d’îles : une, entre autres, offrit des cabanes désertes ; elles étaient de planches bien unies, et même échancrées. On conjectura que cette île pouvait avoir été habitée par quelques peuples du continent de l’Amérique. M. Steller, envoyé pour faire des observations sur ces terres nouvellement découvertes, trouva une cave ou l’on avait mis une provision de saumon fumé et laissé des cordes, des meubles et des ustensiles ; plus loin, il vit fuir des Américains à son aspect. Bientôt on aperçut du feu sur une colline assez éloignée : les sauvages sans doute s’y étaient retirés ; un rocher escarpé y couvrait leur retraite[18].

D’après l’exposé de ces faits, il est aisé de juger que ce ne sera jamais qu’en partant de Kamtschatka que les Russes pourront faire le commerce de la Chine et du Japon, et qu’il est aussi difficile, pour ne pas dire impossible, qu’aux autres nations de l’Europe de passer par les mers du nord-est, dont la plus grande partie est entièrement glacée : je ne crains donc pas de répéter que le seul passage possible est par le nord-ouest, au fond de la baie d’Hudson, et que c’est l’endroit auquel les navigateurs doivent s’attacher pour trouver ce passage si désiré et si évidemment utile.

Comme j’avais déjà livré à l’impression toutes les feuilles précédentes de ce volume, j’ai reçu de la part de M. le comte Schouvaloff, ce grand homme d’État que toute l’Europe estime et respecte, j’ai reçu, dis-je, en date du 27 octobre 1877, un excellent Mémoire composé par M. de Domascheneff, président de la Société impériale de Pétersbourg, et auquel l’impératrice a confié à juste titre le département qui a rapport aux sciences et aux arts. Cet illustre savant m’a en même temps envoyé une copie faite à la main de la carte du pilote Otcheredin, dans laquelle sont représentées les routes et les découvertes qu’il a faites, en 1770 et 1773, entre le Kamtschatka et le continent de l’Amérique ; M. de Domascheneff observe dans son Mémoire que cette carte du pilote Otcheredin est la plus exacte de toutes, celle qui a été donnée en 1773 par l’Académie de Pétersbourg doit être réformée en plusieurs points, et notamment sur la position des îles et le prétendu archipel, qu’on y a représenté entre les îles Aleutes ou Aleoutes et celles d’Anadir, autrement appelées îles d’Andrien. La carte du pilote Otcheredin semble démontrer en effet que ces deux groupes des îles Aleutes et des îles Andrien sont séparés par une mer libre de plus de cent lieues d’étendue. M. de Domascheneff assure que la grande carte générale de l’empire de Russie, qu’on vient de publier cette année 1777, représente exactement les côtes de toute l’extrémité septentrionale de l’Asie habitée par les Tschutschis ; il dit que cette carte a été dressée d’après les connaissances les plus récentes, acquises par la dernière expédition du major Pawluzki contre ce peuple. « Cette côte, dit M. de Domascheneff, termine la grande chaîne de montagnes, laquelle sépare toute la Sibérie de l’Asie méridionale, et finit en se partageant entre la chaîne qui parcourt le Kamtschatka et celles qui remplissent toutes les terres entre les fleuves qui coulent à l’est du Léna. Les îles reconnues entre les côtes du Kamtschatka et celles de l’Amérique sont montagneuses, ainsi que les côtes de Kamtschatka et celles du continent de l’Amérique : il y a donc une continuation bien marquée entre les chaînes de montagnes de ces deux continents, dont les interruptions, jadis peut-être moins considérables, peuvent avoir été élargies par le dépérissement de la roche, par des courants continuels qui entrent de la mer Glaciale vers la grande mer du Sud, et par les catastrophes du globe. »

Mais cette chaîne sous-marine qui joint les terres du Kamtschatka avec celles de l’Amérique est plus méridionale de sept ou huit degrés que celle des îles Anadir ou Adrien, qui, de temps immémorial, ont servi de passage aux Tschutschis pour aller en Amérique.

M. de Domascheneff dit qu’il est certain que cette traversée de la pointe de l’Asie au continent de l’Amérique se fait à la rame, et que ces peuples y vont trafiquer des ferrailles russes avec des Américains ; que les îles qui sont sur ce passage sont si fréquentes, qu’on peut coucher toutes les nuits à terre, et que le continent de l’Amérique où les Tschutschis commercent est montagneux et couvert de forêts peuplées de renards, de martres et de zibelines, dont ils rapportent des fourrures de qualités et de couleurs toutes différentes de celles de Sibérie. Ces îles septentrionales situées entre les deux continents ne sont guère connues que des Tschutschis ; elles forment une chaîne entre la pointe la plus orientale de l’Asie et le continent de l’Amérique, sous le 64e degré ; et cette chaîne est séparée, par une mer ouverte, de la seconde chaîne plus méridionale, dont nous venons de parler, située sous le 56e degré, entre le Kamtschatka et l’Amérique : ce sont les îles de cette seconde chaîne que les Russes et les habitants de Kamtschatka fréquentent pour la chasse des loutres marines et des renards noirs, dont les fourrures sont très précieuses. On avait connaissance de ces îles, même des plus orientales dans cette dernière chaîne, avant l’année 1750 : l’une de ces îles porte le nom du commandeur Behring, une autre assez voisine s’appelle l’île Medenoi ; ensuite on trouve les quatre îles Aleutes ou Aleoutes, les deux premières situées un peu au-dessus et les dernières un peu au-dessous du 55e degré ; ensuite on trouve, environ au 56e degré, les îles Atkhou et Amlaïgh, qui sont les premières de la chaîne des îles aux Renards, laquelle s’étend vers le nord-est jusqu’au 61e degré de latitude : le nom de ces îles est venu du nombre prodigieux de renards qu’on y a trouvés. Les deux îles du commandeur Behring et de Medenoi étaient inhabitées lorsqu’on en fit la découverte ; mais on a trouvé dans les îles Aleutes, quoique plus avancées vers l’orient, plus d’une soixantaine de familles, dont la langue ne se rapporte ni à celle de Kamtschatka, ni à aucune de celles de l’Asie orientale, et n’est qu’un dialecte de la langue que l’on parle dans les autres îles voisines de l’Amérique ; ce qui semblerait indiquer qu’elles ont été peuplées par les Américains, et non par les Asiatiques.

Les îles nommées par l’équipage de Behring l’île Saint-Julien, Saint-Théodore, Saint-Abraham, sont les mêmes que celles qu’on appelle aujourd’hui les îles Aleutes ; et de même l’île de Chommaghin, et celle de Saint-Dolmat, indiquées par ce navigateur, font partie de celles qu’on appelle îles aux Renards.

« La grande distance, dit M. de Domascheneff, et la mer ouverte et profonde qui se trouve entre les îles Aleutes et les îles aux Renards, jointes au gisement différent de ces dernières, peuvent faire présumer que ces îles ne forment pas une chaîne marine continue ; mais que les premières, avec celles de Medenoi et de Behring, font une chaîne marine qui vient du Kamschatka, et que les îles aux Renards en représentent une autre issue de l’Amérique ; que l’une et l’autre de ces chaînes vont généralement se perdre dans la profondeur de la grande mer, et sont des promontoires des deux continents. La suite des îles aux Renards, dont quelques-unes sont d’une grande étendue, est entremêlée d’écueils et de brisants, et se continue sans interruption jusqu’au continent de l’Amérique ; mais celles qui sont les plus voisines de ce continent sont très peu fréquentées par les barques de chasseurs russes, parce qu’elles sont fort peuplées, et qu’il serait dangereux d’y séjourner : il y a plusieurs de ces îles voisines de la terre ferme de l’Amérique qui ne sont pas encore bien reconnues. Quelques navires ont cependant pénétré jusqu’à l’île de Kadjak, qui est très voisine du continent de l’Amérique ; l’on en est assuré tant sur le rapport des insulaires que par d’autres raisons : une de ces raisons est qu’au lieu que toutes les îles plus occidentales ne produisent que des arbrisseaux rabougris et rampants que les vents de pleine mer empêchent de s’élever, l’île de Kadjak, au contraire, et les petites îles voisines produisent des bosquets d’aunes qui semblent indiquer qu’elles se trouvent moins à découvert, et qu’elles sont garanties au nord et à l’est par un continent voisin. De plus, on y a trouvé des loutres d’eau douce qui ne se voient point aux autres îles, de même qu’une petite marmotte, qui paraît être la marmotte du Canada ; enfin l’on y a remarqué des traces d’ours et de loups, et les habitants se vêtissent de peaux de rennes, qui leur viennent du continent de l’Amérique, dont ils sont très voisins.

» On voit par la relation d’un voyage poussé jusqu’à l’île de Kadjak, sous la conduite d’un certain Geottof, que les insulaires nomment Atakthan le continent de l’Amérique : ils disent que cette grande terre est montagneuse et toute couverte de forêts ; ils placent cette grande terre au nord de leur île, et nomment l’embouchure d’un grand fleuve Alaghschak, qui s’y trouve… D’autre part, l’on ne saurait douter que Behring, aussi bien que Tschirikow, n’aient effectivement touché à ce grand continent, puisqu’au cap Élie, où sa frégate mouilla, l’on vit des bords de la mer le terrain s’élever en montagne continue et toute revêtue d’épaisses forêts ; le terrain y était d’une nature toute différente de celui du Kamtschatka ; nombre de plantes américaines y furent recueillies par Steller. »

M. de Domascheneff observe de plus que toutes les îles aux Renards, ainsi que les îles Aleutes et celles de Behring, sont montagneuses, que leurs côtes sont pour la plupart hérissées de rochers, coupées par des précipices et environnées d’écueils jusqu’à une assez grande distance ; que le terrain s’élève depuis les côtes jusqu’au milieu de ces îles en montagnes fort raides, qui forment de petites chaînes dans le sens de la longueur de chaque île : au reste, il y a eu et il y a encore des volcans dans plusieurs de ces îles, et celles où ces volcans sont éteints ont des sources d’eau chaude. On ne trouve point de métaux dans ces îles à volcans, mais seulement des calcédoines et quelques autres pierres colorées de peu de valeur. On n’a d’autre bois dans ces îles que les tiges ou branches d’arbres flottées par la mer, et qui n’y arrivent pas en grande quantité ; il s’en trouve plus sur l’île Behring et sur les Aleutes : il parait que ces bois flottés viennent pour la plupart des plages méridionales, car on y a observé le bois de camphre du Japon.

Les habitants de ces îles sont assez nombreux, mais comme ils mènent une vie errante, se transportant d’une île à l’autre, il n’est pas possible de fixer leur nombre. On a généralement observé que plus les îles sont grandes, plus elles sont voisines de l’Amérique, et plus elles sont peuplées. Il paraît aussi que tous les insulaires des îles aux Renards sont d’une même nation, à laquelle les habitants des Aleutes et des îles d’Andrien peuvent aussi se rapporter, quoiqu’ils en diffèrent par quelques coutumes. Tout ce peuple a une très grande ressemblance, par les mœurs, la façon de vivre et de se nourrir, avec les Esquimaux et les Groënlandais. Le nom de Kanaghist, dont ces insulaires s’appellent dans leur langue, peut-être corrompu par les marins, est encore très ressemblant à celui de Karalit, dont les Esquimaux et leurs frères les Groënlandais se nomment. On n’a trouvé aux habitants de toutes ces îles, entre l’Asie et l’Amérique, d’autres outils que des haches de pierre, des cailloux taillés en scalpel et des omoplates d’animaux aiguisés pour couper l’herbe : ils ont aussi des dards qu’ils lancent de la main à l’aide d’une palette, et desquels la pointe est armée d’un caillou pointu et artistement taillé ; aujourd’hui ils ont beaucoup de ferrailles volées ou enlevées aux Russes. Ils font des canots et des espèces de pirogues comme les Esquimaux : il y en a d’assez grandes pour contenir vingt personnes ; la charpente en est de bois léger, recouvert partout de peaux de phoques et d’autres animaux marins.

Il paraît, par tous ces faits, que de temps immémorial les Tschutschis qui habitent la pointe la plus orientale de l’Asie, entre le 55e et le 70e degré, ont eu commerce avec les Américains, et que ce commerce était d’autant plus facile pour ces peuples accoutumés à la rigueur du froid, que l’on peut faire le voyage, qui n’est peut-être pas de cent lieues, en se reposant tous les jours d’îles en îles, et dans de simples canots conduits à la rame en été, et peut-être sur la glace en hiver. L’Amérique a donc pu être peuplée par l’Asie sous ce parallèle ; et tout semble indiquer que, quoiqu’il y ait aujourd’hui des interruptions de mer entre les terres de ces îles, elles ne faisaient autrefois qu’un même continent, par lequel l’Amérique était jointe à l’Asie : cela semble indiquer aussi qu’au delà de ces îles Anadir ou Andrien, c’est-à-dire entre le 70e et le 75e degré, les deux continents sont absolument réunis par un terrain où il ne se trouve plus de mer, mais qui est peut-être entièrement couvert de glace. La reconnaissance de ces plages au delà du 70e degré est une entreprise digne de l’attention de la grande souveraine des Russies, et il faudrait la confier à un navigateur aussi courageux que M. Phipps. Je suis bien persuadé qu’on trouverait les deux continents réunis ; et s’il en est autrement, et qu’il y ait une mer ouverte au delà des îles Andrien, il me paraît certain qu’on trouverait les appendices de la grande glacière du pôle à 81 ou 82 degrés, comme M. Phipps les a trouvés à la même hauteur, entre le Spitzberg et le Groënland.

NOTES SUR LA SEPTIÈME ÉPOQUE.

(33) Page 122, ligne 10. Le respect pour certaines montagnes sur lesquelles les hommes s’étaient sauvés des inondations ; l’horreur pour ces autres montagnes qui lançaient des feux terribles, etc. Les montagnes en vénération dans l’Orient sont le mont Carmel, et quelques endroits du Caucase ; le mont Pirpangel au nord de l’Indoustan ; la montagne Pora dans la province d’Aracan ; celle de Chaq-pechan à la source du fleuve Sangari, chez les Tartares Mandchoux, d’où les Chinois croient qu’est venu Fo-hi ; le mont Altay à l’orient des sources du Selinga en Tartarie ; le mont Pecha au nord-ouest de la Chine, etc. Celles qui étaient en horreur étaient les montagnes à volcan, parmi lesquelles on peut citer le mont Ararath, dont le nom même signifie montagne de malheur, parce qu’en effet cette montagne était un des plus grands volcans de l’Asie, comme cela se reconnaît encore aujourd’hui par sa forme et par les matières qui environnent son sommet, où l’on voit les cratères et les autres signes de ses anciennes éruptions.


(34) Page 123, ligne 13. Comment des hommes aussi nouveaux ont-ils pu trouver la période lunisolaire de six cents ans ! La période de six cents ans, dont Josèphe dit que se servaient les anciens patriarches avant le déluge, est une des plus belles et des plus exactes que l’on ait jamais inventées. Il est de fait que prenant le mois lunaire de 29 jours 12 heures 44 minutes 3 secondes, on trouve que 219 mille 146 jours 1/2 font 7 mille 421 mois lunaires ; et ce même nombre de 219 mille 146 jours 1/2 donne 600 années solaires, chacune de 365 jours 5 heures 51 minutes 36 secondes ; d’où résulte le mois lunaire à une seconde près, tel que les astronomes modernes l’ont déterminé, et l’année solaire plus juste qu’Hipparque et Ptolémée ne l’ont donnée plus de deux mille ans après le déluge. Josèphe a cité comme ses garants Manéthon, Bérose et plusieurs autres anciens auteurs dont les écrits sont perdus il y a longtemps… Quel que soit le fondement sur lequel Josèphe a parlé de cette période, il faut qu’il y ait eu réellement et de temps immémorial une telle période ou grande année qu’on avait oubliée depuis plusieurs siècles, puisque les astronomes qui sont venus après cet historien s’en seraient servis préférablement à d’autres hypothèses moins exactes pour la détermination de l’année solaire et du mois lunaire, s’ils l’avaient connue, ou s’en seraient fait honneur, s’ils l’avaient imaginée[19].

« Il est constant, dit le savant astronome Dominique Cassini, que dès le premier âge du monde, les hommes avaient déjà fait de grands progrès dans la science du mouvement des astres : on pourrait même avancer qu’ils en avaient beaucoup plus de connaissances que l’on n’en a eu longtemps depuis le déluge, s’il est bien vrai que l’année dont les anciens patriarches se servaient fût de la grandeur de celles qui composent la période de six cents ans, dont il est fait mention dans les Antiquités des Juifs écrites par Josèphe. Nous ne trouvons dans les monuments qui nous restent des autres nations aucun vestige de cette période de six cents ans, qui est une des plus belles que l’on ait encore inventées. »

Cassini s’en rapporte, comme on voit, à Josèphe, et Josèphe avait pour garants les historiographes égyptiens, babyloniens, phéniciens et grecs, Manéthon, Bérose, Mochus, Hestiëus, Jérôme l’Égyptien, Hésiode, Hécatée, etc., dont les écrits pouvaient subsister et subsistaient vraisemblablement de son temps.

Or, cela posé, et quoi qu’on puisse opposer au témoignage de ces auteurs, M. de Mairan dit avec raison que l’incompétence des juges ou des témoins ne saurait avoir lieu ici. Le fait dépose par lui-même son authenticité : il suffit qu’une semblable période ait été nommée ; il suffit qu’elle ait existé, pour qu’on soit en droit d’en conclure qu’il aura donc aussi existé des siècles d’observations et en grand nombre qui l’ont précédée ; que l’oubli dont elle fut suivie est aussi bien ancien : car on doit regarder comme temps d’oubli tout celui où l’on a ignoré la justesse de cette période, et où l’on a dédaigné d’en approfondir les éléments et de s’en servir pour rectifier la théorie des mouvements célestes, et où l’on s’est avisé d’y en substituer de moins exactes. Donc si Hipparque, Méton, Pythagore, Thalès et tous les anciens astronomes de la Grèce ont ignoré la période de six cents ans, on est fondé à dire qu’elle était oubliée non seulement chez les Grecs, mais aussi en Égypte, dans la Phénicie et dans la Chaldée, où les Grecs avaient tous été puiser leur grand savoir en astronomie.


(35) Page 125, ligne 4. Les Chinois, les Brames, non plus que les Chaldéens, les Perses, Égyptiens et les Grecs, n’ont rien reçu du premier peuple qui avait si fort avancé l’astronomie, et les commencements de la nouvelle astronomie sont dus à l’opiniâtre assiduité des observateurs chaldéens, et ensuite aux travaux des Grecs.

Les astronomes et les philosophes grecs avaient puisé en Égypte et aux Indes la plus grande partie de leurs connaissances. Les Grecs étaient donc des gens très nouveaux en astronomie en comparaison des Indiens, des Chinois et des Atlantes, habitants de l’Afrique occidentale ; Uranus et Atlas chez ces derniers peuples, Fo-hi à la Chine, Mercure en Égypte, Zoroastre en Perse, etc.

Les Atlantes, chez qui régnait Atlas, paraissent être les plus anciens peuples de l’Afrique, et beaucoup plus anciens que les Égyptiens. La théogonie des Atlantes, rapportée par Diodore de Sicile, s’est probablement introduite en Égypte, en Éthiopie et en Phénicie dans le temps de cette grande éruption, dont il est parlé dans le Timée de Platon, d’un peuple innombrable qui sortit de l’île Atlantide et se jeta sur une grande partie de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique.

Dans l’occident de l’Asie, dans l’Europe, dans l’Afrique, tout est fondé sur les connaissances des Atlantes, tandis que les peuples orientaux, chaldéens, indiens et chinois n’ont été instruits que plus tard, et ont toujours formé des peuples qui n’ont pas eu relation avec les Atlantes, dont l’irruption est plus ancienne que la première date d’aucun de ces derniers peuples.

Atlas, fils d’Uranus et frère de Saturne, vivait, selon Manéthon et Dicéarque, 3 mille 900 ans avant l’ère chrétienne.

Quoique Diogène Laërce, Hérodote, Diodore de Sicile, Pomponius Mela, etc., donnent à l’âge d’Uranus, les uns 48 mille 860 ans, les autres 23 mille ans, etc., cela n’empêche pas qu’en réduisant ces années à la vraie mesure du temps dont on se servait dans différents siècles chez ces peuples, ces mesures ne reviennent au même, c’est-à-dire à 3 mille 890 ans avant l’ère chrétienne.

Le temps du déluge, selon les Septante, a été 2 mille 256 ans après la création.

L’astronomie a été cultivée en Égypte plus de 3 mille ans avant l’ère chrétienne ; on peut le démontrer par ce que rapporte Ptolémée sur le lever héliaque de Sirius : ce lever de Sirius était très important chez les Égyptiens, parce qu’il annonçait le débordement du Nil.

Les Chaldéens paraissent plus nouveaux dans la carrière astronomique que les Égyptiens.

Les Égyptiens connaissaient le mouvement du soleil plus de 3 mille ans avant Jésus-Christ, et les Chaldéens plus de 2 mille 473 ans.

Il y avait chez les Phrygiens un temple dédié à Hercule, qui paraît avoir été fondé 2 mille 800 ans avant l’ère chrétienne, et l’on sait qu’Hercule a été dans l’antiquité l’emblème du soleil.

On peut aussi dater les connaissances astronomiques chez les anciens Perses plus de 3 mille 200 ans avant Jésus-Christ.

L’astronomie chez les Indiens est tout aussi ancienne ; ils admettent quatre âges, et c’est au commencement du quatrième qu’est liée leur première époque astronomique : cet âge durait, en 1762, depuis 4 mille 863 ans, ce qui remonte à l’année 3102 avant Jésus-Christ. Ce dernier âge des Indiens est réellement composé d’années solaires, mais les trois autres, dont le premier est de 1 million 728 mille années, le second de 1 million 296 mille, et le troisième de 864 mille années, sont évidemment composés d’années ou plutôt de révolutions de temps beaucoup plus courtes que les années solaires.

Il est aussi démontré par les époques astronomiques que les Chinois avaient cultivé l’astronomie plus de 3 mille ans avant Jésus-Christ, et dès le temps de Fo-hi.

Il y a donc une espèce de niveau entre ces peuples égyptiens, chaldéens ou perses, indiens, chinois et tartares. Ils ne s’élèvent pas plus les uns que les autres dans l’antiquité, et cette époque remarquable de 3 mille ans d’ancienneté pour l’astronomie est à peu près la même partout[20].


(36) Page 130, ligne 33. Je donnerais aisément plusieurs autres exemples, qui tous concourent à démontrer que l’homme peut modifier les influences du climat qu’il habite. « Ceux qui résident depuis longtemps dans la Pensylvanie et dans les colonies voisines, ont observé, dit M. Hugues Williamson, que leur climat a considérablement changé depuis quarante ou cinquante ans, et que les hivers ne sont point aussi froids…

» La température de l’air dans la Pensylvanie est différente de celle des contrées de l’Europe situées sous le même parallèle. Pour juger de la chaleur d’un pays, il faut non seulement avoir égard à sa latitude, mais encore à sa situation et aux vents qui ont coutume d’y régner ; puisque ceux-ci ne sauraient changer sans que le climat ne change aussi. La face d’un pays peut être entièrement métamorphosée par la culture ; et l’on se convaincra, en examinant la cause des vents, que leur cours peut pareillement prendre de nouvelles directions…

« Depuis l’établissement de nos colonies, continue M. Williamson, nous sommes parvenus non seulement à donner plus de chaleur au terrain des cantons habités, mais encore à changer en partie la direction des vents. Les marins, qui sont les plus intéressés à cette affaire, nous ont dit qu’il leur fallait autrefois quatre ou cinq semaines pour aborder sur nos côtes, tandis qu’aujourd’hui ils y abordent dans la moitié moins de temps. On convient encore que le froid est moins rude, la neige moins abondante et moins continue qu’elle ne l’a jamais été depuis que nous sommes établis dans cette province…

« Il y a plusieurs autres causes qui peuvent augmenter et diminuer la chaleur de l’air ; mais on ne saurait m’alléguer cependant un seul exemple du changement de climat qu’on ne puisse attribuer au défrichement du pays où il a lieu. On m’objectera celui qui est arrivé depuis 1 700 ans dans l’Italie et dans quelques contrées de l’Orient, comme une exception à cette règle générale. On nous dit que l’Italie était mieux cultivée du temps d’Auguste qu’elle ne l’est aujourd’hui, et que cependant le climat y est beaucoup plus tempéré… Il est vrai que l’hiver était plus rude en Italie, il y a 1 700 ans, qu’il ne l’est aujourd’hui ;… mais on peut en attribuer la cause aux vastes forêts dont l’Allemagne, qui est au nord de Rome, était couverte dans ce temps-là… Il s’élevait de ces déserts incultes des vents du nord perçants, qui se répandaient comme un torrent dans l’Italie et y causaient un froid excessif ;… et l’air était autrefois si froid dans ces régions incultes qu’il devait détruire la balance dans l’atmosphère de l’Italie, ce qui n’est plus de nos jours.

» On peut donc raisonnablement conclure que dans quelques années d’ici, et lorsque nos descendants auront défriché la partie intérieure de ce pays, ils ne seront presque plus sujets à la gelée ni à la neige, et que leurs hivers seront extrêmement tempérés[21]. » Ces vues de M. Williamson sont très justes, et je ne doute pas que notre postérité ne les voie confirmées par l’expérience.



Notes de Buffon.
  1. On m’assure que le lachter est une mesure à peu près égale à la brasse de 5 pieds de longueur ; ce qui donne 3 000 pieds de profondeur à ces mines.
  2. M. le Gentil, de l’Académie des sciences, m’a communiqué par écrit, le 4 décembre 1771, le fait suivant : « Don Antonio de Ulloa, dit-il, me chargea, en passant par Cadiz, de remettre de sa part à l’Académie deux coquilles pétrifiées, qu’il tira l’année 1761 de la montagne où est le vif-argent, dans le gouvernement de Ouanca-Velica au Pérou, dont la latitude méridionale est de 13 à 14 degrés. À l’endroit où ces coquilles ont été tirées, le mercure se soutient à 17 pouces 1 1/4 ligne, ce qui répond à 2 222 toises 1/3 de hauteur au-dessus du niveau de la mer.

    » Au plus haut de la montagne, qui n’est pas à beaucoup près la plus élevée de ce canton, le mercure se soutient à 16 pouces 6 lignes, ce qui répond à 2 337 toises 2/3.

    » À la ville de Ouanca-Velica, le mercure se soutient à 18 pouces 1 1/2 ligne, qui répondent à 1 949 toises.

    » Don Antonio de Ulloa m’a dit qu’il a détaché ces coquilles d’un banc fort épais, dont il ignore l’étendue, et qu’il travaillait actuellement à un Mémoire relatif à ces observations : ces coquilles sont du genre des peignes ou des grandes pèlerines. »

  3. Métallurgie d’Alphonse Barba, t. Ier, p. 64. Paris, 1751.
  4. Gazette de France du 25 septembre 1772, article de Rome.
  5. Note communiquée à M. de Buffon, par M. Grignon, le 24 septembre 1777.
  6. Les Maillés, l’une des nations sauvages de la Guiane, habitent le long de la côte, et comme leur pays est souvent noyé, ils ont construit leurs cabanes sur les arbres, au pied desquels ils tiennent leurs canots, avec lesquels ils vont chercher ce qui leur est nécessaire pour vivre. Voyage de Desmarchais, t. IV, p. 352.
  7. Journal historique et politique, mois de novembre 1773, article Pétersbourg.
  8. Paris, 1613, in-12.
  9. Livre VII, chap. XVI.
  10. Transactions philosophiques, no 168, art. 2.
  11. Idem, no 456, art. 3.
  12. Description des glacières de Savoie, par M. Bourrit. Genève, 1773, p. 111 et 112.
  13. Description des aspects du mont Blanc, par M. Bourrit. Lausanne, 1776, p. 8.
  14. Ibid., p. 13 et 14.
  15. Ibid., p. 62 et 63.
  16. Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 415 et suiv.
  17. Histoire générale des Voyages, t. XVIII, p. 484.
  18. Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 371 et suiv.
  19. Lettre de M. de Mairan au R. P. Parrenin. Paris, 1769, in-12, p. 108 et 109.
  20. Histoire de l’ancienne astronomie, par M. Bailly.
  21. Journal de physique, par M. l’abbé Rozier, mois de juin 1773.
Notes de l’éditeur.
  1. « Des observations ont été faites, non seulement sur la température de l’air dans les mines, mais aussi sur celle des roches et de l’eau qui en sort. Le taux moyen de l’augmentation, calculé d’après les expériences les plus exactes que l’on ait faites dans deux puits de mines situés, l’un aux environs de Durham, et l’autre près de Manchester, ayant chacun une profondeur de 600 mètres, est de 1° centrigrade pour une profondeur de 35 à 38 mètres, évaluation bien moins considérable que celle que l’on avait d’abord trouvée dans les houillères des mêmes districts. Cette quantité s’accorde, toutefois, à très peu de chose près, avec celle qu’avaient fourni des observations antérieures faites dans plusieurs des principales mines de plomb et de cuivre de la Saxe, et qui était de 1° centrigrade par 35 mètres. Pour ces expériences, on avait logé la boule du thermomètre dans des cavités préalablement creusées dans la roche solide, à des profondeurs variant entre 60 et 270 mètres ; mais dans d’autres mines de la même contrée, on fut obligé de descendre trois fois aussi bas pour chaque degré de température. Un thermomètre fut placé par M. Fox dans la roche de la mine de Dolcoath (Cornouailles), à l’énorme profondeur de 421 mètres ; il fut fréquemment observé pendant dix-huit mois, et il accusait en moyenne une température de 200 centigrades, celle de la surface étant de 10°, ce qui donne 1° centigrade environ pour chaque 22 mètres de profondeur. Kupffer, après avoir comparé un grand nombre de résultats obtenus dans différentes contrées, croit pouvoir établir que l’augmentation de la chaleur est d’environ 1° centigrade par 20 mètres. M. Cordier annonce, comme résultat de ses expériences et de ses observations sur la température de l’intérieur de la terre, que la chaleur augmente rapidement avec la profondeur ; mais que l’accroissement ne suit pas la même loi par toute la terre, qu’il peut être double ou triple d’un pays à un autre, sans que ces différences soient en rapport constant ni avec les latitudes ni avec les longitudes des lieux. Il pense, toutefois, que l’augmentation de chaleur peut être fixée sans exagération à 1° centigrade par 25 mètres de profondeur. Le puits artésien qu’on a foré à l’abattoir de Grenelle, à Paris, donnait 1° centigrade d’accroissement de température par 31 mètres, lorsqu’il eut atteint une profondeur de 540 mètres. À Naples, suivant M. Mallet, l’eau du puits artésien qui se trouve au Palais-Royal jouit, à la profondeur de 438 mètres, d’une température de 20° centigrades seulement, ce qui donne, déduction faite de la température de la surface du sol, qui est de 16°,11 centigrades, une augmentation de chaleur de 1° centigrade par 109 mètres. Un autre puits de la même ville, profond de 273 mètres et qui a été creusé à 1 600 mètres du premier, donne 1° centigrade par 45 mètres. On a supposé que la température basse du premier puits est due probablement à l’influence réfrigérante de l’eau douce et de l’eau de mer qui peuvent filtrer à travers les couches poreuses de tuf. » (Lyell, Principes de Géologie, II, p. 262.)

    On a généralement attribué cette élévation de la température à ce que le centre de la terre serait encore formé de matières en fusion. M. Lyell fait les remarques suivantes : « Si nous adoptons, comme résultat moyen, l’évaluation de 1° centigrade pour 35 mètres de profondeur, et si nous supposons, avec les partisans de la fluidité du noyau central, que la température continue à s’accroître en descendant jusqu’à une distance indéfinie, nous atteindrons le point d’ébullition de l’eau à plus de 3 218 mètres au-dessous de la surface, et celui de la fusion du fer (plus de 1 500° centigrades suivant le pyromètre de Daniell) et de toutes les substances connues, à la profondeur de 54 716 mètres. S’il est vrai que la chaleur augmente dans la proportion que nous venons d’énoncer, nous devrions rencontrer, à peu de distance, une température plusieurs fois supérieure à celle qui suffit pour fondre les substances les plus réfractaires connues. Dans ce cas, à des profondeurs bien plus considérables, quoique encore très éloignées du noyau central, la chaleur devrait avoir une intensité telle (160 fois celle du point de fusion du fer) qu’il serait impossible de concevoir comment la croûte terrestre peut résister à son action sans se fondre. »

    D’après ces observations, il paraît difficile d’admettre que le centre de la terre soit encore en fusion. Du reste, cela n’entraînerait aucune conséquence contradictoire à l’opinion qu’elle a été d’abord constituée par une masse de substances fondues, car, d’après les calculs de Poisson, c’est d’abord la partie centrale de ce globe en fusion qui aurait dû se solidifier et se refroidir et non sa surface. (Voyez mon Introduction.)

  2. Nous avons déjà dit que l’animal dont parle ici Buffon n’est pas un hippopotame, mais le mastodonte.
  3. Ces dents n’existent pas simultanément ; elles apparaissent les unes après les autres d’avant en arrière, et il n’en existe jamais plus de deux simultanément de chaque côté. Il s’en développe ainsi, non pas seize comme le dit Buffon, mais vingt-quatre.
  4. C’est dix molaires et non quatre que présente l’éléphant de chaque côté et à chaque mâchoire ; ce qui fait en tout vingt-quatre molaires.
  5. Il est à peine nécessaire de faire observer que Buffon est fort au-dessous de la vérité quand il parle de « quelques espèces de poissons » perdues, et d’ « une espèce perdue dans les animaux terrestres ». C’est par milliers que l’on compte aujourd’hui les espèces animales disparues.
  6. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, Poisson conclut de ses calculs que la partie centrale du globe terrestre a dû se consolider et se refroidir la première.
  7. Nous avons dit que, d’après Lyell et quelques autres géologues, il ne se trouverait plus à la surface de notre globe aucune trace des roches primitives, ces dernières ayant été déjà plusieurs fois peut-être remaniées et transformées par l’eau et par le feu.
  8. Buffon suppose, dans ses Époques de la nature, que toutes les montagnes ont été produites au moment même de la solidification de la croûte terrestre et qu’elles ont d’abord été plus ou moins recouvertes par les eaux. Nous avons déjà relevé plusieurs fois cette erreur et indiqué que les chaînes de montagnes actuelles se sont soulevées à des époques différentes, et quelques-unes même, comme les Alpes et les Pyrénées, à des périodes relativement récentes de l’histoire du globe. La plupart de ces montagnes présentent des fossiles jusque sur leurs sommets et ont dû, par conséquent, se trouver sous l’eau avant d’être soulevées. « La hauteur, dit Lyell, à laquelle on a pu, dans les Alpes, les Andes et l’Himalaya, suivre la présence des Ammonites, des coquilles et des coraux, suffit à démontrer que les matériaux de toutes ces chaînes ont été élaborés sous l’eau et quelques-uns dans des mers d’une certaine profondeur. »
  9. Voyez la note de la page 155.
  10. Buffon avait compris, on le voit par ce passage, l’importance des phénomènes métamorphiques. La raison qu’il donne ici pour expliquer l’absence de fossiles dans une partie des roches qui forment les Cordillères a été utilisée par certains géologues en faveur de l’opinion que les roches sans fossiles actuelles ne sont pas des roches ignées primitives, mais simplement des roches sédimentaires d’origine plus ou moins ancienne, remaniées par les eaux, transformées par la chaleur et par des phénomènes chimiques, et devenues cristallines en même temps que disparaissaient les fossiles qu’elles avaient pu contenir, puis soulevées par la pression de bas en haut qui s’exerce dans l’épaisseur de la croûte terrestre.
  11. La plupart des récits relatifs aux géants, écrits il y a quelques siècles, reposent sur des erreurs de diagnostic ; on attribuait à l’homme ou à un animal déterminé des os ou des dents d’un autre animal beaucoup plus grand.
  12. On est même certain du contraire.
  13. D’après Flourens, les os du prétendu roi Teutobochus sont des os de mastodonte. Ainsi que je l’ai déjà dit plus haut, ce sont des erreurs de cette nature qui ont servi de base à la plupart des écrits et des légendes relatifs aux géants.
  14. Les Patagons n’ont pas une taille supérieure à la moyenne de l’humanité.
  15. Buffon n’avait pas saisi la grande importance du rôle joué par la glace dans les phénomènes dont la surface de la terre a été le théâtre. C’est seulement à une époque récente que ce problème a été sérieusement étudié. On sait aujourd’hui que certains points de notre globe, actuellement dépourvus de glaciers, ont été jadis entièrement envahis par des glaces d’une grande épaisseur. Il faut avoir soin de ne confondre les glaciers ni avec les neiges qui recouvrent les sommets des montagnes d’un manteau pour ainsi dire éternel, ni avec les glaces flottantes des mers polaires. Les glaciers peuvent être définis des ruisseaux, des rivières et des lacs en grande partie congelés. Ils sont formés par l’eau provenant de la fusion des neiges qui recouvrent les hauts sommets, eau qui s’écoule dans les ravins, les vallons et les vallées des montagnes, se congèle et se durcit sous l’influence de la pression des neiges qui tombent sur sa surface et finit par former de gigantesques fleuves solidifiés, dont la plupart ont, en Suisse, une longueur de 20 à 50 kilomètres et peuvent acquérir, dans les vallées les plus ouvertes, une largeur de 3 à 5 kilomètres sur une épaisseur de 150 à 180 mètres. La surface de ces masses énormes de glace et la neige qui les recouvre fondent en partie pendant le jour ; l’eau qui provient de cette fusion coule dans des rigoles où elle se congèle de nouveau pendant la nuit, ou filtre à travers les fissures et les pores du glacier, coule au-dessous de ce dernier, en entraînant du limon et des graviers et s’échappe, dans le bas du glacier, en cascades rapides, dans des voûtes superbes de glace. La glace qui forme ces rivières solides n’est pas immobile ; elle glisse lentement sur son lit et se résout, au niveau de son extrémité inférieure, en un torrent liquide qui descend dans les plaines. La marche des glaciers suisses n’est que de 15 à 17 centimètres par douze heures, et Lyell calcule qu’un bloc de pierre emprisonné dans un glacier et provenant de l’extrémité supérieure d’un glacier de 32 kilomètres de long mettrait cent cinquante ans pour atteindre l’extrémité inférieure. La marche est un plus rapide au centre que sur les côtés, comme celle des rivières ; elle est également plus rapide vers le milieu du glacier qu’à ses extrémités. Comme lit du glacier n’offre pas la même largeur dans toute son étendue, comme il présente, au contraire, des parties larges alternant avec des cols étroits, on voit, au niveau de ces derniers, la glace se rompre en blocs qui s’entassent les uns sur les autres, en formant des figures aussi variées que fantastiques, rendues plus bizarres encore par la neige qui s’accumule dans leurs anfractuosités, arrondit leurs arêtes et pend de leurs corniches en voiles déchiquetés. Sur le dos du glacier s’étendent toujours une ou plusieurs longues arêtes saillantes, formées de pierres, de blocs de rochers et de graviers, désignées sous le nom de moraine médiane. De chaque côté, ses flancs sont également bordés de pierres, de graviers, de rochers formant des moraines latérales. D’autres blocs de pierre sont incrustés dans la glace elle-même, qui entraîne tous les débris de son lit et des roches voisines pour les pour les laisser tomber dans le torrent dans lequel se résout son extrémité inférieure ; « effet comparable, dit Lyell, à celui qu’offrirait une file interminable de soldats qui, se dirigeant vers une brèche, y tomberaient morts aussitôt leur arrivée. » Enfin, les pierres incrustées dans la face inférieure et sur les faces latérales du glacier frottant contre les roches qui tapissent les parois de son lit, les usent, les rayent, les arrondissent et les creusent de sillons parallèles, caractéristiques, qui permettront plus tard au géologue de distinguer entre mille autres formes de roches celles qui ont été rayées par un glacier et les blocs qu’il a transportés, blocs auxquels on a donné le nom de blocs erratiques. Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer la régularité de la marche des glaciers. Forbes supposait que la glace est un corps plastique, susceptible, quand elle est soumise à la pression, de se mouler sur les corps avec lesquels sa surface se trouve en contact, comme le font les corps visqueux ; de telle sorte qu’un glacier pourrait s’élargir, se rétrécir, tout en continuant à avancer, en se moulant sur les parois qui le limitent, comme le ferait un sirop très épais. Cette manière de voir a été généralement jusqu’à ce que Tyndall eût objecté que, si la glace était susceptible de se courber, de se rétrécir, de changer de forme sous l’influence de la pression, elle était, au contraire, incapable de se laisser étirer et étendre comme les substances visqueuses auxquelles on l’avait comparée. Tyndall rejeta donc l’hypothèse de Forbes et il chercha dans une propriété de la glace signalée par Faraday en 1750, sous le nom de recongélation, l’explication de la régularité des mouvements des glaciers. Faraday avait constaté que quand on met en contact deux morceaux de glace à la température de zéro, c’est-à-dire dont la surface commence à fondre, la fusion s’arrête immédiatement et les deux morceaux de glace se trouvent soudés par la congélation des points de contact. Ce phénomène se produit même quand on tient les morceaux de glace en contact dans de l’eau chaude pendant une demi-minute. Il observa aussi que, si l’on soumet un grand nombre de morceaux de glace à la presse hydraulique, ils se soudent tous les uns aux autres en un seul bloc auquel on peut faire prendre toutes les formes possibles. Tyndall, appliquant ces faits aux glaciers, conclut : « Il est donc aisé de comprendre comment une substance ainsi douée peut passer, en se comprimant, à travers les gorges des Alpes, s’infléchir de manière à s’ajuster aux sinuosités des vallées, se prêter au mouvement inégal de ses diverses parties, sans, pour cela, présenter aucune trace sensible de viscosité. » Cette opinion est, aujourd’hui, généralement admise par les géologues.

    Quant à l’explication des moraines latérales et médianes, elle ne souffre aucune difficulté. Les moraines latérales sont formées par les pierres, les fragments de roches, les graviers, etc., que la glace arrache aux parois du glacier et qu’elle entraîne avec elle. Les moraines médianes sont formées par les moraines latérales de deux glaciers qui convergent l’un vers l’autre, se rencontrent et s’unissent en un seul. Au niveau du point de fusion de deux glaciers, la moraine latérale gauche de l’un se confond avec la moraine latérale droite de l’autre pour former la moraine médiane du glacier unique formé par la réunion de deux glaciers primitifs.

    Dans les régions voisines des pôles, les glaciers descendent jusqu’à la mer, s’y enfoncent d’abord en suivant le fond, puis sont brisés et divisés en blocs énormes de glace qui flottent à la surface de la mer et qui peuvent atteindre jusqu’à 100 mètres de hauteur au-dessous de son niveau. C’est ce que l’on nomme les montagnes de glace ou eicebergs.

    Les glaciers sont intéressants au point de vue géologique par les blocs erratiques qu’ils entraînent et déposent sur leur parcours, dont ils servent de témoin aux âges ultérieurs, et par l’usure spéciale des roches qu’ils déterminent. C’est à l’aide de ces deux ceux phénomènes qu’on a pu déterminer l’existence, l’étendue et la direction des glaciers anciens, de ceux, par exemple, qui ont occupé pendant la période tertiaire tout le nord de l’Europe et de l’Amérique. (Voyez mon Introduction.)