Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 05/Sources de la Divine Comédie

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DES SOURCES POÉTIQUES
DE LA
DIVINE COMEDIE




La poésie au treizième siècle. — La conversion de Dante. — Le cycle des visions. — La descente aùx enfers chez les poëtes de l’antiquité. — Où est l’originalité de la Divine Comédie[1] ?


Longtemps la Divine Comédie fut considérée comme un monument solitaire au milieu des déserts ténébreux du moyen âge. D’une part, on ne trouvait au poëme de Dante aucun terme de comparaison parmi les productions légères des troubadours, les seules que l’on connût encore de cette époque dédaignée. D’un autre côté, si l’on y découvrait de fréquentes réminiscences des poëtes classiques, l’imitation semblait s’arrêter aux détails : l’ensemble ne pouvait se réduire aux modèles reçus ; on ne pouvait y reconnaître une œuvre rigoureusement épique, lyrique, élégiaque, selon les canons des critiques. On en a fait tour à tour à la Divine Comédie un reproche et un mérite. Le dix-septième siècle en eut honte et n’imprima que trois éditions du poëme national. Au dix-neuvième, qui en compte déjà près de cent, on a voulu faire du glorieux Florentin le type du génie indiscipliné, sans maître et sans règle. Et lorsque l’abbé Cancellieri publia la Vision du moine Albéric avec l’indication des passages qu’il supposait imités dans l’Enfer et le Paradis, les amis de Dante se soulevèrent. À peine permettaient-ils qu’il eût emprunté aux anciens : comment pouvait-il avoir reçu la leçon d’un moine obscur du douzième siècle ?

Aujourd’hui les solitudes du moyen âge se peuplent et s’éclairent. La Divine Comédie ne cesse pas de dominer les constructions poétiques qui l’environnent et la soutiennent ; mais on aperçoit autour d’elle un nombre infini de fictions semblables ; on voit une suite de récits de même genre se prolonger dans les siècles précédents, se retrouver dans la littérature de tous les âges, et témoigner ainsi de quelque grande préoccupation de l’esprit humain. Je voudrais tenter l’étude de ces origines, mais je ne m’y engage pas sans crainte. Le poëme de Dante est comme une de ces basiliques romaines dont on ne veut pas seulement visiter le dedans et le dehors, mais aussi le dessous : on descend à la lueur des torches dans le caveau sacré, on y trouve l’entrée d’une catacombe qui s’enfonce, se divise en plusieurs branches, se développe dans un espace immense ; et si l’on va jusqu’au bout sans reculer et sans se perdre, on sort dans la campagne, bien loin du lieu où l’on était entré. Je ne me dissimule ni l’immensité ni l’obscurité des recherches : j’irai d’un pas rapide, et j’espère que le fil conducteur ne tombera pas de mes mains.


I


Au treizième siècle, la poésie n’est pas réfugiée dans le cœur d’un citoyen de Florence : elle est partout. Elle est dans les actions d’un temps qui vit les dernières croisades, le suprême effort de la lutte du sacerdoce et de l’empire, la chute de Frédéric II, la vocation de saint Louis, l’apostolat de saint François et de saint Dominique quand Dieu sème de grands événements quelque part, je m’attends qu’il y germera de grandes pensées. Elle est dans les monuments d’une époque qui bâtit la Sainte Chapelle, qui fonda les cathédrales de Cologne et de Florence, qui inspira Eudes de Montreuil, Nicolas de Pise et Cimabuë. Elle est enfin dans les récits ou s’échauffaient la foi des Croisés, le dévouement des vassaux, le patriotisme des peuples. Toutes les puissances qui constituaient alors la société avaient des titres légaux pour satisfaire les consciences ; elles avaient aussi des traditions héroïques pour saisir les imaginations : autour de chaque histoire se formait une épopée. La multitude de ces récits épiques, étudiée de près, a étonné la science moderne il a fallu les réduire à un certain nombre de cycles, c’est-à-dire de cadres flexibles où se rangent plusieurs événements réels ou fabuleux, liés ensemble par le retour des personnages ou par la suite des actions. Ainsi l’Église, sans préjudice de ses actes authentiques, est enrichie d’un cycle légendaire où je comprends les poëmes sur la vie du Sauveur et des saints, les voyages au paradis terrestre, les visions supposées de l’enfer, du purgatoire et du ciel. L’Empire a le cycle classique qui commence à la ruine de Troie, pour en tirer, avec Énée, fondateur de Rome, Francus, père des Francs, héritiers des Romains : la dévolution de la monarchie universelle se continue par Alexandre, César et Constantin, jusqu’à Charlemagne, réparant ainsi une irrégularité qui inquiéta le moyen âge, je veux dire la translation de l’empire des Byzantins aux Allemands. La féodalité a le cycle chevaleresque des romans de la Table Ronde, où la quête du Saint Graal reproduit l’idéal de la chevalerie religieuse, tandis que les Aventures de Tristan attestent la résistance d’une chevalerie galante et mondaine. Enfin les Communes, ces rassemblements de marchands et d’ouvriers, qui ont des droits et des drapeaux, ont aussi leurs souvenirs, leurs chants et leur cycle populaire. Je ne vois pas en Italie une grande ville qui ne veuille être assise sur quelque ruine fameuse : on montre à Padoue le tombeau d’Anténor ; Pise nomme Pélops pour son fondateur[2]. Selon les vieilles chroniques, consultées par Malespini, un seigneur du nom de Jupiter avait fait bâtir par Apollon, son astrologue, Fiesole, qui fut le berceau de Florence[3]. Le livre des Mirabilia urbis Romae est tout rempli des traditions défigurées de la ville éternelle[4]. Dans ces fables, je trouve moins de mensonges qu’on ne pense. Il fallait un passé merveilleux pour soutenir les prodiges du présent. Sans doute il y avait de fausses légendes, de fausses généalogies, des héros imaginaires, des tombeaux supposés. Mais, après tout, il était véritable que l’Église, l’empire, la chevalerie, les communes, avaient des titres glorieux ; il fallait qu’on respectât cette gloire, qu’on l’aimât, que l’on combattît, qu’on se fît tuer pour elle ; il fallait que les hommes du treizième siècle connussent, n’importe comment, qu’ils foulaient une terre historique, qu’il y avait des générations héroïques dessous, et que le déshonneur n’était pas permis dessus.

Ce fut au milieu de ce monde enchanté que s’éveilla le génie de Dante. Encore enfant, il avait entendu les femmes de Florence, assises a leur rouet, deviser entre elles des Troyens, de Fiesole et de Rome[5]. Lui qui lisait tout, comment n’eût-il pas mis la main sur ce roman de Lancelot, dont la lecture perdit Françoise de Rimini, ou sur ces belles histoires de Charlemagne depuis longtemps populaires en Italie ? Les chanteurs français les récitaient sur les places, les orateurs en rappelaient le souvenir dans leurs discours, quand il fallait ranimer dans la jeunesse la passion des combats[6].

Quelle raison détourna le poète de ces sources fréquentées, et le conduisit ailleurs ? Un texte manuscrit de la Bibliothèque royale semble jeter sur ce point une nouvelle clarté. J’y trouve le commentaire de Giacopo fils de Dante, sur l’Enfer ; et après les premières lignes, toutes frémissantes de tendresse, de respect et d’admiration, je m’étonne de lire les aveux que voici : « Il faut savoir que Dante, quand il commença ce traité, était au milieu du cours ordinaire de la vie (qui, selon le poëte, va jusqu’à soixante-dix ans), et qu’il était pécheur et vicieux, et comme dans une forêt de vices et d’ignorance. Et encore que, dans les premiers vers, il use d’un langage détourné pour accuser sa vie, néanmoins il la blâme avec sévérité et se déclare un homme qui vivait charnellement. Le sommeil dont il parle se prend pour le péché et signifie sa vie pécheresse, et les fautes dont il était tout taché et tout plein. Mais lorsqu’il parvint à la montagne, c’est-à-dire à la grâce de la véritable connaissance et du véritable amour, il quitta cette vallée et cette vie de misère[7]. Ainsi le premier chant du poëme, l’homme égaré dans la forêt à moitié chemin de la vie, combattu par les trois concupiscences que figurent la panthère, le lion et la louve, jusqu’à ce qu’il échappe en s’enfonçant dans la considération de l’éternité ; cette admirable allégorie enfin est une histoire : c’est l’histoire du poëte concevant son dessein, à l’âge de trente-cinq ans, au moment où finit une vie de désordres, où une conversion se décide. Il en faut chercher les causes.

J’en crois trouver une puissante dans le souvenir de Béatrix. Nous avons, au Purgatoire, la confession. de Dante : Habemus confitentem reum. Au sommet de la montagne des expiations, Béatrix apparaît dans la pompe d’un triomphe tout divin. Elle adresse au poète repentant, humilié, purifié, ces dures paroles : « Quand je changeai de vie, quand j’étais montée de la chair à l’esprit, quand je venais de croître en vertu et en beauté, il me quitta pour d’autres ; je lui fus moins chère ; il prit le faux chemin, en poursuivant des ombres de bonheur qui le trompèrent. Il ne me servit de rien d’obtenir pour lui des inspirations et des songes ; il tomba si bas que tout restait impuissant pour son salut, si je ne lui faisais-voir les races damnées[8]. » Et Dante répond par des aveux et par des larmes[9]. Béatrix toute seule n’avait donc rien obtenu de lui. Elle avoue l’impuissance du souvenir qu’elle avait laissé dans ce cœur en désordre. Il y avait huit ans que Dante avait perdu une personne si aimée ; il passait chaque jour dans ces rues que Béatrix traversait autrefois au milieu du murmure admirateur de la foule ; il revoyait la maison où, à l’âge de neuf ans, il avait connu cet ange de beauté et d’innocence ; tout lui parlait d’elle rien n’avait dompté cette âme orageuse. Il fallut la pensée de l’Enfer pour porter le coup décisif. Voilà ce que le poëme atteste. Il s’y mêle la pieuse croyance d’une intervention de Béatrix, de sainte Lucie, que Dante honorait particulièrement, et de la sainte Vierge, dont la figure devait couronner la Divine Comédie, comme tous les beaux monuments du moyen âge. Enfin, le moment désigne pour la vision du poète, par conséquent pour ce qui se passa en lui, est le moment où la religion fait ses derniers efforts sur le cœur des hommes : c’est la semaine sainte[10].

Au temps donc où Dante achevait sa trente cinquième année, c’est-à-dire en 1500, et pendant la semaine sainte, je cherche un grand événement qui ait pu remuer sa conscience. Or, le 22 février de l’an 1500, le pape Boniface VIII avait publié les indulgences du Jubilé, pour « tous les pèlerins qui, vraiment repentis et confès, visiteraient quinze jours durant les basiliques des SS. Apôtres[11]. » L’annonce du pardon ébranla toute la chrétienté. Les portes de Rome reçurent jusqu’à trente mille hommes par jour : il en vint de l’Espagne, de l’Angleterre, de la Hongrie ; des fils apportaient leur vieux père sur des brancards ; on campa dans les rues, sur les places publiques : le nombre des pèlerins fut évalué à deux millions[12]. Parmi cette multitude sans nom il y avait un jeune Florentin, nommé Jean Villani, qui se trouvant, comme il le dit, au bienheureux pélerinage, dans cette ville de Rome, au milieu de tant de grandes choses, et considérant les histoires et, les actions des Romains écrites par Virgile, Salluste, Lucain, Tite-Live, résolut d’imiter leur travail et leur style. Et réfléchissant que Florence commençait à monter, tandis que Rome descendait, il lui parut convenable de consigner dans une nouvelle chronique les actes de cette ville et ses commencements[13]. » Voilà donc un événement capable d’émouvoir et aussi d’inspirer. Mais j’ai lieu de croire qu’un pénitent plus illustre se trouva au rendez-vous. Dante semble avoir du faire partie d’une des ambassades envoyées par les Guelfes de Florence au souverain pontife, dans les premiers mois de l’année[14]. Je reconnais une trace plus certaine de son voyage à cet endroit du poëme où il rappelle « l’étonnement des barbares du Nord découvrant de loin Rome et ses hauts monuments, et la piété des pèlerins qui se reposent dans le parvis, heureux de redire un jour comment l’église était faite[15]. Et afin qu’il ne reste, aucun doute, et que le témoin oculaire se montre par tous les détails, il décrit l’ordre établi par les Romains « pour que l’armée pieuse du Jubilé s’écoulât sur le pont Saint-Ange, en sorte que d’un côté marchaient tous ceux qui allaient à Saint-Pierre, de l’autre ceux qui revenaient vers le Capitole[16]. » A la vue de cette foule immense, comparable au genre humain rassemblé dans la vallée de Josaphat, à ce long cri de repentir qui sortait de tant de bouches a ces prédications toutes pleines des souvenirs de l’éternité, la terreur des jugements divins enveloppa le poëte, toutes les résistances furent forcées, et sa grande âme se rendit. Les allusions du IX° chant du Purgatoire trahissent son dernier secret. On le voit le jeudi saint, le jour où on faisait l’absoute publique des pèlerins, où siégeait à SaintPierre le grand pénitencier dans l’exercice solennel de son ministère, s’agenouiller aux pieds de celui qui l’absout, et qui lui ouvre avec les clefs de saint Pierre la porte sainte du pardon[17]. C’est dans ce moment d’une conversion disputée, dans le bouleversement d’un cœur brise, remué, retourne jusqu’au fond ; c’est dans les remords et les larmes, que je vois naître le poëme. Un grand ouvrage veut deux choses, l’inspiration qui vient d’ailleurs, et la volonté qui est de l’homme. Dès la mort de Béatrix l’inspiration était venue Dante, visité d’une vision merveilleuse, s’était proposé de faire pour sa bien-aimée « ce qui ne fut jamais fait pour aucune autre[18]. » Mais ce dessein remis, négligé, trahi par tant d’infidélités, aurait péri comme tant d’idées que Dieu envoie et que les hommes ne reçoivent point. Ils ne fallait pas moins que les saintes violences de la religion pour vaincre la volonté récalcitrante du poète, l’arracher aux distractions coupables, et le contraindre à l’accomplissement de son vœu, à ce travail forcé où la Providence le condamnait, à cette pénitence glorieuse enfin, qui fut la Divine Comédie.

On voit maintenant pourquoi Dante, laissant les chemins battus de l’épopée romanesque, se trouva conduit au cœur même de la poésie religieuse. Il voulut fixer par la parole les grands spectacles de l’éternité qui l’enveloppaient. Cet homme sincère voulut rendre, non les rêvés de son génie, màis ce qui avait effrayé sa conscience, ce qui lui apparaissait, non-seulement dans l’enseignement des théologiens, mais dans la croyance des peuples. Il vou<" lut reproduire, non-seulement le dogme, mais la tradition, qui lui donnait la couleur et le mouvement l’enfer, le purgatoire, le paradis, peuplés de figures connues, avec des supplices qui se touchent, et des récompenses qui se voient. Il trouvait cette tradition dans un cycle entier de légendes, de songes, d’apparitions, de voyages au monde invisible, où revenaient toutes les scènes de la damnation et de la béatitude. Sans doute il devait mettre l’ordre et la lumière dans ce chaos, mais il fallait qu’avant lui le chaos existât.


II

I. Dante n’avait pu visiter l’Italie et la France sans y trouver, pour ainsi dire à tous les pas, la Vision de la Divine Comédie. S’il entrait dans les grandes basiliques de Pise, de Rome, de Venise, il voyait au fond de l’abside ces mosaïques éblouissantes d’or cette figure colossale du Christ, avec un regard immobile comme l’éternité tout autour, les images des anges et des saints, couronnés d’auréoles. L’architecture symbolique de ce temps voulait que le sanctuaire représentât le ciel. A Sainte Marie d’Orvieto il avait dû contempler avec admiration les bas-reliefs de la façade, où Nicolas de Pise, aidé de quelques ouvriers allemands, avait représenté le jugement, le paradis et l’enfer, s’ appliquant à rendre surtout les tourments des réprouvéset la beauté surnaturelle des élus[19] Il n’y avait pas jusqu’à la petite ville de Toscanella, -dont la collégiale n’eût son Jugement dernier, peint par une main inconnue, au bas duquel figurait le dragon infernal, recevant dans sa gueule les réprouvés poussés par les diables[20]. De l’autre côté des Alpes, et dans ce grand nombre de monuments gothiques qui bordaient sa route, Dante retrouvait les mêmes habitudes. Rien de plus consacré que le bas-relief du Jugement universel sur le portail principal des églises, comme à Autun, à Notre-Dame de Paris : c’était la crainte des justices divines qui devait saisir les hommes du dehors, -les passants, les profanes, et les pousser dans le lieu saint. Mais, une fois introduits dans la nef, ils étaient rassurés par des images plus consolantes les martyrs, les vierges resplendissaient, sur les vitraux, comme s’ils n’eussent attendu qu’un rayon de soleil pour descendre dans l’assemblée. Au milieu, flamboyait la grande rose, qui représentait ordinairement les neuf chœurs des anges autour de la majesté de Dieu. C’est là, sans doute, que le poëte trouva cette admirable pensée de décrire le ciel, non pas avec des colonnes d’or et des murs de diamant, non pas avec le luxe ordinaire d’encensoirs d’argent et de harpes d’ivoire, mais avec. ce qu’il y a sur la terre de plus simple, de plus pur, de plus immatériel, sous la forme d’une grande rose blanche, dont les feuilles sont les sièges des élus[21].

-Mais les saints et les démons des cathédrales demeuraient immobiles à la place où l’artiste les avait rangés. L’imagination populaire voulait les voir en mouvement et en action. Dans le célèbre jeu des Vierges Sages et des Vierges Folles , écrit en provençal et en latin, pour le délassement du peuple aux fêtes pascales, on voyait le Christ juge, les vierges folles précipitées en enfer par les démons[22]; tandis que les saints de l’ancienne loi, David, Isaïe, Jérémie, auxquels se joignent Virgile et la Sibylle, forment un concert de prophéties en l’honneur du Christ ressuscité. Quand on jouait les mystères, le théâtre se partageait en trois étages, pour découvrir d’un seul coup, aux regards de la foule, la terre, le ciel et l’enfer. Le 1° mai 1304, à Florence, une troupe joyeuse avait dressé des tréteaux sur l’Arno, au pied du pont alla Carraia, pour y donner le spectacle des diables pourchassant les damnés. Les gens de la ville et des environs avaient été invités à son de trompe à venir savoir des nouvelles de l’autre monde. Le poids des spectateurs fit crouler le pont, et les promesses de la fête se trouvèrent cruellement remplies[23] Tandis que le peuple se réjouissait ainsi, les seigneurs et les nobles dames voulaient des passetemps plus délicats ils s’égayaient aux scènes comiques des chansons et des fabliaux. Les trouvères n’avaient eu garde de négliger un sujet qui mettait leur verve à l’aise, où leur malice avait les coudées franches derrière de faciles allusions. C’est le caractère que je trouve dans les récits du Jongleur qui va en Enfer, du Salut d’Enfer, et de la Cour du Paradis ; du Vilain qui gagna le Paradis par le plaid. Rutebœuf décrit-la Voye de Paradis, qu’il peuple de personnages allégoriques et Raoul de Houdan, après le Voyage de Paradis, où il se fait sans façon montrer sa place, écrit le Songe d’Enfer où il trouve les réprouvés à table, et un couvert pour lui[24] . Je ne méconnais pas ce qu’il y a de dérisoire et de malintentionné dans ces fables. Mais la parodie suppose une poésie sérieuse, qu’elle remplace, comme la fumée annonce le feu qu’elle étouffe.

Et d’abord, en écartant les poëmes romanesques destinés aux plaisirs profanes des cours et des châteaux, je remarque toutefois que la peinture du monde invisible s’y introduit comme pour donner à la scène plus de profondeur. Parmi les preux de Charlemagne, je vois Guérin le Mesquin errant de royaume en royaume, servant tour à tour l’empereur Charlemagne, le prêtre Jean et le soudan de Babylone, jusqu’à ce que le pape lui impose en pénitence de ses péchés de visiter le puits de Saint Patrice, dans l’île d’Or. Le chevalier traverse les mers, aborde à l’île d’Or, pénètre dans un bois profond, y trouve un monastère, où il jeûne durant neuf mois, et s’engage enfin dans la ténébreuse ouverture qui mène à l’autre monde. La commence le purgatoire, puis l’enfer avec un nombre infini, de supplices : Guérin traverse ces lieux de douleur, il arrive enfin au paradis terrestre, garde par Enoch et Élie : debout sur le seuil infranchissable, il voit passer « l’empereur du ciel, entouré du chœur des anges, légions humbles et fidèles. » La vision s’évanouit, et le bon chevalier se retrouve à la porte du monastère[25]. Mais du moins le preux compagnon de Charlemagne a quelque droit aux communication divines : il est chrétien, il est armé pour le service de l’Eglise et la confusion des mecréants. Alexandre, au contraire, je veux dire celui des romans, ne songe qu’à sa gloire ; et, maître de la terre, il veut forcer le paradis et tirer tribut du peuple des anges[26]. Il traverse les plaines brûlantes de l’Asie au milieu des terreurs de l’enfer, au milieu des dragons, des monstres et des foudres. Enfin, le cours de l’Euphrate qu’il remonte le conduit au pied des murs d’Eden, derrière lesquels on entend la voix des anges occupés à louer Dieu. Le héros frappe longtemps à la porte, il somme les habitants de se taire, d’ouvrir, et de payer tribut comme le reste du monde. La porte demeure fermée seulement un vieillard paraît sur la muraille, et fait présent à Alexandre d’une pierre d’aimant. Cette pierre peut soulever le fer, et cependant un peu de terre dans une balance pèsera plus qu’elle. Ainsi de l’homme, qui soulève le monde ; mais quelques jours après sa mort, un peu de poussière vaudra mieux que lui. Le héros s’émeut de ce discours ; il se tourne vers Dieu, renonce aux conquêtes, et lorsqu’il meurt après douze ans d’un règne paisible, le poète ajoute « qu’il lui fut pardonné. » Ainsi ce génie du moyen âge, qu’on se représente toujours prêt a damner les vivants et les morts, fait preuve d’une singulière indulgence. Les romanciers ne peuvent se résoudre à prendre congé des héros qu’ils aiment, sans les laisser acheminés vers le ciel. Nous voici en paix sur le salut d’Alexandre. Dante mettra Caton en purgatoire, Trajan en paradis. Et le poète anglais Lydgate n’achève point les funérailles d’Hector sans lui faire élever un tombeau dans la cathédrale de Troie, auprès, du maître-autel ; une messe perpétuelle est fondée pour le repos de son âme.

Du reste, on reconnait ici une complication fréquente dans l’histoire littéraire ; je veux dire l’entrelacement de deux sortes d’épopées. Comme des plantes touffues ne peuvent croître ensemble sans se mêler, s’envelopper, se nuire peut-être, de même, dans cette forte végétation poétique, chaque fable pousse des branches qui vont s’entrelacer avec les rameaux voisins. Quand le bon Guérin pose sa lance à la porte du monastère, et qu’on l’y met en prières et en jeûnes, je me doute bien que nous sommes en pleine littérature ecclésiastique, et que le puits de Saint-Patrice a été creusé par les.poëtes légendaires.

En effet, trois poèmes de Marie de France et de deux autres écrivains anglo-normands avaient popularisé cette formidable histoire du purgatoire de Saint-Patrice, rapportée par Matthieu Paris, Jean de Vitry, Vincent de Beauvais on.en connaît une version espagnole qu’on a crue de la main d’Alphonse X, et une traduction italienne dont le dialecte grossier atteste sa prompte propagation dans les derniers rangs du peuple[27]. Un chevalier anglais , du nom d’Oweins, entreprend pour l’expiation de ses péchés le pèlerinage du purgatoire. Il se rend à la caverne miraculeuse, jadis ouverte à la prière de saint Patrick, dans une île du lac de Dungal. Après de longs jeûnes et de ferventes oraisons, éclairé par les conseils des religieux voisins, il s’engage dans la route souterraine[28], et bientôt il se trouve en un lieu qui est à la fois celui des souffrances temporaires et des peines éternelles. Les menaces des démons ne le font pas reculer ; tantôt repoussé, tantôt entraîné par leurs bandes insolentes, il parcourt d’innombrables supplices[29]. Ce sont des coupables crucifiés à terre, enlacés, dévorés par des serpents, exposés dans leur nudité au souffle d’un vent d’hiver, suspendus par les pieds sur des bûchers qui ne s’éteignent pas, attachés à une roue qui tourne sans fin, plongés dans des fosses du bouillonne le métal fondu, enlevés par, la tempête et précipités dans un fleuve sous les eaux duquel les démons armés de crocs de fer les retiennent. Au fond de ce lugubre séjour, un puits embrasé engloutit et revomit tour à tour les âmes enveloppées d’un vêtement de feu[30] . Oweins reconnaît plusieurs de ses compagnons d’armes ; son courage se trouble ; il gagne en tremblant un pont jeté sur l’abîme l’étroite planche s’élargit devant ses pas, et le conduit auprès d’une porte qui s’ouvre et laisse voir des jardins magnifiques[31] . C’est l’Eden, perdu par le péché du premier père, habité maintenant par les justes avant leur entrée au ciel. Une longue procession vient recevoir le nouvel hôte, et le mène jusqu’en un point d’où peut s’apercevoir la gloire d’en haut. L’Esprit-Saint en’ est descendu ; il se répand sur l’assemblée triomphante. Oweins se retire purifié[32].

D’un autre côté, quand le romancier conduit Alexandre au Paradis terrestre, on soupçonne sans peine que d’autres pèlerins l’ont précédé. On s’en assure en retrouvant, parmi les compositions des trouvères, le Voyage de saint Brendan, odyssée monacale qui charma plus d’une fois la solitude des cloîtres, en y transportant les tableaux d’une vie errante et libre sur les mers. Dès le onzième siècle, on en voit une rédaction latine suivie de plusieurs traductions anglaises, allemandes, françaises, espagnoles. Je m’étonnerais que l’Italie,’si amie du merveilleux, n’eût pas conservé les siennes [33]. Le saint moine a quitté l’ile d’Erin pour aller chercher, à travers les mers occidentales, la terre de repromission réservée aux saints : Après les aventures sans nombre d’une longue navigation, il arrive au paradis des oiseaux, demeure des anges demi-tombés, qui, sans partager la révolte de Lucifer, ne s’associèrent point à la résistance des milices fidèles[34]. Plus loin, se rencontrent la montagne de l’enfer, dont le sommet volcanique domine l’Océan : de noirs forgerons l’habitent-, et leurs marteaux retombent nuit et jour sur les enclumes où se tordent-les réprouvés.. Dans ces parages funestes, Judas seul, au milieu des eaux, jouit du repos hebdomadaire que la mansuétude infinie : du Christ lui accorda..Le passage de saint Brendan prolonge d’un jour cette suspension de souffrances[35]. Il s’éloigne ensuite ; et, lorsqu’il a salué l’ermite Paul,. retiré depuis près d’un siècle dans une île solitaire, il aborde au rivage désiré. Là fut jadis le paradis terrestre, désert maintenant, mais destiné à devenir un jour l’asile des chrétiens, quand recommencera le temps des persécutions. Ainsi l’a prédit un ange du ciel, qui, renvoie dans leur patrie les miraculeux voyageurs [36].

Pendant que les imaginations charmées suivaient le moine navigateur, et cherchaient avec lui ce que l’homme rêva toujours, une terre meilleure que la sienne, des pensées moins douces s’éveillaient au récit de la Descente de saint Paul en enfer . –Une tradition, dont l’origine ne se retrouve pas dans les écritures apocryphes, rédigée eh latin, avant le milieu du onzième siècle, par un Français des provinces méridionales, fournit au moine anglo-normand Adam de Ros le sujet de ce poëme[37]. L’archange saint Michel conduit l’apôtre des nations dans ce lieu, dont il doit prêcher les terreurs. Devant le seuil, un arbre

enflammé se dresse, gibet aux, mille bras, où sont suspendues les âmes des avares. Plus loin, brûle une fournaise couronnée de sombres tourbillons. Un large fleuve, roulant des démons dans ses flots, s’enfonce sous les arches du pont fatal, que les justes réconciliés franchissent, mais qui fuit sous les pas des pécheurs. Plongés, à des profondeurs inégales, selon la gravité de leurs crimes, apparaissaient les envieux, les adultères, les dissipateurs, les sectaires armés pour la ruine de l’Eglise[38]. D’autres tourments attendent les usuriers, les exacteurs, et tous ceux qui n’eurent souci de Dieu, ni merci des pauvres. Les vierges infidèles, vêtues de noirs vêtements, sont livrées aux embrassements hideux des dragons et des couleuvres. Les juges iniques errent entre des feux toujours allumés et une muraille glaciale. Des chaînes douloureuses chargent les mains des mauvais prêtres. Enfin, le puits scellé des sept sceaux renferme dans une infecte sépulture ceux qui nièrent les mystères de la foi[39]. À ces tristes spectacles vient se mêler l’apparition d’une âme élue, que les anges portent dans la gloire. La cour céleste retentit de joyeux cantiques les damnés y répondent par leurs gémissements. Saint Paul et son guide s’émeuvent,’ et commencent une prière que répètent tous les saints. La Justice éternelle se laisse fléchir ; elle accorde aux réprouvés l’interruption régulière de leurs souffrances, chaque semaine, au jour du Seigneur. La trêve de Dieu s’étend sur ses ennemis.

Quelquefois l’apparition de la vie future se fait sur une scène moins large, et n’est plus qu’un épisode de l’épopée religieuse, comme la descente aux enfers chez les anciens. Parmi les sujets les plus aimés de la poésie légendaire, je remarque l’ Histoire de Barlaam et Josaphat, accréditée par le nom de saint Jean Damascène, souvent traitée en France, en Angleterre, en Allemagne enfin, où elle prit une forme savante et harmonieuse dans les vers de Rodolphe de Montfort[40]. Je la trouve aussi populaire en Italie au quatorzième siècle, s’il en faut juger par un manuscrit de la Bibliothèque royale qui contient la légende rédigée dans un mauvais dialecte, enrichie d’enluminures grossières, par conséquent destinée à des lecteurs indulgents[41]. Josaphat, fils d’un roi de l’Inde, est secrètement initié par un vieillard à la foi chrétienne persécutée. Les faux prêtres et les magiciens s’émeuvent : le roi épouse leurs colères, il soumet son fils à plusieurs sortes d’épreuves un essaim de jeunes tentatrices l’environnent, il va succomber, lorsqu’enfin, ayant recours au Seigneur par la prière, il est ravi hors de lui-même. « Et incontinent un ange —le conduisit au ciel, et lui montra la gloire du ciel, et les chœurs angéliques, avec le cortége des patriarches, des prophètes, des apôtres, avec une grande multitude de chevaliers et de vierges qui moururent martyrs et l’ange l’avertit que, s’il gardait sa virginité, il serait tôt ou tard de cette assemblée glorieuse. Et après lui avoir montré le paradis, l’ange lui fit voir l’enfer et les démons, et les peines des pécheurs, et le feu, où il n’y a que pleurs et grincements de dents pendant l’éternité. Quand Josaphat vit les démons et les peines des âmes, incontinent il commença à pleurer, à trembler avec une grande épouvante. Et l’ange lui dit « Tu as considéré la punition des pécheurs c’est pourquoi je te reconduirai au monde, dans ton corps ; et, si tu oublies ta virginité, tu seras mis dans le feu d’enfer. » À ces mots, Josaphat se réveilla et depuis cette heure la tentation s’éloigna de lui.[42]

Pendant que ces quatre récits, entrés pour ainsi dire dans l’héritage poétique des nations chrétiennes, font le tour de l’Europe et passent par toutes ses langues, il se trouve au fond du Nord ; -en Islande, un écrivain qui rassemble les traditions mourantes de sa patrie, pour en composer le célèbre recueil de l’Edda. A la suite des fables païennes ensevelies dans ce livre comme dans leur tombeau, on est étonné de rencontrer un chant chrétien, le Chant du Soleil, où le poëte, s’arrachant aux souvenirs d’une mythologie condamnée, s’efforce de reconstruire le monde invisible sur de meilleurs fondements[43]. Un père a rompu les lois de la mort pour venir instruire son fils, il le visite dans un songe et lui révèle les secrets de l’éternité. Il a parcouru d’abord les sept zones du monde inférieur. Des oiseaux noircis de fumée, qui étaient des âmes, tourbillonnaient comme un nuage de moucherons à l’entrée de l’abîme. Les femmes impudiques poussaient en pleurant des rochers ensanglantés. Par un chemin de sable brûlant marchaient des hommes couverts de , blessures[44]. Des étoiles menaçantes étaient suspendues sur le front des excommuniés. Sur la poitrine des envieux, on lisait des runes de sang. Ceux qui avaient poursuivi les vaines félicités de la vie couraient sans repos dans une carrière sans but. Les. voleurs, chargés de fardeaux de plomb, allaient par troupes au château de Satan. Des reptiles venimeux traversaient le cœur des assassins ; et les corbeaux de. l’enfer dévoraient les yeux des menteurs [45] . –Mais le vieillard s’est vu ravir ensuite aux plus hautes régions du-ciel. Là, des anges radieux lisaient l’Évangile sur la tête de ceux qui firent l’aumône. Ceux qui jeûnèrent étaient entourés d’esprits célestes prosternés a leurs pieds. Les fils pieux rêvaient bercés sur les rayons des astres. Les opprimés, les victimes des forts ; portés dans des chars de triomphe, passaient comme des rois au milieu de la foule des saints. Cette douce image du paradis, substituée aux combats et aux banquets éternels du Walhalla, cette apothéose de la charité, de l’abstinence et de la résignation, laissent assez voir ce que pouvait l’Église sur l’esprit indompté des Scandinaves. Cependant on reconnait encore dans le tableau de l’enfer les reflets sinistres du paganisme. Les vieilles peintures du royaume des ténèbres (Muspelheim) sortirent lentement de la mémoire des peuples du Nord. J’en retrouve le souvenir et le nom (Muspilli) jusque dans un cantique du jugement dernier, composé au neuvième siècle. Longtemps les patres de la Souabe et de la Suisse ont montré les montagnes creuses, ou quelqu’un d’entre eux ayant pénétré, avait vu Siegfried, Charlemagne ou Frédéric Barberousse tenir sa cour avec les morts[46]. Toute la poésie du moyen âge.était donc pleine des spectacles de l’éternité. Mais de même que les songes de la nuit se forment des pensées du jour, ainsi les poëtes rêvent ce que les peuples croient. Les peuples croyaient donc au commerce des vivants et des. morts ; ils croyaient l’Eternité accessible aux âmes pures, ils croyaient aux visions. Il n’est pas de récits que les enfants aient plus curieusement écoutés de la bouche de leurs mères, les hommes des lèvres du prêtre, qui les tenait de ses livres. Je n’accuse ni tes livres, ni le prêtre, ni les mères, et je ne vois rien de plus digne de respect que cette crédulité tant méprisée. J’y découvre le besoin le plus honorable de la nature humaine, et le plus inexorable en même temps, le besoin de l’infini. Il s’en fallait encore de deux cents ans que l’homme eût fait le tour de la terre il n’en connaissait encore ni l’étendue, ni la forme, ni la situation mais ce qu’il savait depuis longtemps, c’est qu’elle était trop petite. Il voulait voir au-dessous et au-dessus. On avait beau fouler aux pieds les pauvres dans la fange, ils n’étaient pas encore si bas qu’ils ne se souvinssent de leurs destinées, Ils voulaient, non-seulement qu’on leur enseignât le paradis, mais qu’on le leur décrivît, qu’on l’eût visité pour eux. On avait beau envelopper les rois dans une nuée d’encens et d’hommages, ils s’ennuyaient de ces honneurs qui devaient finir, et payaient des poëtes pour leur peindre l’éternité, sans oublier l’enfer, où sont punis les tyrans.

III

Tant d’ouvrages d’art, tant de productions dans un siècle, supposent l’effort d’une pensée qui vient de plus haut. Avant qu’un récit soit mis en vers, il est longtemps resté dans les entretiens, dans les souvenirs des hommes. La poésie est la fleur la tradition est la tige elle est longue et délicate ; il faut la dégager lentement, avec patience, si l’on veut aller jusqu’aux racines.

En présence du nombre infini de visions de la vie future qui remplissent les chroniques et les légendes, je vois d’abord l’impuissance où je suis de tout étudier et de tout connaître. Il me suffit de montrer l’extrême richesse de cette littérature du monde invisible, quelle place elle tenait dans la bibliothèque des hommes du treizième siècle, quelles images elle devait laisser chez un grand esprit comme Dante, avec la passion de tout lire et le don de ne rien oublier.

Je remarque premièrement les livres qui étaient dans le patrimoine commun de la chrétienté, que toutes les abbayes faisaient copier pour l’usage de leurs moines ; et je n’en trouve pas de plus célèbres que les Vies des saints. Dès le septième siècle, un décret du pape Gélase avait mis les Vies des Pères au rang des écrits que l’Eglise reçoit avec honneur Cassiore en recommandait l’étude saint Benoît les nommait parmi les lectures que les religieux devaient entendre chaque jour, à la suite du repas[47]. De la ce grand nombre de collections, formées des actes des martyrs, des biographies écrites par saint Jérôme, des récits de Ruffin, de Sulpice Sévère, de Grégoire de Tours, et successivement enrichies des souvenirs que chaque génération de saints laissait après elle. Les interpolations étaient faciles : les fables pénétraient sans peine dans une suite de fragments qui n’avaient pas de lien ; chaque monastère eut son recueil abrégé ou grossi, selon le loisir de ses copistes. Deux écrivains du treizième siècle, deux Italiens, avaient tenté de porter la lumière au fond de ce désordre le premier était Barthélemy de Trente ; le second, Jacques de Varaggio, archevêque de Gênes, auteur de la Légendedorée, qui rangea les actes des-saints dans le cycle de l’année ecclésiastique, et fit à chaque fête comme une couronne de poétiques traditions[48]. J’ouvre donc la Légende dorée, et j’y reconnais le Purgatoire de saint Patrice et l’histoire de Josaphat. Dans la vie de saint Jean l’Evangéliste, dans celle de saint Thomas, au chapitre de la fête de tous les Saints, je trouve plusieurs visions de l’enfer et du ciel. Si je m’arrête au jour de la Mémoire des trépassés, j’y vois de fréquentes

apparitions des morts aux vivants, et l’histoire merveilleuse d’un jeune homme mort au pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Son âme, enlevée par les démons, réclamée par les anges, conduite enfin aux pieds de la sainte Vierge, fut renvoyée sur la terre pour y solliciter les prières des hommes en faveur des défunts[49] . Mais rien n’égale l’admirable récit de la descente du Sauveur aux enfers. La Légende dorée l’emprunte à l’évangile apocryphe de Nicodème, populaire en Occident dès le temps de Grégoire de Tours ; mais, encore tout plein du souffle hardi de l’Orient, les Pères de l’Eglise ne le citent jamais : c’est une source où les artistes et non les théologiens vont puiser ; Milton et Klopstock ne la négligèrent pas. Le récit commence au jour de la résurrection. La nouvelle du prodige a mis Jérusalem en rumeur et la synagogue en alarmes. Tandis que les princes des prêtres délibèrent, on introduit dans l’assemblée deux ressuscités, Leucius et Carinus, fils du vieillard Siméon; chacun d’eux se fait donner un livre, et ils écrivent ce qui suit « Nous étions dans les ténèbres avec nos pères les Patriarches, quand tout à coup une lumière d’or et de pourpre, comme celle du soleil, nous illumina et aussitôt le père du genre humain, Adam, tressaillit de joie, et il dit « Cette lumière est celle de l’Auteur de toute lumière, qui a promis de nous envoyer son jour éternel. » Et Isaïe s’écria « Cette lumière est celle du Fils de Dieu, dont j’ai prophétisé que le peuple qui marchait dans les ténèbres verrait une grande lumière. » Et le vieillard Siméon survint, et avec lui Jean-Baptiste, et ils rendirent ce témoignage du Sauveur l’un qu’il l’avait tenu dans ses bras, l’autre qu’il l’avait baptisé et que sa venue était proche. En ce moment Seth se souvint qu’un jour il était allé aux portes du paradis terrestre demander « l’huile de miséricorde » pour -oindre Adam, son père, qui était malade ; et saint Michel, lui apparaissant, lui avait annoncé que l’huile de miséricorde ne serait donnée au monde qu’après cinq mille cinq cents ans accomplis. Et comme il se trouva que ce temps s’accomplissait à l’heure même, tous les patriarches frémirent d’allégresse. Alors Satan, le prince de la mort, dit à l’Enfer « Prépare-toi à recevoir Jésus, qui se glorifiait d’être le Fils de Dieu, et qui n’est qu’un homme craignant de mourir ; car il a dit « Mon âme est triste jusqu’à la mort. Voici que je l’ai tenté ; j’ai excité le peuple contre lui, j’ai

aiguisé la lance, mêlé le fiel et le vinaigre, préparé la croix le moment n’est, pas ’loin où je l’amènerai captif, Et l’Enfer demanda « Est-ce le même Jésus qui a ressuscité Lazare ? Et Satan répondit « C’est lui-même, » Et l’Enfer, s’écria « Je te conjure par tes puissances et par les miennes de ne pas m’amener cet homme ; car, lorsque j’ai entendu le commandement de sa parole, j’ai tremblé, et je n’ai pu retenir Lazare mais, se dégageant tout à coup, il a pris son essor comme l’aigle, et il s’est échappé.» Or, tandis que l’Enfer parlait de la sorte, une voix se fit entendre, pareille à celle du tonnerre, et elle disait : « Princes, ouvrez vos portes, levez vos portes éternelles, et livrez entrée au Roi de gloire. » A cette voix les démons coururent, et fermèrent les portes d’airain avec des barres de fer. Et David dit en les voyant « J’ai prophétisé qu’il briserait les portes d’airain. » Et la voix recommença «  Ouvrez vos portes, et livrez entrée au Roi de gloire. » L’Enfer voyant qu’on avait crié deux fois, demanda : « Et qui donc est ce roi de gloire ? » Et Daniel répondit « Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur fort dans le combat, c’est lui qu’on appelle le Roi de gloire. » Comme il parlait encore, le Roi de gloire parut, sa splendeur éclaira les limbes éternelles et le Seigneur, étendant sa main et prenant la main droite d’Adam, « La paix, dit-il, soit avec toi et avec tous ceux de tes filsqui furent justes. » Et le Seigneur sortit des enfers, et tous les justes le suivirent. —L’archange saint Michel les introduit ensuite dans le Paradis, où il trouve Enoch et Elie, enlevés de la terre et réservés pour les épreuves de la fin des temps. Ils voient aussi venir au-devant d’eux un homme qui porte sur ses épaules le signe de la croix. Et comme on lui demande ce qu’il est « Je suis, dit-il, le Larron crucifié avec Jésus, et j’ai cru en lui, et il m’a donné ce signe, en me disant de me présenter aux portes du Paradis, et de montrer ce signe à l'ange qui les garde. Et j’ai fait ainsi, et l’ange, m’ayant ouvert, m’a donné ma place. » Ce fut là que Leucius et Carinus cessèrent d’écrire ; et, se transfigurant, ils devinrent blancs comme la neige et disparurent. Mais, les deux livres étant restés, on les trouva parfaitement conformes. Les beautés de ce fragment n’ont pas besoin de commentaire. La scène s’ouvre avec toute la grandeur de l’épopée : il ne se peut rien de plus heureux que cette façon de grouper les personnages, de les mettre aux prises, et de leur donner la parole. Après cette longue attente, ces entretiens et ces disputes, la brièveté de l’action a quelque chose de foudroyant comme la puissance divine, et le triomphe terminé par l’histoire du bon Larron couronne ces spectacles pathétiques d’une pensée de miséricorde qui repose le cœur. L’auteur de la Légende dorée le savait bien : il n’ignorait pas la valeur des textes apocryphes dont il usait lui-même en relève souvent les anachronismes et les contradictions. Néanmoins, il fait servir ces peintures imaginaires à la traduction d’une doctrine véritable. Il ne s’est point proposé d’écrire l’histoire, mais bien le poëme de la vie des saints. On lui a cruellement reproché ces mensonges : je n’en vois pas d’autres que le mensonge éternel de l’art, le mensonge de la toile ou de la pierre qui veut reproduire, par des traits immobiles, la beauté vivante. Assurément l’artiste n’ignore pas la distance qui sépare l’idéal immortel de cette image froide et muette sortie de ses mains, et c’est pourquoi il ne se contente jamais de ses œuvres. Cependant le peuple ne se trompe pas non plus, mais il se contente il suffit qu’on l’ait mis sur la voie, il fera le reste. Sans doute, il voit bien que la coupole peinte et dorée sous laquelle il prie, si haute qu’on l’ait faite, est bien loin du ciel qu’elle veut représenter ; mais elle en montre la route, et la prière y atteindra[50].

Mais la critique de Jacques de Varaggio, si indulgente qu’elle fût, avait rejeté des récits plus étendus, qu’il fallait chercher dans d’autres recueils. Telle était l’aventure de trois moines d’Orient, qui virent flotter des rameaux d’or sur le fleuve voisin de leur solitude. Ils remontèrent le courant jusqu’à des montagnes inconnues, où ils se virent tout à coup au milieu du paradis terrestre, gardé par Enoch et Ëlie. Et lorsque, ayant admiré les merveilles de ce beau lieu, ils regagnèrent le cloître, d’autres moines y avaient pris leur place ; on leur montra leurs noms à demi effacés par le temps dans les obituaires de la maison sept siècles s’étaient écoulés[51]. Une collection italienne des Vies des Pères rapportait les discours des deux religieux, conduits en esprit au séjour des réprouvés ils y contemplèrent Caïphe dans le feu, et le prince des démons dans l’abîme[52]. On y lisait surtout la longue vision de Tantale, chevalier jeune et beau, lequel, au milieu d’un banquet, au moment de mettre la main au plat, tomba frappé d’un

sommeil miraculeux. L’âme échappée du corps se trouva au milieu d’une vaste prairie, où les esprits malins t’environnaient déjà, lorsqu’un ange lumineux comme une étoile vint le dégager de leurs mains. Il la conduisit alors par une vallée terrible et ténébreuse, pleine de charbons ardents ; et audessus il y avait un couvercle de fer en forme de gril, où étaient assis un grand nombre de diables occupés au tourment des réprouvés. Ensuite venaient des forêts d’arbres épineux, peuplées de chiens enragés, des étangs de soufre et des étangs de glace balayés par un vent violent ; le pont de l’épreuve jeté sur un fleuve de flammes[53]. Enfin, paraissait Lucifer, l’ennemi de Dieu et des hommes, d’une taille gigantesque, avec une forme humaine, sauf qu’il avait cent mains, longues de cent palmes. Il était chargé de chaînes embrasées ; et, pour apaiser la soif qui le dévorait, il étendait ses mains sur la foule des âmes, en saisissait autant qu’il en pouvait tenir, et les exprimait dans sa bouche comme le vin d’une grappe. L’âme de Tantale vit tourmenter ainsi ceux qui renient Dieu, les faux chrétiens, les homicides, les ennemis de la paix, les adultères ; mais surtout les prélats et les chefs des peuples, qui cherchent les seigneuries et les bénéfices par intrigues, simonie ou menaces ; ceux qui vendent les sacrements de l’Eglise ceux qui jugent faussement par amour, par intérêt ou par défaut de. savoir[54] . Le pèlerinage merveilleux s’achève en traversant le purgatoire et le paradis. Assurément les traits du tableau sont durs et les couleurs grossières mais on y trouve un sentiment qui purifie tout ce qu’il touche c’est la passion de la justice, d’une justice égale pour tous. Les imaginations étaient faciles à contenter, mais les consciences étaient exigeantes.

Après ces légendes, dont la popularité était universelle, j’en vois d’autres qui se liaient à l’histoire de chaque royaume, de chaque église, peut-être de chaque communauté puissante. Il ne serait pas sans intérêt de suivré la tradition chez quelques uns des grands peuples de l’Europe, et de considérer quelle empreinte elle y reçut de leur génie et de leur civilisation.

Nulle part les visions ne se montrent plus nombreuses ni plus effrayantes qu’en Allemagne. Nulle part aussi une résistance plus opiniâtre n’arrêta l’effort civilisateur du christianisme. Dans un pays où, les empereurs trafiquaient des églises, où plusieurs peuples, au onzième siècle, vivaient encore en pleine polygamie où les prêtres, menacés par Grégoire VII, s’écriaient qu’ils renonceraient au sacerdoce plutôt qu’au mariage, il semble qu’il fallût toute la puissance de la terreur pour faire pénétrer la sainte pensée du devoir[55]. Ces cœurs violents, ces esprits indisciplinés, ne se rendaient qu’à la prédication de l’enfer. Je ne m’étonne plus des sombres peintures qui remplissent le Livre’ des visions, compilé par le moine Othlon de Ratisbonne[56]. J’y compte sept apparitions des peines futures. Une servante d’Augsbourg, qu’on portait au tombeau, ressuscite pour avertir un magistrat de la ville, au nom de son père damné, de restituer des biens mal acquis. Un pauvre, qui mendiait aux portes de l’église de Saint-Emmeran, voit en rêve une maison de fer rougi au feu, où sont emprisonnés éternellement les mauvais conseillers qui détournèrent l’empereur de faire sa paix avec Dieu et les hommes[57]. Une autre fois le saint patron du monastère conduit en esprit un de ses religieux sur la montagne du purgatoire. La peine des justes qui s’y purifient est de considérer les supplices des réprouvés et d’entendre leurs cris[58]. Ailleurs, c’est la grande impératrice Téophanie qu’on voit punie pour avoir propagé le luxe des Grecs parmi les femmes de France et de Germanie[59]. Mais rien n’égale l’étrange aventure d’un seigneur appelé Vollark, qui, se rendant à des noces avec un petit nombre de compagnons, s’égare au déclin du jour dans une forêt. Et comme il désespère de retrouver sa route, un cavalier noir l’aborde, et lui propose l’hospitalité pour la nuit. Bientôt la forêt s’éclaire au fond d’une large avenue resplendissent les feux d’un château. On entre dans les vastes salles, la table du festin est dressée, elle se couvre d’une profusion d’or, d’argent, de pierreries tout autour se rangent des figures sinistres. Et, comme Vollark ne peut cacher ni son étonnement ni son inquiétude « Toutes ces richesses que tu vois, lui dit le maître du lieu, sont les biens que les hommes enlèvent aux églises : c’est pour moi qu’ils travaillent. » Alors le bon seigneur se souvint que son hôte en se nommant à lui, s’était donné le nom de Nithard, c’est-à-dire le Malin ; mais comme il était juste et craignait Dieu, les démons ne purent rien sur lui ; il revint sain et sauf avec ses compagnons, son cheval et ses armes. Du reste, le narrateur a la sincérité de ne point garantir son récit ; il l’a reçu de la rumeur publique, et nous aimons à cueillir en passant cette fleur de poésie populaire qui a de la grâce et de l’éclat[60] . En remontant plus haut, nous rencontrons la célèbre vision du moine Wettin de l’abbaye de Reichenau, rédigée sous sa dictée par l’abbé du monastère, et mise en vers par Walafrid[61]. Deux jours avant sa mort, Wettin avait été ravi en esprit et, guidé par son ange gardien, il avait visité le triple séjour des âmes. Il vit les damnés livrés à d’affreuses tortures, roulés dans des torrents de feu, ensevelis dans des châsses de plomb, captifs entre des murs infranchissables, au milieu d’une épaisse fumée ; et il y reconnut beaucoup de prélats, de prêtres et de religieux[62] . Il gravit la montagne du purgatoire, où les évêques négligents expiaient leur mollesse, et les comtes leur rapacité. Au milieu d’eux, Charlemagne était puni pour l’incontinence de sa chair[63]. Ensuite les portes du palais céleste lui furent ouvertes : il traversa les rangs des martyrs et des vierges ; il parvint jusqu’au trône de l’Éternel, et reçut l’assurance de son salut, à condition de revenir annoncer aux hommes pendant deux jours ce qu’il avait vu des vengeances divines[64]. Il y a toute la tristesse du neuvième siècle dans le rêve du moine de Reichenau. De ces guerriers et de ces pontifes de l’âge héroïque qu’on voyait naguère tout couverts de gloire, il ne reste plus que des âmes souffrantes et châtiées et le grand empereur n’échappe ni à la flétrissure ni au supplice. On a besoin de rencontrer des images plus consolantes dans un récit de saint Anschaire, qui, vers le même temps, achevait la conquête religieuse du Nord[65]. Il racontait qu’après son entrée en religion, étant tombé dans la tiédeur, il eut un songe il lui sembla qu’il venait de mourir, et que saint Pierre et saint Jean l’assistaient. Ils le conduisirent premièrement en purgatoire, où il passa dans les ténèbres et dans la gêne trois jours qui lui parurent dix siècles. Puis, revenant le chercher, ils le menèrent par des chemins qui n’avaient rien de corporel, marchant d’un pas immobile à travers des clartés toujours plus vives jusqu’aux portes du paradis. Les chœurs des bienheureux étaient tournés vers l’orient, les uns cachant leurs têtes dans leurs mains, les autres étendant les bras, tous unissant leurs voix dans un concert sans fin. Vingt-quatre vieillards siégeaient sur des trônes plus élevés ; et à l’orient paraissait une lumière dont on ne voyait ni le commencement ni la fin, qui enveloppait tous les élus, qui les pénétrait, qui les couvrait, qui les soutenait. Anschaire ne vit luire en ce lieu ni le soleil ni la lune, il n’aperçut ni les cieux ni la terre car il ne s’y trouvait rien de matériel. Seulement un reflet pareil à l’arc-en-ciel environnait l’enceinte sacrée. Or ; du sein de la majesté divine une voix sortit souverainement douce, et qui parut néanmoins remplir le monde « Va, dit-elle au jeune moine, et tu reviendras martyr[66]. » Le même caractère de douceur se fait sentir dans les deux visions racontées par saint Boniface. Cet homme infatigable, ce fondateur des églises de Germanie, ce conseiller de Charles Martel et de Pépin, trouve le loisir d’écrire à une religieuse anglo-saxonne, et de lui rapporter la déclaration d’un ressuscité qu’il vient d’interroger au monastère de Milburg. L’interrogatoire était solennel en présence de trois religieux, celui qu’on avait cru mort décrivit son départ de ce monde, son voyage en compagnie d’autres âmes qui cheminaient vers l’Éternité ; le jugement où ses péchés l’avaient accusé, et ses bonnes œuvres défendu jusqu’à ce que les anges vinssent l’enlever pour lui montrer le paradis, et le renvoyer ensuite parmi les hommes. Dans une autre lettre ; c’est une femme qui visite les lieux éternels. Ici encore les peintures de l’enfer restent dans l’ombre on retrouve bien le caractère du charitable évêque qui faisait transcrire les saintes Ecritures en lettres d’or, afin de charmer les yeux des païens, et qui eut horreur du sang, jusqu’à mourir plutôt que de laisser tirer l’épée pour sa défense[67].

2. Rien n’était plus près des Allemands que les populations germaniques, maîtresses du nord de la France, où elles gardèrent longtemps leur langue, plus longtemps leur caractère et leurs mœurs. À la fin du treizième siècle, les Siciliens accusaient dans un manifeste « la barbarie de ces Français qui, au lieu de s’instruire à l’école de l’Italie, allaient chercher au delà du Rhin des lois sauvages et des coutumes sans pitié[68] . » Nos voisins avaient pu s’en apercevoir aux fureurs de la guerre albigeoise. Il faut donc s’attendre, en remontant le cours des chroniques françaises, à les trouver mêlées de ces redoutables récits qui viennent y jeter la terreur et souvent la lumière. L’habitude en est si profonde, que le bon Joinville ne saurait achever son histoire sans l’embellir d’une vision et il y conte l’aventure d’un prince tartare miraculeusement transporté au milieu de la cour céleste pour y apprendre les destinées de son peuple[69] . Au onzième siècle, quand les premiers signes d’une renaissance chrétienne se montrent dans la sainte abbaye de Cluny, on lit dans ses annales qu’un chevalier revenant de Palestine, jeté par les vents sur une île déserte, s’était trouvé près du séjour des morts. Il avait appris d’un ermite, seul habitant de la contrée, que souvent on y entendait les plaintes des démons, frustrés des âmes que saint Odilon, abbé de Cluny, leur enlevait par ses jeûnes et ses prières[70].

À mesure qu’on arrive aux derniers Carlovingiens, quand les peuples sèchent de frayeur devant les conquêtes des Sarrasins et des Normands, les peintures deviennent plus sombres. Une femme, appelée Frothilde, est conduite chez les trépassés elle y a des spectacles où l’on reconnaît l’exil de Louis d’Outre-mer, et le désordre du royaume[71] . Les rêves des rois ne sont pas meilleurs. Une nuit, au retour de matines, Charles le Gros voit devant lui une figure vêtue de blanc qui lui remet dans les mains l’extrémité d’un fil lumineux, et le conduit dans le labyrinthe infernal. Il visite le lieu marqué pour la punition des mauvais évêques. Il passe les montagnes et les torrents de métaux fondus, où gémissent les méchants seigneurs, tandis qu’une voix crie « La peine des grands sera grande. » Au fond de la vallée fleurie du purgatoire, il découvre son père, Louis le Germanique, plongé dans une chaudière d’eau bouillante. Enfin le ciel s’ouvre, et lui laisse voir son aïeul Lothaire, qui lui prédit la fin prochaine de son règne et la ruine de sa race[72] . Quelques années plus tôt, Hincmar rapporte la vision de son diocésain Bernold, qui a contemplé dans un lieu de détresse les âmes de Charles le Chauve, de l’archevêque Ebbon et de plusieurs prélats ce sont précisément les anciens adversaires Hincmar, que l’imagination complaisante de son ami a relégués en purgatoire[73]. La passion politique ne perce pas moins dans la vision d’Audrade. Il vient d’assister aux conseils éternels. Dieu a convoqué devant lui les anges de toutes les églises, et, les ayant bénis, leur demande la cause des scandales de la terre ; et les anges en accusent les mauvais rois. Dieu dit : « Où sont ces rois ? car je ne les connais point. » Alors comparaissent l’empereur Louis, ses fils, Lothaire et Charles, son petit-fils, Louis, roi d’Italie et Dieu leur enjoint de servir l’Église, s’ils tiennent à leurs couronnes[74] . Un autre songeur a vu l’âme de Charlemagne mise en jugement. Des troupes de démons viennent jeter ses péchés dans la balance. Mais saint Jacques de Compostelle et saint Denis mettent dans l’autre bassin les sanctuaires qu’il a construits, les abbayes qu’il a fondées le poids l’ emporte, et l’empereur est absous[75]. Il n’y a pas jusqu’aux derniers des hommes qui n’aient leurs visions : Alcuin raconte celle de son serviteur Sénèque. L’Église ne méprise pas les avertissements des petits[76]. Si nous passons aux temps mérovingiens, nous y trouvons la légende de Dagobert, poussé par les diables sur la barque fatale, d’où viennent l’arracher saint Maurice et saint Martin, qui l’introduisent dans l’assemblée des élus[77]. Mais tous les descendants de Clovis ne trouvaient pas le même appui. Après le meurtre de Chilpéric, en 584, Gontran, son frère, déclara qu’il l’avait vu en songe, chargé de chaînes, condamné au feu pour ses crimes, mis en pièces, et jeté par lambeaux dans un vase d’airain suspendu sur les flammes éternelles[78].

Ces effrayants spectacles finissent par une scène pleine de calme et de sérénité ; je veux dire la vision de saint Salvus, évêque d’Alby, ami de Grégoire de Tours. Au temps où Salvus servait Dieu dans l’ordre de Saint-Benoît, il fut pris d’un mal violent dont il mourut ; mais au milieu des funérailles il ressuscita, et, pressé par ses moines, il leur raconta son voyage au paradis. Au delà des sphères célestes, il s’était trouvé dans une place immense pavée d’or, pleine d’une foule que nul ne pouvait compter ; et, continuant de marcher, il était parvenu dans un lieu où les saints se nourrissaient de parfums. Au-dessus d’eux planait une nuée resplendissante, de laquelle sortait une voix semblable à celle des grandes eaux. Or, la voix ordonna que Salvus retournât sur la terre pour servir au bien des églises. Et lui, se jetant à genoux : « Hélas Seigneur, s’écria-t-il, pourquoi m’avoir fait connaître ces splendeurs, s’il fallait sitôt les perdre ? » La voix répondit: « Retire-toi en paix, voici que je serai avec toi jusqu’à ton retour. » Salvus sortit en pleurant par la porte lumineuse qui s’était ouverte devant lui[79]. Rien n’est plus instructif dans nos annales que ces perpétuelles relations du monde visible avec l’invisible, des intérêts du temps avec ceux de l’Éternité. En laissant apercevoir derrière les violences des hommes les justices du ciel, ces visions faisaient pour ainsi dire la moralité de l’histoire. Au milieu des désordres de la terre, elles rappelaient l’ordre divin qui les domine, elles exprimaient le jugement de l’Église, elles formaient l’opinion des peuples, elles effrayaient la conscience des puissants. En même temps qu’on leur donnait ce redoutable avertissement « que les peines des grands sont grandes, » l’office de chaque jour ne s’achevait point dans les églises sans qu’on répétât tros fois le verset menaçant du Magnificat : Deposuit potentes de sede  ; et les prêtres célébraient cette messe contre les tyrans, qu’on trouve encore dans de vieux Missels  : Missa contra tyrannos.[80].

En Angleterre et en Irlande, la légende pénètre moins profondément dans les affaires, elle reste volontiers à l’ombre du couvent où elle naquit. La tradition du Purgatoire de saint Patrick se rattache aux premiers souvenirs du christianisme chez les Irlandais la vision de Tundale, celle de saint Brendan, leur appartiennent aussi. Au septième siècle, un religieux de la même nation, appelé Fursy, crut sentir son âme détachée du corps, et conduite par deux anges ; un troisième volait devant eux, portant un bouclier blanc et une épée étincelante. Ils traversèrent ainsi les quatre feux de l’enfer et la multitude menaçante des démons. Ensuite Fursy fut porté dans la région des saints, et deux d’entre eux lui annoncèrent les maux prêts à fondre sur le monde, à cause des péchés des rois, des docteurs et des moines. Mais quand il lui fut ordonné de revenir à la vie, l’âme, toute frémissante encore des spectacles éternels, ne rentra qu’en gémissant dans ce corps grossier qu’elle ne reconnaissait plus[81]. Les monastères de la Grande-Bretagne rivalisent avec ceux de l’île voisine. On trouve, chez Vincent de Beauvais, la vision d’un jeune Cistercien anglais transporté au ciel en 1153 et vers le même temps (1143-1147), l’histoire d’un enfant qui vit le purgatoire, l’enfer, le paradis, et qui reconnut au milieu de la gloire céleste le jeune William, crucifié par les juifs de Norwich. Matthieu Pâris raconte deux voyages aux enfers : celui du moine d’Évesham, en 1196, qui vit les trois lieux de punition et les trois lieux de récompense ; et celui de Thurcill, en 1206, sous la conduite de saint Julien l’Hospitalier. J’y remarque la belle apparition du vieil Adam couché à terre à l’ombre d’un grand arbre, et couvert d’un vêtement qui ne descendait pas jusqu’aux pieds. Et il fut dit à Thurcill que ce vêtement était la robe d’immortalité dont le premier père fut dépouillé après sa faute mais chacun des saints qui sortent de sa race lui en rend un lambeau, et quand elle descendra jusqu’aux pieds, le monde finira[82]. On lit, dans les Annales de saint Bertin, le songe d’un prêtre anglais conduit par un personnage mystérieux sous les voûtes d’une cathédrale magnifique, où une troupe innombrable d’enfants lisaient dans des livres chargés de lignes sanglantes. Les enfants étaient les âmes des saints qui intercédaient auprès de Dieu, pour les crimes des hommes représentés par les lettres de sang. Et une voix annonça que, les prévarications des peuples s’étant accrues, des Barbares viendraient du Nord sur des vaisseaux, menant les ténèbres à leur suite image de l’invasion normande, et de cette nuit d’ignorance dont elle menaçait l’Europe[83]. Enfin, je trouve, au cinquième livre de l’Histoire ecclésiastique de Bède, la résurrection du Northumbrien Drihthelm. Il racontait comment, au sortir de ce monde, il avait traversé des vallons tantôt glacés, tantôt brûlants, toujours ténébreux ; comment, du puits de l’abime, s’élançaient des flammes pleines de démons comment, enfin, la milice diabolique le poursuivait déjà, lorsqu’un ange était descendu à son secours. Il décrivait aussi les champs émaillés de fleurs, où les âmes purifiées attendaient que les portes du ciel s’ouvrissent. La lumière dont ces beaux lieux resplendissaient avait ébloui ses regards, pendant que des chants harmonieux enivraient son oreille. Revenu à lui-même, Driththelm chercha dans le cloître un autre Purgatoire ; il se plongeait au sein des rivières glacées aucune voie ne lui semblait trop rude pour regagner ce Paradis salué de loin et trop tôt perdu[84] Nous connaissons peu de visions dans les annales ecclésiastiques de l’Espagne, soit parce que les antiquités chrétiennes de ce pays nous sont moins familières ; soit parce que le peuple héroïque de Castille et d’Aragon, toujours sur les champs de bataille, eut trop à faire pour rêver beaucoup. Comment le Cid, si occupé dans ce monde, eût-il trouvé le temps de visiter l’autre ? Au contraire, c’est, le ciel qui le visite, c’est saint Pierre qui vient avertir le héros trente jours avant sa mort, afin qu’il fasse amende de ses péchés. Et comme il veut se jeter aux genoux de l’apôtre, celui-ci ne le souffre point : il convient qu’un si noble Castillan traite en maître avec la mort, en égal avec les saints, et avec Dieu en ami[85]. Toutefois, l’imagination puissante des Espagnols ne pouvait se contenir dans les étroites limites d’un territoire qu’il fallait disputer pied à pied. Il semble qu’elle fût déjà en travail de la découverte d’un nouveau, monde, lorsqu’on trouve, dans la légende populaire du bienheureux saint Amaro, les voyages du serviteur de Dieu à la recherche du Paradis terrestre. Christophe Colomb restera persuadé qu’en passant sous la ligne équinoxiale il parviendrait en un lieu élevé avec une autre température, d’autres eaux et d’autres étoiles ; et que là est l’Éden, où nul ne peut arriver que par la volonté divine[86]. Mais avant la conquête musulmane, lorsque le silence et la paix régnaient encore sous les portiques des cloîtres de Tolède, on y voit les mêmes apparitions qui occupent le reste de la chrétienté. On lit dans la correspondance de saint Valère trois lettres, où sont racontés les songes de trois moines qui, transportés dans le séjour des âmes, contemplèrent les tourments des damnés et les joies des élus[87] . Pourquoi un rêve pareil n’alla-t-il pas troubler les débauches des derniers rois visigoths avant qu’il fallût le glaive des Arabes pour les balayer ?


Si nous passons de l’Occident à l’Orient, et qu’il nous plaise d’écouter les récits des hagiographes grecs, nous ne sommes assurément pas près de finir. L’histoire des Arabes, publiée dans la Byzantine[88], contient tout un traité des Visions par songe. Les vies des Pères, recueillies par Moschus et Pallade, sont pleines d’extases et de ravissements d’esprit, où le ciel et l’enfer n’ont plus de secrets pour les anachorètes[89]. J’y remarque surtout l’effrayante vision de saint Antoine. Un géant lui apparut, noir, d’une stature prodigieuse, et dont la tête touchait les nuages. Il étendait ses mains jusqu’aux extrémités du ciel, et sous ses pieds il y avait un lac aussi grand que la mer. Il y avait aussi une multitude d’âmes volant autour de lui et celles qui passaient au-dessus de sa tête étaient recueillies par les anges ; mais celles que ces mains atteignaient tombaient dans le lac. Et il fut dit au saint que le lac représentait l’Enfer, où tombent les âmes corrompues par la volonté de la chair, par la haine et le désir de la vengeance[90]. Mais, pour me borner aux légendes plus connues qui vinrent au retour des croisades édifier la piété des Occidentaux, je n’en vois point de plus célèbre, avec celle de Barlaam et de Josaphat, que l’histoire des trois pèlerins de saint Macaire. Trois moines grecs, Théophile, Sergius et Hyginus, s’acheminent du côté du Levant pour découvrir le point « où le ciel et la terre se touchent » c’est, suivant l’opinion commune, le site du paradis terrestre. Ils passent l’Euphrate, traversent la Perse et la Bactriane, franchissent les dernières limites des conquêtes d’Alexandre, dont une colonne encore debout conserve le souvenir. Puis viennent de vastes solitudes couvertes d’ombres éternelles. Un lac de soufre y a creusé son bassin. A la surface s’agitent des serpents de feu. Sous les eaux se fait entendre un murmure pareil à celui d’une foule innombrable, et une voix crie : « C’est ici le lieu des châtiments. » Toutefois les pèlerins poursuivent leur route. Ils arrivent, après de longues fatigues, à la caverne de saint Macaire Romain. Conduit jadis par un désir semblable, Macaire est parvenu jusqu’à la porte de l’Éden, mais il a dû s’arrêter devant l’épée du Chérubin qui veille sur le seuil. Retiré dans un antre du voisinage, il a vécu un siècle-dans la prière et la pénitence. Ses hôtes, instruits par son exemple, renoncent à l’inutile recherche du jardin de délices ; ils reprennent la route du monastère, assurés d’y trouver le seul bonheur permis à l’homme ici-bas : celui de la vertu[91]. Il suffit de comparer cette narration bizarre au voyage de saint Brendan, pour reconnaître la sécheresse, la dureté, la pauvreté du génie byzantin. Au lieu de ce libre horizon des mers, au lieu de cette douceur infinie de l’Église latine, qui permet de croire à la mitigation des peines éternelles, et qui fait descendre un reste de pardon jusque sur la tête de Judas, on ne voit plus que les sables brûlants de l’Asie, les monotones répétitions des voyages d’Alexandre, et le spectacle d’un enfer où il n’y a que des supplices, et point de leçons [92].

C’est ainsi que le caractère des peuples éclate dans leurs traditions, plus librement encore que dans leurs chroniques. Il n’y est point gêné par les limites étroites du réel et du possible : il a le champ libre de l’infini. Il y prend l’essor, il ne s’arrête plus qu’il ne soit arrivé à son point. Il y a plus d’histoire qu’on ne pense au fond de tant de légendes et, pour ne rien dissimuler, l’histoire des siècles barbares est bien moins dans les

misérables annales de ces rois qui s’égorgent ou se coupent les cheveux, que dans les récits du cloître, où se réfugient alors presque toutes les grandes âmes, toute l’intelligence, toute la vertu, tout ce qui doit civiliser le monde. Mais ce que j’y cherche et ce que j’y trouve déjà, c’est la poésie. C’est, au milieu du désordre des pensées et des images, l’art qui commence, et qui porte avec lui l’unité et l’harmonie. Les différences sont innombrables, mais déjà les ressemblances percent, et les traits principaux s’y fixent. L’enfer, le purgatoire et le ciel se succèdent dans le même ordre, et le paradis terrestre y a la même place. Le visionnaire est sous la conduite d’un guide surnaturel ; les démons ne manquent pas de l’assaillir, les anges de le défendre[93]. L’appareil des supplices n’a guère d’autres ressources que le fer, la glace et le feu. Les mêmes serpents courent dans les mêmes sables, dans les mêmes forêts épineuses. Le pont fatal est rarement oublié[94] Du fond du puits de l’abîme, Satan s’élève comme un géant, et les réprouvés se débattent sous ses mâchoires[95]. Le voyageur ne passe pas impunément au milieu de tant de flammes elles l’atteignent, mais elles le purifient[96]. Comment ne reconnaîtrait-il pas dans les peines, dans les expiations ou dans la gloire, ceux qu’il craignit sur la terre ou qu’il aima ? comment ne pas rencontrer des ombres illustres à ce rendez-vous du genre humain ? comment ne pas juger son temps, quand il dispose de l’éternité[97] ? Et parce que l’économie divine ne souffre rien d’inutile, la vision veut être manifestée ; et c’est au milieu des splendeurs du paradis que le spectateur ébloui reçoit l’ordre de publier ce qu’il a vu, et de ne craindre ni la haine ni le mépris des hommes[98] . Ou je me. trompe bien, ou déjà le cadre d’une grande épopée se trace, les contours s’accusent, les images se colorent mais, comme les images des vitraux gothiques, il fallait le feu pour les fixer.

IV

Il fallait que ces traditions, et tant d’autres oubliées depuis, populaires au treizième siècle, passassent par le travail de la fournaise, c’est-à-dire d’une intelligence assez échauffée pour les rendre d’un seul jet, sous une forme immortelle. Dante, avec’la curiosité d’un grand esprit, avec cette passion de tout savoir qui le poussait à chercher jusqu’aux dogmes des Tartares et des Sarrasins, ne pouvait ignorer les croyances poétiques de l’Europe chrétienne, il ne pouvait mépriser celles qui charmaient toute l’Italie. S’il avait hanté les écoles des religieux si, comme on l’a cru, il porta quelque temps le cordon de saint François, comment n’eût il pas recueilli ces belles légendes franciscaines, célèbres dès le treizième siècle, et rassemblées bientôt après dans l’aimable livre des Fioretti di san Francesco ? Comment les anciens de l’ordre eussent-ils oublié de lui conter la vision de leur saint fondateur, lorsqu’un jour, épuisé de combats et d’abstinences, il pria Dieu de lui faire essayer dès ce monde la joie des bienheureux dans le ciel ? « Or, pendant qu’il était dans cette pensée, un ange lui apparut environné d’une grande lumière, lequel tenait une viole de la main gauche et un archet de la main droite ; et, François demeurant tout ébloui à l’aspect de l’ange, celui-ci poussa une seule fois l’archet sur la viole, et en tira une mélodie si douce, qu’elle pénétra l’âme du serviteur de Dieu, le détacha de tout sentiment corporel ; et, si l’ange eût retiré l’archet jusqu’en bas, l’âme, entraînée par cette irrésistible douceur, se fût échappée du corps[99]. » Il était difficile de représenter le bonheur sous une image plus immatérielle et en même temps plus charmante. Toute l’histoire du saint et de ses compagnons s’éclaire ainsi des reflets de l’Eternité. S’ils prient, ils voient les saints descendre autour d’eux, les démons s’enfuir, et les âmes délivrées sortir du purgatoire[100]. On rap.porte qu’un jeune homme de noble famille et d’habitudes délicates, ayant été admis dans l’ordre, avait pris l’habit en abomination, les manches en mépris, et le capuchon en horreur ; si bien qu’il résolut de quitter le couvent et de retourner au monde. La nuit marquée pour son départ, il fallut qu’il passât devant l’autel ; et, s’étant agenouillé selon sa coutume, il fut ravi en esprit. Il voyait venir au-devant de lui une multitude infinie de saints rangés en procession deux à deux couverts de riches vêtements, leurs visages et leurs mains resplendissaient comme le soleil, et ils allaient en chantant, accompagnés de la musique des anges. Dans le nombre il y en avait deux plus richement vêtus que les autres ; et, vers la fin de la procession, il en vint un dernier si pompeusement orné, qu’on l’eût pris pour un chevalier nouvellement reçu. Or le jeune homme restait immobile d’étonnement et de joie et ceux qui fermaient la procession lui dirent qu’ils étaient tous frères mineurs que les deux plus éclatants que les autres étaient saint François et saint Antoine, et le dernier de tous, un saint frère mort depuis peu de temps Dieu leur donnait ces riches vêtements pour les pauvres tuniques qu’ils avaient portées sur la terre en signe de pauvreté, d’humilité et de patience. En ce moment, le jeune homme revint à lui-même, et il se trouva que la tentation avait disparu[101]. Mais de toute la couronne franciscaine, la plus belle fleur à mon gré est la légende des trois larrons qui vinrent demander l’aumône au couvent de Monte-Casale. Et, le gardien leur ayant fermé la porte, saint François le reprit sévèrement, et lui commanda par la sainte obéissance ,d’aller après eux jusqu’à ce qu’il les eût rejoints, de s’agenouiller alors en leur demandant pardon de sa dureté, de leur offrir du pain et du vin, et de les prier qu’ils cessassent de mal faire, mais qu’ils craignissent Dieu et ne l’offensassent plus. Le gardien obéit, et fit de point en point ce qui lui était ordonné. De quoi les larrons, touchés jusqu’au fond de l’âme, se prirent à considérer leur vie pécheresse, à la détester enfin, et vinrent demander à saint François le pardon et la pénitence. Il les reçut tous trois dans l’ordre les deux premiers, bientôt après leur conversion, moururent et s’en furent en paradis ; le troisième survécut ; et, au bout de quinze ans d’une dure pénitence, il arriva qu’une nuit, vaincu par le sommeil, il s’endormit après matines. Alors il fut mené en esprit sur une montagne très-élevée, au bord d’un profond précipice hérisse de rochers, dont le seul aspect faisait peur. Et l’ange qui le guidait le précipita au fond, et, descendant auprès de lui, il le releva et le conduisit par une plaine couverte de pierres tranchantes, de ronces et d’épines, jusqu’à une fournaise ardente. Une troupe de démons, la fourche de fer en main, l’attendaient à la porte, et le poussèrent dans les flammes. Il y reconnut un homme qui avait été son compère, damné pour avoir trompé le peuple au temps de la disette, en vendant le blé à fausse mesure. Au sortir de la fournaise commençait un. pont, étroit, glissant, sans garde-fous, au-dessous duquel passait un fleuve horrible, plein de dragons, de scorpions et de serpents. Arrivé au milieu, l’ange prit son essor et s’envola sur une montagne très-élevée, au delà du pont. Et quand le bon larron se vit seul, il se mit à trembler, et, ne sachant que faire, il se recommandait à Dieu lorsque tout à coup il lui sembla que des ailes lui poussaient, et, sans attendre qu’elles eussent grandi, il prit son vol vers le lieu où l’ange l’avait précédé. Deux fois il retomba épuisé d’efforts ; mais, la troisième enfin, il parvint à la montagne, et se trouva au pied d’un palais merveilleux, dont les murs transparents laissaient voir les chœurs des Saints. Et voici que saint François, lequel était mort depuis peu de temps, parut couvert d’un manteau admirable, orné de cinq étoiles parfaitement belles, et avec lui un grand nombre de frères couronnés d’auréoles. Il introduisit le nouveau venu dans le palais, lui en montra les merveilles, et le congédia enfin, en lui ordonnant de retourner au monde pour y passer sept jours. Le bon larron se réveilla ; mais, sept jours après, il était mort[102].


Tels étaient les récits que Dante dut écouter plus d’une fois de la bouche des frères mineurs, sous les poétiques de ce beau couvent de Santa Croce qu’ils venaient d’élever à Florence. S’il les quittait pour visiter les Dominicains de San Marco, il trouvait d’autres souvenirs on lui disait comment, le jour de la mort de saint Dominique, frère Guala, prieur du couvent de Brescia, vit une ouverture se faire au ciel, et, par cette ouverture, deux échelles descendre jusqu’à terre. Au sommet de l’une était le Sauveur, au sommet de l’autre la sainte Vierge et des anges montaient et descendaient en chantant des cantiques, et ils emmenaient avec eux un frère dont la tête était couverte de son capuce à la manière des morts[103]


Il n’y avait pas jusqu’à l’ordre de saint Benoît qui n’ajoutât encore de loin en loin quelque rayon à sa vieille auréole. Quand le poëte allait trouver les Bénédictins de Florence dans cette belle abbaye dont la flèche domine encore les édifices du voisinage, en parcourant leur riche bibliothèque, il avait dû mettre la main sur la célèbre Vision d’Albéric, écrite sous sa dictée au mont Cassin, vers le commencement du douzième siècle, et bientôt si populaire, qu’on la trouve reproduite dans une fresque d’une antique église près de Fossa, diocèse d’Aquila, du royaume de Naples[104]. Le jeune Albéric, atteint d’une grave maladie, est demeuré neuf jours dans l’immobilité de la mort. Cependant, sous la conduite de saint Pierre et dans la compagnie de deux anges, il à visité la région des châtiments il a vu les luxurieux errant dans une vallée de glace, les femmes criminelles traînées à travers une épaisse forêt d’arbres épineux, les homicides ensevelis sous des flots de bronze ardent, les sacriléges dans un lac de feu, les simoniaques dans un puits sans fond. L’abîme recelait dans ses dernières profondeurs un ver d’une longueur infinie, dont l’haleine dévorante aspirait et rejetait comme autant d’étincelles des essaims de damnés[105] . Sur le fleuve, qui servait de limite à ce triste empire, un pont, se rétrécissant ou s’élargissant au besoin, retenait les âmes souillées encore, et laissait échapper celles dont l’épreuve était finie. Abandonné quelques instants aux fureurs des démons, Albéric passait par les flammes puis, ressaisi par son guide, tout à coup il s’était trouvé devant le tribunal des sentences divines. Un pécheur y attendait son jugement ses crimes étaient tracés dans un livre que présentait l’ange de la vengeance. Mais une larme de charité, répandue par le coupable aux derniers jours de sa vie, recueillie par l’ange de la miséricorde, effaçait l’écriture condamnatrice. Puis, au milieu d’une plaine couverte de fleurs, inondée de lumière, s’élevait la montagne du paradis terrestre, que dominait l’arbre du fruit défendu une multitude bienheureuse en peuplait l’immensité[106]. Cependant le jeune moine, enlevé par une colombe, était monté plus haut encore il avait traversé les sphères des planètes et le ciel des étoiles, pour aller contempler les merveilles de l’Empyrée. Là, saint Pierre lui avait fait connaître les péchés des hommes, et l’avait congédié en lui donnant l’ordre de publier ses révélations[107] Mais l’ordre de Saint-Benoît, un peu déchu au treizième siècle de sa première ferveur, soutenait à peine la rivalité des moines réformés de Cîteaux. La vision d’Albéric pâlissait devant les extases de l’abbé Joachim, mort en 1202 au fond d’un couvent de Calabre, où son tombeau attira longtemps les pèlerins des montagnes voisines[108] .Dante lui donne place au douzième chant du Paradis, parmi les saints Docteurs[109] il avait lu ses écrits mystiques, le Psaltérion aux dix cordes, les Commentaires sur Jérémie , qui firent l’admiration des contemporains[110]

Il y avait trouvé ces prédictions dont toute la chrétienté s’occupa, et dont plusieurs sectes se prévalurent « que les empereurs avaient dépouillé leur pourpre pour la mettre sur les épaules du Christ en la personne du pape, mais que le temps était venu où le pape devait se délivrer de leurs mains en y laissant le manteau[111]. Enfin, le livre se terminait par une vision écrite en versets latins rimés, où l’on sent déjà le souffle poétique qui passera dans la Divine Comédie[112]

Un religieux, ravi en esprit, croit cheminer dans des lieux difficiles et remplis de dangers. Le sixième jour, il se trouve entouré de bêtes féroces des lynx, des lions, des serpents, lui ferment le chemin. Il croit périr sous leurs dents, lorsqu’il voit paraître devant lui un fleuve de soufre et de feu un pont étroit et glissant le traverse un nombre infini d’âmes justes et coupables se présente à l’entrée. Les coupables sont précipités dans les flots brûlants, les justes passent rapides comme des aigles. Au bout de ce trajet dificile, un mur d’airain s’élève. Il supporte les terrasses d’un jardin admirable. Un peuple heureux l’habite et passe ses jours dans des forêts chargées de fruits et de parfums, où jamais les animaux malfaisants n’ont pénétré. Au milieu s’élève une montagne d’argent ; des escaliers superbes conduisent au sommet : mille ruisseaux fuient parmi les gazons et les fleurs. C’est là que~ sous des portiques de jaspe couronnés d’or, le trône de Dieu s’élève, entouré de milliers d’anges qui chantent sur la harpe des hymnes sans fin, accompagnés par les trois chœurs des élus.

Trino Deo trina turba electorum carmina Modulatur et exultat per seculorum secula. Dante était comme enveloppé de ces souvenirs encore-tout vivants. Mais, s’il cherchait, à l’exemple des chroniqueurs de son temps,’à s’enfoncer plus profondément dans les vieilles traditions italiennes, il y rencontrait à chaque siècle les grandes apparitions qui préoccupaient le sien. S’il ouvrait le recueil des sermons de Grégoire VII, il lisait le célèbre discours prononcé dans Arezzo, où l’orateur avait décrit la vision d’un saint homme descendu en esprit aux enfers. Il y aperçut une échelle plongeant dans un abîme sans fond, intacte au milieu des flammes de l’incendie vengeur. Tous les hommes d’une même famille, coupable d’usurpation sur les domaines de l’église de Metz, venaient après leur mort sur cette échelle. Le nouveau venu prenait l’échelon supérieur, et ceux qui l’avaient précédé descendaient d’un degré ; en sorte que, par une loi inévitable, ils allaient l’un— après l’autre au fond de l’abîme, rassemblés dans le supplice comme dans le péché[113]. Dans la belle chronique florentine que venait de compiler Ricordano Malespini, « pour la gloire de Dieu et pour l’utilité des lecteurs, lettrés ou laïques[114], » Dante avait dû mettre la main sur le chapitre quarante-huitième, où est contée l’histoire du marquis Hugues de Brandebourg, venu en Italie à la suite de l’empereur Othon III. Comme le marquis chassait aux environs de Florence ; il arriva, par la volonté divine, qu’il s’égara dans la forêt, et que, cherchant les gens de sa suite, il se trouva dans une forge où l’on travaillait le fer. Et là, il vit des hommes noirs qui, au lieu de fer, semblaient tordre d’autres hommes dans le feu et sous le marteau. Et il lui fut dit que c’étaient des âmes damnées, et-que l’âme du marquis Hugues était condamnée à une peine semblable pour sa vie mondaine, s’il ne venait à pénitence. De quoi le marquis, épouvanté, se recommanda a la vierge Marie, et, revenu à Florence, fit vendre tout son patrimoine d’Allemagne pour bâtir sept abbayes qu’il dota richement[115]. Voilà une forêt qui ressemble fort à celle du premier chant de la Divine Comédie, où l’on ne s’égare pas impunément, et où l’enfer est au bout. –En allant un peu plus loin, et jusqu’à Pistoie, le poëte avait assurément visité le lieu où l’anachorète saint Barontus mourut pour la seconde fois en 685. Car on racontait qu’une première fois, après une fièvre violente, ses frères l’avaient cru mort, et récitaient autour de lui les psaumes funèbres, quand il se réveilla en criant par trois fois : « Gloire à Dieu » Et, comme on le pressait de questions, il déclara qu’au moment du dernier soupir, il s’était vu saisi par deux démons mais l’archange saint Michel, venu à son secours, en avait appelé au tribunal de Dieu. Barontus, entraîné par son guide céleste, franchit les quatre portes du paradis, fendant la foule des religieux, des prêtres et des vierges, et, au premier rang, il retrouva un pauvre moine qu’il avait connu infirme et contrefait. Au retour, saint Pierre le fit reconduire par deux jeunes enfants qui lui montrèrent les tourments des réprouvés. Dans le royaume des ténèbres, Barontus avait reconnu deux évêques prévaricateurs l’un d’eux expiait son orgueil sous des haillons de mendiant[116] . Le clergé avait le mérite de ne pas se ménager dans les tableaux qu’il présentait aux peuples : Les visionnaires font comme les peintres, qui entassent volontiers les papes, les évêques et les prêtres dans leurs représentations de l’enfer. Jamais le sacerdoce ne s’est épargné à lui-même cette redoutable leçon : Pavimenta inferorum capita sacerdotum . Mais le livre classique de la littérature légendaire, pour l’Italie d’abord, ensuite pour toute la chrétienté, c’étaient les Dialogues de saint Grégoire le Grand. Dans ces récits miraculeux, tout est tourné à la doctrine de l’immortalité. Au milieu des terreurs du septième siècle, quand les Lombards étaient aux portes de Rome, et le deuil au dedans quand tout ce qui avait été grand parmi les hommes semblait finir, saint Grégoire était venu les entretenir de ce qui ne finirait pas. « Depuis le jour où le premier père fut chassé du paradis de délices, disait-il, le genre humain, relégué dans les ténèbres, est resté sevré des entretiens des anges et des visions du ciel. Nous entendons parler de la patrie céleste, des anges qui en sont les citoyens, des justes, leurs compagnons de gloire. Mais les esprits charnels doutent encore, comme les enfants nés dans la prison douteraient de la parole de leur mère, qui leur vanterait les champs, les montagnes, les étoiles et le soleil[117]. Cependant c’est l’invisible qui gouverne le visible, qui le connaît et qui le meut, qui perce au travers Dieu se révèle par la nature, l’âme par le mouvement tous deux par des apparitions rassurantes pour les saints, formidables pour les pécheurs[118]. Et si l’on s’étonne d’en voir les ’exemples se multiplier, c’est que la nuit terrestre approche de sa fin, et qu’à ses dernières ombres se mêlent déjà les premiers rayons du jour éternel[119]. » Cette philosophie circule pour ainsi dire dans la foule des traditions populaires qui remplissent les quatre livres des Dialogues. Ce sont des résurrections, des morts triomphantes, des agonies consolées par les chants des anges, des âmes qu’on voit monter au ciel entourées d’un cortége de saints[120]. Le jour de la mort du grand Théodoric, un moine de Lipari aperçoit trois figures qui passent dans les airs : l’une est celle du roi, sans ceinture et sans chaussure dans les deux autres le moine reconnaît les âmes du pape Jean et du vertueux Symmaque ; et tous deux, ayant mené leur persécuteur au bord du

volcan, le précipitent dans le cratère[121]. Ailleurs, un homme de guerre, mort de la peste, revient à la vie, et raconte son voyage chez les trépassés. Il s’était trouvé au pied d’un pont sous lequel coulait un fleuve noir, d’où s’exhalait une vapeur sombre, avec une odeur que les sens ne supportaient pas. Au delà du pont s’étendaient des prés émaillés de fleurs, dont le parfum nourrissait les habitants de ces beaux lieux. On voyait des hommes vêtus de blanc se promener autour d’une maison construite de briques d’or, que des enfants et des jeunes filles portaient dans leurs mains. Et telle était l’épreuve du pont, que les méchants qui voulaient passer étaient précipités dans les eaux ténébreuses, tandis que les justes le franchissaient d’un pas sûr. Le ressuscité trouva dans les joies ou dans les peines plusieurs de ceux qui lui furent connus sur la terre et il lui fut enseigné que la maison d’or était la récompense de la charité, qui se bâtit, avec de l’or périssable, des demeures éternelles et que le nuage de vapeur était noir et fétide, parce que le plaisir de la chair infecte l’âme et l’obscurcit[122].

Ainsi toute la douceur et toute la sévérité du christianisme se réfugiaient dans ces pieuses légendes pour traverser les temps barbares. Rien n’égale la popularité dont elles jouirent on les voit traduites en langue grecque, arabe, anglo-saxonne. Les livres de saint Grégoire, avec ceux de saint Augustin, faisaient le fond de la théologie du moyen âge Dante les cite et les discute[123] . Comment n’eût-il pas marqué la page où sa pensée trouvait l’autorité d’un grand pape et l’exemple d’un grand docteur ? Le génie, si sûr qu’il soit de lui-même, n’est pas indifférent à ces sortes de rencontres il sait ce que l’Ecriture enseigne « Qu’il n’est pas bon à l’homme d’être seul. »

Au milieu du cycle immense qu’on vient de parcourir, la légende italienne se détache par des caractères intéressants. Les sombres peintures n’y manquent point quelles fortes images que le ver d’Albéric, l’échelle de Grégoire VII, la forge de Ricordano Malespini ; On reconnaît le pays d’Ugolin et des Vêpres siciliennes, et dont l’histoire passera dans son Enfer. Il y a la autant de terreur que partout ailleurs, mais il y a bien plus d’amour. L’apparition du Paradis y prend plus de place et d’éclat il semble que dans ce beau pays, avec ses horizons lumineux, on ait vu le ciel de plus près. Rien n’est charmant comme l’ange et la viole de la vision de saint François, comme la procession contemplée par le ʎjeune frère qui avait le froc en horreur ; comme cette larme de pénitence qu’Albéric voit tomber sur le livre des péchés. C’est beaucoup d’effrayer, de terrasser les hommes ; mais c’est encore plus de les ravir. S’enfoncer dans l’épouvante pour en tirer la grâce, c’est le dernier secret de la poésie, et l’Italie l’avait su. Cette fleur poétique, que nous avons vu germer partout, ne s’était nulle part si heureusement épanouie c’était là qu’il la fallait cueillir. Le soleil y était plus chaud, la terre mieux préparée l’Italie avait conservé plus fidèlement les traditions primitives du Christianisme, parce que la violence des mœurs barbares y résistait moins au doux génie de l’Evangile.


V

Car, à mesure qu’on approche des premiers temps, les spectacles de l’Éternité s’éclairent d’un jour plus serein les peines des réprouvés, toujours enseignées, sont moins décrites le ciel s’ouvre davantage. On lit dans les écrits de saint Denys l’Aréopagite, que Dante a tant aimés, l’admirable histoire de saint Carpe, qui, ravi en esprit, vit sur les nuages le Christ environné des anges. En même temps il aperçut, au bord d’un gouffre embrasé, des païens qui avaient méprisé sa prédication des serpents et des démons armés de fouets les poussaient dans les flammes. Carpe allait les maudire ; mais, ayant levé les yeux, il vit le Sauveur tendre la main à ces misérables, en disant « Carpe, c’est « moi qu’il faut frapper, car je suis encore prêt à « souffrir pour les hommes.[124] » Saint Augustin rapporte deux autres visions qui ne sont pas moins touchantes[125]. Au temps de la persécution de Septime Sévère, Satur, Perpétue et ses compagnons attendaient dans la prison de Carthage le jour où on les devait livrer aux bêtes. Or il arriva qu’une nuit Perpétue rêva qu’elle voyait son frère Dinocrate, mort depuis peu de temps. Le pauvre enfant, tourmenté d’un ulcère affreux, dévoré de soif, se penchait inutilement au bord d’un bassin, dont il n’atteignait pas l’eau profonde’. Sur quoi, s’étant éveillée, elle pria pour lui, et quelque temps après elle le revit, éclatant de beauté, revêtu d’habits superbes, et puisant avec une coupe d’or a la source, qu’il laissait pour aller jouer sous les ombrages. Il lui semblait aussi -qu’elle gravissait. une échelle de lumière, au sommet de laquelle le Bon Pasteur lui tendait la main[126]. De son côté, Satur se voyait en songe transporté par quatre anges qui, sans le toucher, l’enlevaient jusqu’au ciel. Les chœurs immortels répétaient « Saint, saint, saint ; » et sur le trône qu’ils entouraient, le Seigneur était assis. Il baisa Satur au front, lui passa la main sur la face, et le congédia. Vers le même temps, on racontait la résurrection miraculeuse de sainte Christine. Cette vierge, étant morte, avait parcouru le purgatoire, l’enfer et le paradis. Arrivée devant Dieu, il lui avait été permis de choisir, —ou de rester au ciel, ou de retourner au monde afin de soulager, par sa pénitence, les âmes du purgatoire. Christine avait choisi de revenir ; et les anges l’ayant ramenée dans son corps, au milieu des obsèques, elle se leva subitement du cercueil[127]. On peut citer encore les visions de S. Grégoire Thaumaturge, celles que rapporte S. Cyprien dans ses Lettres, etc. . Tels étaient les entretiens des confesseurs de la foi. Dans ces tableaux, je retrouve bien le même esprit qui traça les peintures des catacombes. Sur les murs de ces oratoires souterrains, où priaient les persécutés, on ne peignait rien qui rappelât l’horreur de ces temps, ni supplices, ni martyrs, ni même le Sauveur crucifié mais des colombes, des fleurs, des fruits. On y représentait Noé dans l’arche, Lazare sortant du tombeau, les pains multipliés, et au milieu, à la clef de voûte, le Bon Pasteur rien que des images de résurrection et de miséricorde : rien que la charité qui sait tout oublier des hommes, et tout espérer de Dieu.

Mais, pour aller jusqu’au fond de l’antiquité chrétienne, il faut ouvrir le Livre du Pasteur, conservé sous le nom d’Hermas, et-dont les belles allégories consolaient la piété des premiers fidèles. J’y vois déjà tout le symbolisme du moyen âge : l’Église sous les traits d’une vierge vêtue de blanc ; la tour du salut, bâtie par les anges avec des pierres qui sont des âmes. Celles qu’on rejette roulent dans le feu, où elles brûlent ; tandis que sept femmes, représentant les sept vertus, soutiennent l’édifice et y font entrer ceux qui les servent. Mais ce qui me frappe surtout, c’est le souvenir d’une jeune fille qu’Hermas avait aimée ; car elle était sainte et belle, et souvent il s’était dit dans son cœur : « Heureux si j’avais une telle épouse ». Or, elle mourut, et longtemps après, Hermas, se promenant un jour le cœur plein de ce cher souvenir, s’endormit, et il lui sembla qu’il était transporté dans’un lieu sauvage, où il s’agenouillait pour prier Dieu et confesser ses fautes. Pendant qu’il priait, le ciel s’ouvrit, et la jeune fille le saluait d’en haut. Et comme il lui demandait ce qu’elle faisait auprès de Dieu : « J’y suis, dit-elle en souriant, pour t’accuser. Hermas, il est des pensées qui ne naissent jamais dans le cœur d’un juste. » L’art chrétien ne fait que de naître ; et je crois déjà saisir l’une de ses plus admirables inspirations. Ce rêve ne finira pas, ce ciel ouvert ne se fermera point, cette jeune sainte a déjà bien des traits de Béatrix, de celle que Dante verra dans toute la gloire de l’éternité, devant laquelle il confessera ses erreurs, qui l’accusera aussi pour l’humilier, mais avec un sourire immortel pour l’absoudre.

Un pas de plus, et le poëte touchait au voile du sanctuaire. En le soulevant, il trouvait les visions de saint Jean et de saint Paul. Le premier, ~sur le rocher de Pathmos, avait assisté à l’ouverture du puits de l’abîme, et aux fêtes de la Jérusalem nouvelle. Le second, ravi aux deux, contempla ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce que le cœur de l’homme n’a jamais compris.-Et comme enfin tous les prodiges du Christianisme se retrouvent dans la personne divine du Sauveur, Lui aussi descendit aux enfers, non pas en extase, mais en vérité ; non pour considérer le triomphe de la mort, mais pour lui arracher son aiguillon.

Ainsi, en partant des poëmes du treizième siècle, on remontait, par une suite de récits, jusqu’au dogme évangélique. Assurément il fallait distinguer les temps : il fallait reconnaître la légende poétique, devenue un genre littéraire, livrée à la liberté des conteurs, toute pénétrée des souvenirs profanes, comme le Purgatoire de saint Patrice, et les autres que l’Église ne recevait pas dans ses livres liturgiques. Celles-ci avaient du moins le mérite d’exercer l’imagination des hommes, et de ne pas laisser perdre la tradition du beau. Il fallait discerner ensuite la légende politique, plus ancienne, qui met des leçons sous des images, et qui use de l’enfer, du purgatoire et du ciel, comme d’autant de prosopopées légitimes, pour effrayer les rois et les peuples. Je ne m’en dissimule pas l’abus, et ce qu’il y avait de dangereux dans ce pouvoir-du visionnaire qui damnait ses ennemis. Mais l’Eglise ne consacra jamais l’autorité de ces jugements. Elle a inscrit des milliers de noms au calalogue des saints ; elle n’a jamais prononcé la damnation de personne[128]. Il y avait ensuite la légende édifiante, qui reproduisait des souvenirs respectables, sans dessein de feindre ni de plaire, et qui ne songeait qu’a dire le vrai pour faire pratiquer le bien. Puis venaient les actes authentiques des saints et des martyrs, les récits recueillis de leur plume ou de leur bouche, sur lesquels les sévérités de la critique n’ont pas de prise. Enfin, on arrivait aux mystères, où toute vérité réside, où se trouve le point solide par lequel la raison de l’homme touche à l’infini, éternellement confondue de ses profondeurs, mais éternellement satisfaite de ses clartés. SI donc nous avons parlé d’art chrétien, de poésie chrétienne, c’est que nous ne mettons pas le fond de l’art dans la fiction, mais dans la réalité. À quelque moment que nous prenions la Légende, nous y trouvons toujours une vérité positive, ou. une vérité symbolique jamais nous n’y voyons ce qu’on a appelé du nom insultant de mythologie. Le vice de la mythologie est d’étouffer l’âme sous les sens, l’esprit sous la matière c’est tout ce que célèbrent les métamorphoses d’Ovide, Niobé changée en pierre, Narcisse en fleur. La mythologie ne peut rien de mieux pour la vertu, pour Philémon et Baucis, que d’en faire deux beaux arbres. Au contraire, la légende fait régner l’esprit sur la matière, la prière sur la nature, l’éternité sur le temps. Elle trouve dans le mérite ou le démérite le point où elle suspend les destinées humaines. Il se peut que vous soyez fatigués de ces visions dont nous venons d’achever la longue histoire. Les peuples ne l’étaient pas : ils ne se lassaient pas d’entendre parler d’une vie meilleure que celle-ci. Cette passion de l’invisible fait l’honneur des sociétés chrétiennes, elle en fait la puissance. De même que l’âme invisible se rend maîtresse du corps, de même qu’elle l’applique au travail, le tourmente par les privations, le risque dans les hasards ainsi elle s’éprend de tout ce qui est invisible comme elle, elle se détache bientôt de tout ce qui se touche. Je vois des martyrs, des chevaliers, des soldats, se faire tuer pour Dieu qu’ils n’ont jamais aperçu, pour des ancêtres qu’ils n’ont jamais connus, pour une patrie dont ils n’ont jamais habité qu’un coin obscur et je comprends que les hommes ne savent mourir que pour ce qu’ils ne voient pas. Il ne paraît pas non plus qu’ils sachent vivre pour autre chose. S’ils travaillent, c’est en vue de leurs fils qui les enseveliront, de la postérité dont ils ne sauront rien. Et ce qui semble la dernière des folies se trouve la souveraine règle de toute justice, savoir, le sacrifice désintéressé de soi-même au bien d’autrui, au bien dont on ne jouira pas, dont on ne sera pas témoin. En même temps que j’y découvre le principe de toute moralité, j’y vois celui de tout art et de toute science. Que fait la science, que de chercher une vérité absente ? et que veut l’histoire, et qu’essayons nous encore nous-même en ce moment, sinon de retrouver par une tentative téméraire, les pensées, les passions, les rêves d’un temps qui n’est plus, que nous ne vîmes pas, et que nous connaîtrons toujours mal ? Qui a jamais contemplé la beauté parfaite ? et cependant cet idéal qui ne se laisse pas voir pousse l’un après l’autre, au plus dur labeur, des générations de peintres, de sculpteurs, d’architectes. On dirait qu’ils se proposent un type impossible, tout exprès pour leur être un sujet de désespoir, mais en même temps un sujet de lutte et d’efforts. Tout le moyen âge a rêvé une cathédrale dont les flèches atteignissent cinq cents pieds c’est le plan primitif de celles de Strasbourg et de Cologne. La cathédrale invisible ne s’est jamais réalisée mais sa pensée poursuivait, recrutait des milliers d’ouvriers qui ne laissaient pas de repos à la pierre, et qui y mettaient leur imagination,leur foi, leur cœur, tout, excepté leur nom. Voici un poëte qui avait une inspiration puissante, il aurait pu aller avec elle chanter de ville en ville, et recueillir des applaudissements et des couronnes. Au lieu de cela, il la prenait, il la liait, il l’enlaçait dans des vers comme un corps dans des bandelettes il la déposait dans un livre comme dans un tombeau habilement, sculpté ; il y travaillait jusqu’à sa mort, afin qu’elle y demeurât incorruptible, et que, durant la suite des siècles, ceux qui viendraient au monument y retrouvassent ce qu’il y avait mis. Mais, si ce poëte était Dante, l’inspiration déposée dans son monument était la pensée de tous les temps chrétiens qui l’avaient précédé. Il ne touchait pas une idée qui ne fût consacrée pour ainsi dire par les craintes ou les espérances des hommes ; il n’employait pas une image où quelqu’un n’eût laissé un souvenir, un sourire ou une larme. Comme les enfants et les jeunes filles qui portaient des briques d’or pour la tour céleste rêvée par le visionnaire de saint Grégoire le Grand, ainsi tous les siècles catholiques apportaient leur offrande a son œuvre. Il leur devait plus que le fond de ses tableaux, plus que la terreur et la grâce qui les animent, plus que l’amour qui les échauffe ; il leur devait la foi invisible qui les soutient. Mais Dante avait une autre dette car les hommes de génie sont de grands débiteurs, et ce n’est pas une faible partie de leur gloire que tout le genre humain leur ait prêté.

VI

Il semble d’abord qu’on pouvait s’arrêter à ce point, duquel descendent toutes les grandes inspirations qui ont éclairé, sanctifié, charmé le moyen âge. Mais le mérite singulier du moyen âge, c’est qu’au milieu des trésors nouveaux que le christianisme lui avait ouverts, il ne répudia jamais l’héritage de l’antiquité ; il ne voulut rien laisser perdre des travaux de l’esprit humain. Au septième siècle, le pape Boniface IV s’était fait donner par l’empereur Phocas le temple du Panthéon, non pour le renverser et passer la charrue sur ses ruines, mais pour en ouvrir solennellement les portes, pour y porter le culte du vrai Dieu, l’image de la Vierge et les ossements des martyrs. Ainsi l’Église, devenue maîtresse de la science païenne, ne songea point à la détruire, mais à y porter la vérité religieuse qui y manquait en prenant possession de l’édifice, elle en prenait la défense ; elle ne souffrait plus que les barbares en vinssent détacher les pierres. Elle craignait si peu la philosophie, qu’elle l’introduisait dans l’enseignement du cloître. Ces théologiens si rigoureux en fait d’orthodoxie, si ardents à l’endroit des Albigeois ou des Averrhoïstes, s’épuisent à restituer le texte et le sens d’Aristote. Le mauvais renom de Porphyre et de ses attaques contre l’Évangile ne nuit en rien à l’autorité de ses commentaires, demeures classiques dans toutes les écoles[129]. Ces moines, nourris dans l’étude de l’Écriture sainte et des Pères, qui passaient six heures au chœur, selon la règle de Saint-Benoît, rentrés dans leurs cellules y pâlissaient avec amour, avec respect, sur les précieux manuscrits des poëtes, des historiens, des orateurs. Didier, abbé du Mont-Cassin, l’ami de Grégoire VII son auxiliaire et son successeur, faisait copier le de Natura Deorum de Cicéron, les livres sauvés de Tacite, et les Métamorphoses d’Ovide[130]. La bibliothèque de Bobbio n’était pas moins riche. Celle de la Novalèse comptait plus de six mille six cents volumes[131]. Un religieux allemand du onzième siècle s’effraye de cette passion des lettres qui trouble le recueillement des monastères ; il écrit contre l’abus des poëtes païens (De Libris gentilium vitandis) ; il se plaint d’Horace et de Juvénal ; il s’accuse d’avoir trop aimé Lucain mais il s’en plaint dans leur langue~ dans le mètre où ils écrivirent[132]. Je n’en suis pas surpris ; quand je vois que les écoles monastiques consacraient quatre ans à la lecture et à l’imitation des poëtes latins toute la mythologie y trouvait place[133]. Le démon des vers tourmente le cénobite ; l’hexamètre et le pentamètre envahissent la chronique et la légende ; Ambroise Autpert rédige en prose mêlée de vers la vie de trois saints, et Luitprand égayé des mêmes ornements le sombre tableau de son histoire contemporaine. C’est le même siècle où Hroswitha écrit ses drames, destinés à remplacer les comédies de Térence dans les mains des religieuses de Gandersheim pendant que Viglard, grammairien de Ravenne, se fait excommunier pour avoir soutenu l’infaillibilité de Virgile[134]. Virgile, en effet, est le plus aimé de ces noms que le moyen âge ne laisse pas périr. Une profonde connaissance, un religieux respect des traditions, l’avaient fait considérer comme le plus savant interprète de la théologie romaine. Servius en est dans l’admiration ; Macrobe voudrait faire du poëte le souverain pontife et le sauveur du paganisme expirant. Mais ses étranges pressentiments de l’avenir, ce renouvellement des choses humaines qu’il chante, la tendresse et la mélancolie que laisse voir sa grande âme, l’avaient de bonne heure signalé aux chrétiens comme un des leurs. Dès le temps d’Eusèbe, les rhéteurs et les grammairiens convertis cherchent à le mettre de leur côté. L’inspiration supposée de sa quatrième églogue lui prêtait un caractère sacré qui le sauva du désastre où périrent tant d’écrivains fameux, comme Varius et Varron. Les Bucoliques, les Géorgiques, l’Énéide, protégées par la piété publique, traversèrent l’époque des invasions sans qu’il s’en fût égaré un seul vers. De là cette légende de Virgile répandue par toute l’Italie le peuple en faisait un magicien, pendant que les savants en faisaient un prophète ; de là cette touchante séquence longtemps chantée dans l’église de Mantoue, où saint Paul était représenté visitant le tombeau du poëte à Naples, et pleurant d’être venu trop tard pour lui[135]. L’enthousiasme poétique du treizième siècle avait ses excès mais il arrivait au même but que l’érudition laborieuse de la Renaissance ; c’est-à-dire à faire lire, aimer, conserver les anciens, en attendant qu’on les comprît.

Dante pensa comme son siècle l’estime qu’il faisait de l’antiquité se montre au quatrième chant de la Divine Comédie, où il place, à l’entrée de l’enfer, un lieu lumineux et pur, une sorte d’Elysée, habité par les grands esprits du paganisme. C’est là qu’il trouve Homère et les poëtes, Aristote et les philosophes[136]. Il se plaît dans la société de ces beaux génies. Il y reconnaît Lucain, Horace, Ovide, comme de vieux amis. Stace lui apparaîtra plus tard en purgatoire, mis au nombre des élus, selon une tradition de cette école du moyen âge qui sauvait le plus qu’elle pouvait des morts illustres qu’elle avait admirés. Virgile enfin remplit tout le poëme. D’un autre côté, nous savons qu’après la mort de Béatrix, l’inconsolable Dante avait cherché quelque distraction dans la lecture de Cicéron[137]. De même que le sixième livre de l’Énéide lui ouvrait la route de la descente aux enfers, il trouvait dans le Songe de Scipion une première ébauche de la vision du ciel. L’exemple de ses contemporains l’encourageait à ne pas négliger ces sources. Les visions des légendaires trahissaient plus d’une fois le souvenir des fables antiques. On y revoyait les fleuves infernaux, le nom même de l’Achéron s’était conservé et Tundale, au fond de la vallée ténébreuse, avait reconnu les forges de Vulcain. D’un autre côté, les livres de l’orateur romain étaient interprétés dans toutes les universités italiennes. Les savants commentaient la descente d’Énée aux enfers, et Bernard de Chartres en expliquait le sens philosophique par la descente de l’âme dans le corps, où elle est tourmentée par les passions, plongée dans la nuit des sens[138]. L’imagination des hommes ne perd pas facilement ses habitudes après treize siècles de christianisme, elle ne pouvait encore se détacher de ces vieux tableaux.

Ainsi, au delà du cercle de récits romanesques, de pieuses légendes, d’actes des saints que nous avons parcouru, Dante avait des modèles dans une série de fictions profanes, dont il faut étudier l’enchaînement et reconnaître les origines. Il faut se donner la satisfaction de pousser une fois jusqu’au bout l’histoire d’une idée.

Parmi les réminiscences qui ont inspire la Divine Comédie, celles de Cicéron me frappent d’abord. Lorsque Dante parcourt les cercles du paradis, écoutant le bruit harmonieux des astres, et cherchant des yeux au fond de l’espace, la terre imperceptible lorsqu’il apprend de son bisaïeul Cacciaguida sa mission périlleuse et sonexil, on reconnaît le récit du Songe de Scipion. Au moment de commencer sa carrière de gloire, le héros est ravi en songe en un lieu élevé du ciel, où son aïeul l’Africain, lui découvrant les honneurs, les périls et les devoirs qui l’attendent, le prépare à cette destinée par le spectacle de l’économie divine qui soutient l’univers, police les sociétés, et dispose souverainement des hommes. Du haut du temple céleste, au milieu des âmes justes qui vont et viennent par la voie lactée, Scipion écoute les sept notes de cette musique éternelle que forment les astres. Il contemple les espaces où ils roulent ; et quand enfin il aperçoit la terre si petite, et sur la terre le point obscur qui est l’empire romain, il a honte d’une puissance qui trouve sitôt ses limites il aspire à une félicité que rien ne circonscrive. Son aïeul lui en découvre le secret et dans ce cadre admirable, Cicéron rassemblait ses plus fortes doctrines sur Dieu, la nature, l’humanité. Il en avait fait le dernier livre de son traité de Republica cherchant ainsi dans l’Éternité la sanction des lois destinées à contenir les peuples dans le temps[139]. Il imitait en ceci, comme dans le reste, le traité de la République de Platon, couronné par la belle histoire d’Er le Pamphylien. Er, frappé à mort dans un combat, s’était réveillé dix jours après sur le bûcher des funérailles, pour raconter son séjour parmi les trépassés. C’était là qu’il avait vu la région lumineuse où la Nécessité tenait suspendue à sa quenouille de diamant les huit fuseaux des sphères célestes : les trois Parques étaient assises autour d’elle, chantant le passé, le présent, l’avenir. Les âmes, après mille ans d’expiation ou de récompense, venaient tenter les chances de la métempsycose. L’ordre du monde, c’est-à-dire de la cité de Dieu, se dévoilait pour servir de type à la cité des hommes[140]. Le même dessein se montre dans Plutarque lorsqu’il termine son traité des Délais de justice divine par le témoignage de Thespésius le ressuscité. Lui aussi avait contemplé au sommet du monde Adrastée, fille de Jupiter, jugeant les âmes celles des justes, transparentes et radieuses, planaient en haut ; au-dessous, les âmes coupables tourbillonnaient dans un gouffre, où se succédaient les appareils de tous les supplices, le fer, les forges ardentes, les étangs de métaux fondus une troupe d’ouvriers infernaux avait saisi Néron, et ils le découpaient pour en faire une vipère. Au milieu de l’horreur de ces spectacles, Thespésius s’était retrouvé vivant on ajoutait à l’appui de ses discours qu’il était devenu vertueux [141]. Les fictions du même genre semblent fréquentes chez les philosophes. On trouve une Descente aux enfers attribuée à Pythagore, par Hiéronyme le péripatéticien. La gracieuse fable de Psyché et l’Amour, tout embaumée des parfums de la doctrine platonique, montrait la jeune immortelle traversant la série des épreuves on n’oubliait pas de la conduire au sombre empire des morts[142]. Et, en effet, malgré les voluptés faciles des anciens, malgré l’opulence des villas romaines, et la resplendissante lumière qui inondait le ciel de la Grèce, comment les pensées des sages n’auraient-elles pas cherché avec inquiétude à pénétrer ce monde invisible, dont l’Évangile n’avait pas encore adouci les terreurs ? Néanmoins, ce ne fut pas sans imprudence qu’ils donnèrent à leurs spéculations les formes dangereuses de la fable. Le cadre fait se prêta à d’autres usages le sceptique Lucien se servit des morts pour répandre à pleines mains l’ironie sur les affaires, les opinions, les croyances des vivants. Nulle part sa verve indisciplinée ne se joue plus librement que dans la Descente de Ménippe aux enfers, soit qu’il décrive les tours du magicien Mithrobarzane, soit qu’il montre le sort renversé des tyrans et de leurs esclaves, et, dans un coin du Tartare, Philippe, roi de Macédoine, raccommodant de vieux souliers. La popularité de ce joyeux écrit se soutint longtemps, et lui suscita des imitateurs jusqu’aux derniers siècles de la littérature byzantine. Constantinople, déjà cernée par les Turcs, s’égayait encore à la lecture des aventures de Timarion et du Voyage de Mazari chez les trépassés, dernières et misérables parodies de ces récits qui avaient charmé des siècles héroïques[143]. 2. Toutefois l’image de la vie future tenait plus de place dans un livre que Dante connaissait mieux, qu’il savait par cœur d’un bout à l’autre, dont l’auteur représente à ses yeux toute la sagesse de l’antiquité je veux dire l’Énéide, et ce chant sixième qui en, forme pour ainsi dire le nœud, qui en soutient tout le dessein poétique, politique, théologique. C’est là, c’est dans la descente aux enfers, que les destins d’Énée, entrevus peu à peu dans une série d’oracles obscurs, se déclarent enfin il ne reste qu’à les accomplir. Les voyages du héros finissent, ses combats vont commencer le moment qui sépare ces deux sortes de scènes forme la péripétie du drame. C’est là surtout que se découvre

l’intérêt national du poëme, et le véritabe sujet, qui n’est plus la fortune d’Énée, mais l’histoire du peuple romain[144]. Lorsqu’au fond des champs Élysées apparaissent les grands esprits des temps futurs, depuis Romulus jusqu’à César, jusqu’à Auguste, je reconnais un pieux effort pour ranimer les traditions de la patrie, pour rappeler les droits de Rome à l’empire universel, pour inaugurer le règne des lois et la paix du monde. Enfin, l’épisode offrait une admirable occasion d’exposer l’origine et la destinée des âmes, et de relever les dogmes de la théologie latine, en les rattachant d’une part aux doctrines philosophiques, qui leur prêtaient de la force, d’autre part à la mythologie grecque, qui leur prêtait de l’éclat[145]. Ainsi le poëte travaillait à raffermir le culte des dieux et celui des ancêtres, ces deux bases de la puissance romaine, ébranlées par le désordre des guerres civiles, et dont la restauration fut le premier soin de la politique d’Auguste. Mais il ne reste pas une pierre des trois cents autels qu’Auguste avait fait ériger aux dieux Lares dans les carrefours de Rome[146] : le temps n’a rien pu sur les souvenirs consacrés dans ce sixième livre, qui est comme le sanctuaire de l’Énéide. Il semble que Virgile, effrayé de la.grandeur même d’un tel travail, en ait d’abord tenté l’ébauche, et qu’il ait voulu essayer sa main par l’épisode d’Orphée et d’Eurydice, enchâssé dans le quatrième livre des Géorgiques, comme le diamant dans l’or. Il n’y a pas jusqu’au moucheron (Culex), héros du petit poëme attribué à sa jeunesse, qu’il n’ait conduit au bord du Cocyte pour décrire le peuple mélancolique des morts, au milieu duquel son âme se plaisait. Il avait déjà ce don des larmes qui a fait les grands poëtes chrétiens :

Sunt lacrymao rerum, et mentem mortalia tangunt.

Plus tard la foule des imitateurs se pressera-dans la route frayée je n’en vois pas un qui ne descende aux enfers : facilis descensus Averno. / Ovide y accompagne Orphée et Junon[147]. Silius Italicus ne peut se résoudre à produire Scipion sur la scène avant de l’avoir mené au bord de l’Averne, où il évoque par des libations les mânes de la Sibylle, les ombres de ses ancêtres, toutes les âmes appelées à soutenir le poids du nom romain. Il apprend de leurs entretiens la gloire qui l’attend dans les plaines de Zama, et, après les triomphes de la terre, l’immortalité que les prêtres et les philosophes promettent à la vertu[148]. Lucain, trop esprit fort pour croire aux grenouilles du Styx, et trop libre pour subir la loi commune, n’évite le voyage des enfers qu’en y substituant une fable plus philosophique à son gré, l’évocation de la magicienne Érichtho. Par ses conjurations puissantes, un corps relevé du champ de bataille se ranime pour un moment ; l’âme, forcée de trahir les secrets du tombeau, raconte les tumultes civils qui agitent l’empire de Pluton, la joie du Tartare, la tristesse de l’Élysée, et tous les signes du désastre de Pharsale[149] Ainsi le théâtre infernal reste ouvert, et c’est toujours chez les morts que se dénoue la destinée des vivants. Les grandes images de l’autre vie devaient tenter la verve pompeuse de Stace dès le début de la Thébaïde, il tire Laïus de l’Erèbe ; plus tard, il y fait descendre Amphiaraüs : il introduit, au quatrième livre, Tirésias interrogeant les mânes. Alors, au milieu des rites funèbres, le vieillard aveugle voit s’ ouvrir le royaume souterrain. Les ombres des héros de Thèbes et d’Argos se montrent menaçantes au milieu d’elles, Laïus prédit la victoire des Thébains, et le combat fratricide où s’éteindra la race d’Oedipe[150]. Valérius Flaccus ouvre,ses Argonautiques par le sinistre appareil d’une évocation et, dans l'Enlèvement de Proserpine, qui est peut-être le meilleur ouvrage de Claudien, l’enfer occupe le fond du tableau[151]. Toute cette poésie de la décadence a été trempée dans le Styx, comme Achille mais elle n’en est pas, sortie invulnérable. Cependant la tragédie rivalise avec l’épopée. Sénèque n’a garde de négliger les apparitions, les descriptions du sombre empire ; il leur ménage une place dans l’Œdipe et dans l' Hercule furieux  ;. Il imite en ceci les maîtres du théâtre latin, Varron, Ennius, Naevius Atticus et le vieil Andronicus de Rhodes, qui avaient porté-sur la scène Alceste, Protésilas, les Euménides, fables terribles et toutes pleines des mystères de l’Éternité. Appius, ami de Cicéron, et Labérius, auteur de tant de mimes applaudis, avaient donné a deux de leurs compositions le titre de Nécyomanties[152]. C’était peut-être un souvenir des spectacles de la vie future, dont les prêtres étrusques avaient fait un de leurs jeux sacrés. J’en crois apercevoir quelques vestiges dans le nom de Larves que les Latins donnaient aux spectres des trépassés et aux masques de théâtre. Mais, surtout, je remarque la pompe religieuse des combats de gladiateurs, où un personnage, revêtu des attributs de Pluton, un marteau à la main, venait enlever les morts de l’arène[153]. Le peuple de Rome aimait ces représentations violentes de là ce grand nombre de peintures qui reproduisaient les peines du Tartare, mais qui, dès le temps de Plaute, ne suffisaient plus pour alarmer la conscience d’un esclave tenté de voler son maître[154]. Bientôt les vieilles fables tombèrent pièce à pièce en discrédit ; et l’irrévérencieuse satire d’Horace parodiant Homère, fit paraître l’ombre de Tirésias pour enseigner aux Romains dégénérés un art qu’ils savaient trop, celui de courtiser les vieillards et de figurer aux testaments. Je lui suppose aussi le dessein de’ déconsidérer ces prophéties, ces prétendus vers sibyllins, ces thèmes généthliaques dont ses contemporains étaient épris, et auxquels Auguste faisait la guerre par le feu, comme lui par le sarcasme[155].

Les hommes de ce temps se croiront heureux quand ils auront mis sous leurs pieds les craintes de l’avare Achéron. Mais, s’ils ont banni l’enfer, ils n’ont pas chassé les morts. Cette sombre figure est de toutes leurs-fêtes. Rien ne saurait les en distraire, ni les roses qui se fanent, ni les coupes qui se vident, ni les chants qui s’éteignent. Ces tristes joies ne dédommagent pas l’homme de l’espoir perdu d’une vie future : il faudra qu’il le retrouve quelque part. Quand Juvénal se moquera des grenouilles du Styx, les martyrs commenceront à mourir pour le royaume du ciel.

3. Mais les Muses latines n’étaient guère que de belles captives trouvées dans le butin de Tarente et de Corinthe, et qui se souvinrent toujours de la Grèce. C’était sur le territoire des colonies ioniennes, auprès de Naples, au bord de l’Averne, que Virgile avait cherché son Enfer. Les images du monde invisible plaisaient aux Grecs : elles ornaient leurs coupes, elles couvraient les murs de leurs palais et de leurs temples. La descente aux Enfers fait le sujet de plusieurs bas-reliefs que nous admirons encore. Attale, roi de Pergame ; avait donné soixante talents d’une évocation peinte par Nicias. On admirait à Delphes la grande composition où Polygnote avait représenté Ulysse interrogeant les ombres[156]. Tout le théâtre athénien était rempli des spectacles de la mort. Avant qu’Aristophane y eût montré sesGrenouilles, et le pélerinage ridicule de Bacchus chez Pluton, on avait vu l'Alceste d’Euripide, où le Trépas (Θάνατος) se montrait en personne, et disputait à Apollon l’héroïque épouse d’Admète[157] ; Sophocle, dans l’Hercule au Ténare , avait célébré l’enlèvement de Cerbère. Le même genre de merveilleux soutenait deux tragédies perdues d’Eschyle, la Psychagogie ou le Voyage des Ames, et les Aventures de Sisyphe, à qui Pluton permettait de retourner sur la terre pour y prendre soin de sa sépulture, et qui, abusant du congé, était ramené de force aux sombres bords. Si une tion comique perçait dans ce récit, rien au contraire n’était plus solennel que l’évocation de l’ombre de Darius dans les Perses ; et lorsque, à la première représentation des Euménides, le spectre de Clytemnestre parut entouré de soixante Furies, telle fut l’épouvante de l’assemblée, qu’il fallut rendre un décret pour réduire à quinze les personnages du chœur. Mais on ne songea point à interdire la mise en scène des régions infernales Aristote, en distinguant quatre sortes de tragédies, place au quatrième rang celles dont l’action est aux Enfers[158]. Les hommes d’alors, comme ceux de tous les temps, voulaient qu’on les effrayât. C’est là un signe du désordre de la nature humaine, qu’elle aime ce qui la trouble ; et que des peuples belliqueux se soient construit des théâtres de marbre pour y aller pleurer aux jours de fête, et chercher sur une scène des sujets d’effroi et de douleur, comme s’il en manquait autour d’eux.

Mais toutes les grandes fables du drame grec descendaient des traditions nationales transmises de bouche en bouche dans les collèges des prêtres, dans les familles guerrières, chantées par le peuple, et mises en œuvre par les poëtes qu’on appela cycliques. Tels étaient les travaux d’Hercule, qu’avaient célébrés Hésiode, Pannyasis et Pisandre : les douze épreuves du demi-dieu s’y terminaient par la plus redoutable de toutes, la descente aux Enfers. Hercule, purifié du sang des Centaures qui venaient de tomber sous ses coups, admis ensuite aux mystères d’Eleusis, arrivait sous la conduite de Mercure aux portes du Ténare. Il s’engageait dans la route souterraine, et l’on décrivait ses combats contre le vieux Charon, le spectre de Méduse, et Ménécius, pâtre des troupeaux de Proserpine il chargeait de chaînes le chien aux trois têtes qui faisait la terreur des mânes. Enfin, il les réjouissait par des libations de sang, accordait à quelques-uns l’interruption de leurs peines, et reparaissait avec Alceste et Thésée, qu’il ramenait à la lumière[159]. Ainsi, le cycle d’Hercule se liait à celui de Thésée, qui avait aussi exercé le génie d’Hésiode et de Pannyasis. On y voyait les exploits du roi d’Athènes, le Minotaure terrassé, les Amazones vaincues, et le dévouement qui le conduisit aux bords du Styx, à la suite de son ami Pirithoüs mais, enchaîné par les puissances infernales, il restait captif, jusqu’au moment où le vainqueur de Cerbère paraissait pour le délivrer[160]. Le livre des Cypriaques chantait la tendresse fraternelle de Pollux, et comment chaque année il allait prendre aux champs Élysées la place de Castor, pour lui donner la moitié de son immortalité dans les cieux[161]. Un récit, attribué à Prodicus de Samos, célébrait le pèlerinage d’Orphée et la trop courte délivrance d’Eurydice[162]. La navigation des Argonautes, qui avait exercé tant de poëtes, conduisait Jason au pays des Cimmériens, où s’ouvrait une des portes de l’Enfer[163] . Comment eût-on chanté les malheurs d’Œdipe et les combats des sept chefs devant Thèbes, sans évoquer Laïus ? ° Le début de la guerre de Troie faisait la matière d’une épopée qui n’avait garde d’omettre la mort de Protésilas, et son retour de quelques heures a la vie. Enfin, on lisait encore une description des Enfers dans la Minyade et dans le Retour des héros, ouvrages de Prodicus et d’Augias, bien qu’on ne voie pas le lien qui l’y rattachait[164]. Il semble seulement que la peinture du monde invisible (Nεκυία) était devenue l’épisode nécessaire de toutes les épopées grecques et que la scène mobile de la vie ne pouvait s’y ouvrir sans laisser apercevoir derrière elle le spectacle immobile de l’immortalité. Homère est trop grand pour ne pas obéir à cette grande loi. Ce qui fait l’incomparable beauté de l’Iliade, c’est que tout y, prend part à l’action, les hommes et la nature, la terre et le Ciel ; l’Enfer même ne peut y rester étranger. Aux coups du trident de Neptune, Pluton s’élance de son siège : il tremble que les abîmes ne s’entr’ouvrent, et que la lumière d’en haut ne pénètre chez le peuple des morts. Je ne sais rien de plus terrible que cette courte échappée de vue dans le lieu obscur et souterrain où tombent les milliers de combattants qu’on voit périr d’un bout à l’autre du poëme :

Πολλὰς δ’ἰφθίμους ψυχας Ἃιδι προιαψεν[165]

Ce rendez-vous funèbre des héros est vu de plus près au onzième chant de l’Odyssée. Ulysse y raconte comment il visita le pays des Cimmériens, comment il pénétra jusqu’au seuil du royaume infernal, pour apprendre de Tirésias le terme de ses maux. Il ajoute comment, à la suite du devin, parurent les mânes de sa mère Anticlée, de plusieurs héroïnes et des chefs qui combattirent sous les murs de Troie. Il décrit enfin le gouffre de l’Érèbe ouvert devant lui, le tribunal de Minos, les peines des impies. Je reconnais dans ce passage le point sur lequel roule toute l’action de l’Odyssée. Les périls d’Ulysse vont en grandissant jusqu’à ce qu’il affronte le séjour même de la mort. C’est le comble de la terreur, mais c’est aussi le commencement de l’espérance. Le premier rayon brille dans l’oracle de Tirésias, pour éclairer d’une lumière toujours plus vive le retour du héros sous le toit de ses pères[166] . D’un autre côté, l’entretien d’Ulysse et des morts donnait place aux événements que l’Iliade n’a pu contenir, en faisant connaître la fin d’Achille, d’Ajax, d’Agamemnon. Mais, de ces hommes redoutés, il ne reste plus que de pâles ombres regrettant la vie, tandis qu’au milieu d’elles le fils de Laërte paraît plein de force, vainqueur des dangers, maître de sa fortune. En sorte qu’on peut découvrir ici le nœud des deux poëmes homériques : la fin d’un âge héroïque où la force était maîtresse, le commencement d’une ère nouvelle où l’intelligence régnera[167]. Mais l’évocation d’Ulysse ne s’arrête pas aux victimes du siège de Troie ; on y voit paraître les femmes célèbres pour avoir partagé la couche des dieux, et ces personnages qui sortent de la condition des hommes, Thésée, Hercule, Orion, et tout l’appareil des jugements divins. Il semble qu’Homère ait voulu élargir une fois le théâtre de sa fable, et, déchirant le rideau, laisser voir les profondeurs de l’éternel et de l’infini[168]. Sans doute cette vue est bien trouble. Rien n’est moins digne d’envie que cette triste immortalité donnée aux héros ; à peine y a-t-il un reste d’existence dans ces ombres vaines qui ne peuvent rien, si elles ne viennent s’abreuver aux libations de sang, et qui ne parlent que pour pleurer la lumière. Que nous sommes loin des claires visions du poëte de Florence ! Toutefois il ne faut point imputer les pâles doctrines de l’Odyssée à la grossièreté des temps : des enseignements plus solides étaient transmis dans les écoles de Samothrace et d’Éleusis. Mais Homère n’est pas le poëte des écoles sacerdotales, c’est celui de ces races guerrières qui échappaient à la domination du sacerdoce et revendiquaient leur indépendance. C’est le chantre des navigations, des combats, des délibérations publiques, de cette vie passionnée, glorieuse, qui continuera dans les champs de Marathon, au Pirée, sur la place publique d’Athènes. Il était naturel, à des hommes si heureux dans cette vie, de mal connaître l’autre. Il ne leur était pas possible d’en éloigner la pensée. Les villes s’environnaient d’une ligne de tombeaux et de temples qui leur servaient de remparts ; on vivait sous les yeux des morts et des immortels. En même temps, le dogme antique se conservait dans les initiations, et ne permettait pas d’oublier que c’est la vie qui est l’ombre, et que derrière seulement la réalité commence.


4. Au delà d’Homère il n’y a plus que l’Orient. Mais là, dans une société immobile, sans distractions puissantes, sans événements, sans histoire, rien n’efface le souvenir de l’Éternité. Si j’ouvre le livre des lois indiennes, j’y trouve la création au commencement, à la fin les peines et les récompenses futures : toute la cité des hommes enveloppée, surveillée par la cité des dieux et des ancêtres. Si je touche à l’une de ces épopées dont l’âge se perd dans les fables, je vois dans le Mahabharat le voyage d’Ardjuna au ciel d’Indra. Et pour arriver enfin jusqu’aux plus antiques monuments de la poésie orientale, je remarque un épisode de l’Atharva-Veda, qu’il faut lire, afin de se représenter au vif les inquiétudes qui tourmentaient déjà l’esprit humain. Le jeune brahme Tadjkda est envoyé par son père chez le roi de la mort, d’où jamais nul homme ne revint vivant. Le roi, touché de l’obéissance de Tadjkita, le renvoie après trois nuits, lui accordant la vie et trois présents à son choix. Le jeune homme en a demandé et reçu deux, et l’entretien continue en ces termes. Tadjkita dit : « Voici mon troisième désir. Entre ceux qui parlent, il y a une contradiction : plusieurs affirment que tout est corps, et a que, le corps périssant, il ne reste plus rien et plusieurs affirment que l’âme (Djivatma) est distincte du corps, et que, le corps étant détruit, l’âme passe dans un monde où elle est traitée selon son mérite. Je veux que vous m’instruisiez, afin que je m’assure de la vérité de ces opinions. — Le roi de la mort dit : En ce point les dieux mêmes doutent, et c’est une chose subtile et qui échappe à la force de l’intelligence. — Tadjkita dit : O roi voilà mon grand désir, et je n’ai pas d’autre désir égal à celui-ci. — Le roi de la mort dit : Demande-moi un grand nombre d’enfants, et pour eux une longue vie, jusque-là que chacun d’eux vive cent ans. Demande-moi le monde et ses richesses, demande-moi beaucoup d’années, et tout ce qu’il te plaira de pareil ; mais ne me demande point cette seule chose Que se passe-t-il après la mort ? Car nul d’entre les morts n’est jamais revenu à la lumière pour le dire aux vivants. Tadjkita dit : « Vous me dites : Demandez-moi beaucoup d’années. Si à la fin il faut mourir, que gagnerai-je au nombre des années ? C’est pourquoi gardez pour vous ce monde, ces richesses, et cette longueur de vie… Je n’ai qu’un désir, c’est que vous m’instruisiez… Je demande, parce que je passe sur la face de la terre, et parce que j’ai peur de la mort et de la vieillesse, je demande que vous m’enseigniez quelque chose par quoi je n’aie plus peur ni de la vieillesse ni de la mort. » Le roi, vaincu par tant de prières, et lié par sa parole, découvre au jeune brahme toute la condition des âmes, et le congédie avec ce dernier présent la certitude d’une vie future[169].


5. Tant de fables, répétées de peuple en peuple, devenues traditionnelles, inévitables et pour ainsi dire obligatoires, ne s’expliquent ni par le caprice des poëtes, ni par les préceptes des rhéteurs. Il en faut chercher l’origine aux sources mêmes de la poésie. Le premier emploi de la poésie est un emploi religieux : elle conserve le dogme, elle traduit les oracles, elle anime le culte[170]. C’était sur le trépied de Delphes et par la bouche de la Pythie, que le vers héroïque avait été proféré pour la première fois. L’autel de Bacchus, dressé au milieu de l’orchestre, les danses symboliques, et les hymnes du chœur, faisaient du théâtre un temple, et de la tragédie une pompe sacrée. L’épopée gardait la trace d’une semblable destination, dans le commerce supposé du poëte avec les dieux, dans l’invocation qui commençait chaque récit, dans tout cet appareil merveilleux qui fut une tradition sacerdotale, avant de se tourner en lieu commun littéraire. Dante lui-même, après un travail de plusieurs années, où son visage a maigri, finit par y voir une œuvre sainte : il ne doute pas que le ciel n’y ait mis la main ; et, si ses concitoyens lui décernent la couronne poétique, c’est sur les fonts de son baptême qu’il la veut prendre[171]. Il n’y a point de poésie inspirée où l’on ne sente la présence de la religion, comme au parfum de l’encens on reconnaît le voisinage d’un sanctuaire.

Ainsi, dans la descente aux Enfers, je crois reconnaître un épisode théologique, un reste de l’enseignement religieux qui fut la première fonction des poëtes. Or cet épisode a pris deux formes principales. Tantôt l’entretien des héros avec les ombres n’est qu’une révélation des choses invisibles : Ulysse, Énée, Scipion, Sextus Pompée, Tirésias, veulent interroger le destin. Tantôt la visite des Enfers est une lutte héroïque pour leur arracher leur proie : Hercule, Thésée, Pollux, Orphée, se proposent de vaincre la mort.

De ces deux sortes de fictions, si j’étudie les premières chez Homère, chez Virgile et ses imitateurs latins, j’y remarque invariablement trois choses. Il y a d’abord des rites funèbres et des libations de sang répandues, soit pour conjurer les puissances infernales, soit pour évoquer les âmes captives. J’y retrouve la croyance d’un commerce perpétuel entre les ancêtres et leur postérité, des sacrifices expiatoires des offrandes aux tombeaux ou au foyer de chaque maison, pour attirer les ombres qu’on supposait errantes sous la terre, épuisées de soif et de faim[172]. En second lieu, il y a une prophétie les mânes interrogés rendent des réponses ils déclarent le passé, le présent, l’avenir. Ces entretiens rappellent les oracles des morts (Ψυχομαντεία ) qu’on trouve en Grèce ou dans l’Asie Mineure, au bord de l’Achéron, chez les Thesprotes, dans l’antre de Trophonius, au cap Ténare, à Héraclée de Pont, a Cumes, aux mêmes lieux où la fable plaçait l’entrée du sombre empire[173]. Troisièmement, l’épisode finit par une vision générale de la vie future. Je crois y voir un souvenir des représentations qu’on donnait aux initiés dans les mystères. Ceux de Samothrace, de Crète, de Phrygie, retraçaient le meurtre d’un Dieu et sa descente chez les morts[174]. Ceux d’Éleusis, placés sous le patronage de Proserpine, se terminaient par une vision ( ἑποπτεία ) dont le secret a été sévèrement gardé par les anciens. Mais les témoignages d’Aristophane, de Lucien, de Sénèque, prouvent qu’on y ménageait l’apparition de l’Élysée et du Tartare. Les cryptes immenses, encore visibles sous les ruines du temple, se prêtaient à l’artifice des prêtres. La poésie avait assurément son emploi dans ces spectacles[175]. Elle emprunta à la religion de si puissants moyens d’émouvoir les hommes, et ces trois pompes du culte, les évocations, les oracles des morts, et les mystères, se retrouvèrent dans les scènes infernales de l’Odyssée et de l’Énéide.

Je passe aux autres fictions les voyages d’Hercule, de Thésée, d’Orphée, de Pollux, chantés par les poëtes cycliques, m’étonnent par des caractères plus imposants. Ce sont plus que des héros, ce sont des demi-dieux, dieux eux-mêmes. Il s’agit, non de pénétrer seulement les mystères de la mort, mais de la dompter ou de la fléchir. Il y a autre chose qu’une aventure, il y a le dévouement, le sacrifice de soi pour le salut d’autrui : on touche ici au fond même des théologies antiques.

Dès qu’on s’enfonce à quelque profondeur dans l’étude des mythes grecs, on aperçoit que tous les grands dieux, tous les dieux appelés Sauveurs (Σωτῆρες), descendent aux Enfers. Je ne parle pas de Proserpine, de Diane, de Mercure, dont on connaît assez les fonctions chez les morts. Mais je trouve une tradition qui fait succomber Apollon dans le combat symbolique avec le serpent Triopas pourvoit à ses funérailles, et on l’adore parmi les puissances du Styx[176]. Bacchus visite le royaume des ombres pour en arracher Sémélé sa mère. Jupiter même, assiégé par les géants, était tombé sous les coups de Typhon ; et son corps mis en pièces n’avait repris la vie que par l’assistance de Mercure et de Pan[177]. Regardez vers l’Orient, vous y retrouverez les mêmes récits sous des couleurs plus éclatantes. La Phrygie célébrait tour à tour la mort et la résurrection d’Atys. Tous les ans, la Syrie se mettait en deuil d’Adonis son dieu. Chez les Égyptiens, c’était Osiris, la divinité libératrice et bienfaisante, qui avait péri par la perfidie de Typhon, mais qui sortait glorieusement du tombeau[178] . Si nous remontons encore une fois jusqu’aux Indes, nous n’y trouverons rien de plus célèbre que la neuvième incarnation de Wichnou, lorsque, sous la figure de Krichna, il terrasse le serpent infernal, relève l’empire des bons, humilie les méchants, et meurt par trahison pour reparaître un jour en libérateur[179].

6. Ainsi les fables se ramènent aux dogmes. Il faudrait encore ramener les dogmes à leur dernière raison. Mais ce n’est ici ni le lieu ni le temps d’une telle recherche. Il suffit d’en indiquer la route et l’issue.

Déjà les anciens avaient prêté à leurs mythes trois sens qui en éclairaient les obscurités un sens physique, un sens historique, un sens moral. Ainsi la descente des dieux aux enfers était interprétée, soit comme une image du soleil descendu dans les froides régions de l’hiver ; soit comme le récit poétique d’une aventure lointaine chez les peuples du Nord soit comme le symbole de la Raison pénétrant dans les profondeurs de la nature humaine, pour y enchaîner le vice et délivrer la vertu[180]. Je ne repousse aucune de ces interprétations. C’est une habitude du génie antique de rattacher à chaque point de la doctrine sacrée plusieurs parties des connaissances profanes. Mais je voudrais précisément trouver le point auquel se rattachait tout le reste. Dans les croyances religieuses, je voudrais voir plus que de la physique, de l’histoire, de la morale j’y cherche de la religion.

Tout l’effort de la religion, suivant l’énergie même du nom qu’elle porte, c’est de lier souverainement ce qui est souverainement désuni, ce qui est en deça de la mort avec ce qui est au delà. Au milieu de cet ordre admirable de l’univers, où tout conspire à la vie, on ne tarde pas à découvrir, en y regardant de plus près, une puissance de destruction. Le ciel a des étoiles qui s’éteignent. La terre, dans ses profondeurs, laisse voir les ruines d’une nature colossale qui a péri. L’homme, au faîte de la création, se voit circonvenu, serré de près, saisi par la mort, dont il a horreur comme d’un mal infini. Car, en même temps qu’elle l’arrache à ce monde visible où il tenait par tant d’endroits, elle le menace d’un monde invisible dont il ἐne sait rien, et qu’il lui importe absolument de connaître, puisque de sa destinée éternelle dépend toute sa conduite dans le temps. De là cette crainte de la mort qui troubla les peuples païens ; ces litanies où les Indiens célèbrent un dieu destructeur « La terre est à vos pieds, l’atmosphère est votre ceinture. Vous êtes celui qui donne et qui retire, qui fait et qui défait. Vous attirez tout en vous pour tout détruire le monde n’est qu’une bouchée de votre festin, et c’est pourquoi on vous nomme Celui qui mange[181].» Athènes et Rome ont aussi des divinités souterraines, mais on évite d’en prononcer le nom, ou bien on leur en donne un de bon augure qui les touche et qui les flatte : les Furies sont appelées Euménides, c’est-à-dire bienveillantes. Plus les philosophes dissertent sur le mépris de la mort, plus je vois que les hommes la redoutent. Et je ne m’en étonne pas quand je considère Socrate hésitant sur l’immortalité, Épicure épuisant son éloquence à prouver le néant, et Cicéron, entouré de toute la science des anciens, balançant les deux partis, sans prendre sur lui de conclure[182]. Rien n’est triste comme ce premier livre des Tusculanes, où, après avoir établi que l’urne est. immortelle, l’orateur veut prouver encore que, l’âme dût.-elle périr, la mort ne serait pas un mal. Vainement l’interlocuteur se contente de la première démonstration ; Cicéron insiste : « Il ne « faut point, dit-il, s’y trop confier. Nous chancelons, nous changeons de sentiments sur des points plus lumineux que celui-ci ; car j’y vois encore quelques ombres.  » Voilà donc tout ce qu’avaient pu quarante siècles d’antiquité, et les derniers efforts de l’esprit humain dans ces beaux génies de Platon, de Zénon, d’Aristote. Cependant le grand nombre des hommes ne se résignait pas à l’alternative du néant, et voulait un autre secours. Entre l’éternité et le temps, le monde invisible et le visible, il fallait une intervention divine il fallait un libérateur qui vînt arracher à la mort son secret et ses menaces, qui la subît pour satisfaire à la loi commune, et qui la vainquît enfin par une. expiation reversible sur l’humanité tout entière. C’est la fonction, que les peuples antiques attribuaient à leurs dieux tutélaires Wichnou, Osiris, Jupiter, Apollon, Hercule. Sous des formes altérées, j’entrevois la tradition du Rédempteur, la seule lumière qui ait éclairé le monde, entre ces ténèbres de la création d’où il sort, et ces ténèbres de la mort où il retourne.

VII

Nous voilà, ce semble, bien loin de Dante, et pourtant nous ne l’avons pas quitté. C’est sa pensée que nous avons suivie et remontée, pour ainsi dire, de siècle en siècle, jusqu’à ses premières origines. Nous avons traversé toute l’histoire sans jamais perdre de vue ce fleuve d’idées formé des légendes du moyen âge, purifié par le christianisme, chargé auparavant de toutes les fables de la poésie et de la théologie païenne, et sorti d’une source mystérieuse que l’homme n’a pas creusée. Nous ne pensons pas que Dante en paraisse moins grand. Il nous semble au contraire que le premier trait du génie, ce n’est pas d’être neuf, comme le veulent quelques-uns c’est bien plutôt d’être antique, de travailler sur quelques-uns de ces sujets qui ne cessèrent, jamais de toucher les hommes ; Il n’est pas vrai que l’art n’intéresse que par l’imprévu. Rien n’est plus prévu que les passions, les situations, les pensées, qui depuis vingt siècles remplissent le théâtre ce sont deux lieux communs usés par tous les poëtes, l’amour et la mort, qui restent encore en possession de remuer les cœurs et de tirer les larmes. Rien ne se répète comme l’éloquence Bossuet n’a pas un mouvement qu’il ne doive aux Pères de l’Église. Il y a six cents ans que la peinture produit des chefs-d’œuvre sans sortir des Christs, des Vierges et des Saintes Familles. L’art, au contraire, ne veut donner ses peines qu’à une matière qui les vaille. Il la lui faut durable, éprouvée, ancienne par conséquent. Comme il prend le marbre dans le rocher aussi vieux que la terre, il choisit le texte de l’épopée dans les plus vieilles traditions des peuples ; et, s’il en est quelqu’une qui remonte aux premiers jours du monde, c’est celle qu’il préfère, puisqu’elle tient davantage de l’Éternité.

Que reste-t-il donc au génie, et par où sort-il de la foule ? Il y touche par l’emprunt du sujet, qui appartient à tout le monde il en sort par le travail, qui est à lui, et par l’inspiration, qu’il tient de Dieu. Cette pierre où s’asseyait le pâtre, où broutaient les chèvres, a laquelle le voyageur ne prenait pas garde, Michel-Ange la façonne et la taille, le ciseau en fait peu à peu sortir une forme divine ; elle s’anime, elle rayonne, on la met dans un sanctuaire, et les pèlerins viendront déposer leur bâton et prier devant elle. Voici des récits fabuleux qui ont circulé durant toute l’antiquité, et auxquels les enfants mêmes finissaient par ne plus croire : voici des légendes pieusement contées dans les cloîtres, aimées du peuple, versifiées sans trop de respect par les trouvères de Normandie. Les grands et les lettrés ne font plus guère qu’en sourire. Mais il y a en Italie un homme venu au moment qu’il fallait, dont l’âme a été de bonne heure façonnée par l’étude, échauffée par la tendresse et par la douleur ; car Dieu n’a pas ménagé le feu dans l’encensoir. Cet homme a l’inspiration depuis l’âge de neuf ans, son cœur est tourmenté d’une passion qui veut quelque chose de grand, et que rien de médiocre ne peut contenter. Il a l’impatience de savoir son zèle n’a reculé ni devant les voyages lointains, ni devant les langues ignorées et la rareté des livres, ni devant l’inexorable ennui qui est au fond des sciences comme des plaisirs de la terre. Enfin, il a la foi ; qui ne lui permet pas de résister à une vocation si manifeste. Il semble, au surplus, que la Providence ait pris ses précautions avec lui, qu’elle l’ait poussé hors de sa patrie, qu’elle lui en ait fermé les portes, afin qu’un si beau génie, au lieu de se perdre dans les affaires d’une seule ville, arrêté par l’obstacle, se rejette quelque part, et trouve un meilleur emploi. Cet homme, fatigué du temps, se tourne vers l’éternité : il la voit éclairée d’une tradition qui vient du fond des siècles. Il y entre, il s’y établit pour le reste de sa vie ; il y porte tout ce qu’il a d’art et de science, de colère et d’amour il se rend maître de l’ensemble, fixe la structure, travaille pendant vingt ans jusqu’aux moindres détails, et ne se retire qu’en laissant partout la proportion et la beauté. Et le travail du poëte forcera encore, au bout de cinq cents ans, l’admiration de ceux mêmes qui n’aiment ni la pensée de la mort, ni celle de l’éternité, ni la théologie parce qu’elle en est pleine, ni l’Église parce qu’elle les prêche.–Pendant ce temps-là, on avait d’autres récits épiques, des poèmes chevaleresques écrits pour le plaisir des rois et des cours on avait les douze Preux de la Table-Ronde, et la Quête de Saint-Graal. Impossible de concevoir de plus nobles caractères ni des aventures plus attachantes. Cependant les grands écrivains n’y touchèrent pas. Ces belles histoires descendirent les siècles, se transformant toujours, en vers, en prose, en contes populaires. Je trouve le Lancelot refait quatre fois en Italie au seizième siècle seulement. Je ne sache point qu’on ait tenté de refaire la Divine Comédie. Dante s’en est assuré, selon la forte expression d’un ancien, la possession perpétuelle. C’est là sa gloire, d’avoir mis sa marque, la marque de l’unité, sur un sujet immense, dont les éléments mobiles roulaient depuis bientôt six mille ans dans la pensée des hommes.

Le génie ne peut rien de plus. Il n’a pas mission quoi qu’on ait dit, de créer, d’introduire des idées dans le monde. Il y trouve tout ce qu’il faut d’idées pour les esprits, comme tout ce qu’il faut de lumière pour les yeux : mais il les trouve flottantes, nuageuses, en tourbillon et en désordre. La hardiesse est d’arrêter chez soi, au passage, ces pensées fugitives; de percer leur nuage, de saisir au vif les beautés qu’elles recèlent, de les fixer enfin, en les enchaînant, en y mettant l’ordre, en les forçant de se produire par les œuvres. Je crois voir l’originalité souveraine dans cette force d’un grand esprit qui soumet ses idées, les fait obéir, et en obtient tout ce qu’elles peuvent en sorte que le dernier secret du génie comme de la vertu serait encore de se rendre maître de soi. Si l’homme, d’après les philosophes, est un abrégé de l’univers, il ne se montre jamais si puissant que lorsqu’il maîtrise cet univers intérieur, ce tumulte orageux de sentiments et de pensées qu’il porte en lui. Dieu s’est réservé le pouvoir de créer : mais il a communiqué aux grands hommes ce second trait de sa toute-puissance, de mettre l’unité dans le nombre, et l’harmonie dans la confusion.

  1. Ces recherches, qui touchent une question d’histoire littéraire très-agitée, ont été indiquées pour la première fois dans une dissertation de Foscolo (Edinburg Review, t. XXX). Les faits y sont peu nombreux, et appréciés avec toute la dureté du dix-huitième siècle. J’avais traité le sujet avec plus d’étendue dans la première édition de cet ouvrage, et dans une thèse latine De frequenti apud veteres poetas heroum ad inferos descensu. Depuis lors M. Labitte a publié son intéressant et spirituel article : De la Divine Comédie avant Dante ; et je suis reconnaissant qu’il s’y soit servi de mes indications, en les mentionnant d’une manière honorable. Cependant une étude nouvelle du sujet et de l’époque m’a donné lieu de croire qu’on pouvait remettre la main à l’œuvre, et je l’ai tenté.
  2. Chronique de Pise, Muratori, Script. Rerum Italicarum, t. VI.
  3. Ricordano Malespini, Cronica capo II
  4. Apud Montfaucon, Diarium Romanum. Quelques-unes de ces traditions sont rappelées dans l’intéressante histoire de Rienzi, traduite de l’allemand par M. Léon Boré.
  5. Paradiso, xv, 42 :

    L’altra tracendo alla rocca la chioma
    Favologgiava con la sua familia
    De’Trojani, e di Fiseole, e di Roma.

    L’Ottimo commento ajoute : del cominciamento di Troja, e di Fiesole, e di Roma, dicendo che erano le tre prime citta del mondo.

  6. Inferno, v. 43. — Paradiso, xvi, 5. Je trouve aussi un souvenir des romans d’Alexandre, Inferno, xiv, 11. — Doniza, historien de la comtesse Mathilde au commencement du douzième siècle, ouvre son poëme par ce vers

    Francorum prosa sunt edita bella sonora.

    Voyez aussi, dans les Antiquitates Italicae, t. IV, p. 119, le traité attribué à Buoncompagno de Bologne (vers 1220), sous le titre Oculus pastoralis pascens officia, projet de discours pour exhorter à la guerre, de juvene cupiente guerram : Sicut poetarum manifestant historiae, et Francigenarum commendatorum vulgaris idioma describit in diversa volumina diutius diffusa per orbem.

  7. Commentaire inédit, de Giacopo, Bibliothèque royale, n°7765. Nel mezzo del cammino ’.,.. Si è da sapere che Dante quando comincio questo trattato era nel mezzo del corso dell’umana vita, cioè nell’etade di XXXII o XXXIII anni, il qual tempo, secondo la commune opinione, è tenuto per mezzo corso della vita. — Il se méprend, ou le copiste se trompe de chiffre : Dante lui-même (Convito, iv) fixe à trente-cinq ans le milieu de la vie. Du reste, les contemporains eux-mêmes ont varié sur l’époque de la naissance de Dante, et quelques-uns l’ont faussement fixée à l’an 1268. En ce cas, c’était trente-deux ans qu’il fallait compter pour aller jusqu’en 1500.
    Mi ritrovai… Vuol dire l’autore che in quel tempo ch’ egli comincio questo trattato, era peccatore, e vizioso, e era quasi in una selva di vizi e d’ignoranza. sicchè dalla via di virtude e di veritade errava.
    Tanto è amara… Avvegnachè Dante biasimi tacitamente la sua vita nientemeno la riprende et vitupera con grave riprensione, e quella (?) diciase (?) uno uomo che carnalmente vive. Ce texte est évidemment corrompu.
    Io non so… Lo sonno si prende porio peccato e significa la peccatrice vita. Del quale peccato Dante era maculato e pieno.
    Da poi… Qui mostra che poich’ egli pervenne al monte, cioè alla grazia di vera cognizione, e diletto lascio questa vaelle e vita di miseria… quando egli pervenne al monte, cioe al conoscimento della virtù, allora la tribulazione, e le sollecitudini e le varie possioni procedenti da quelli peccati e difetti cessarono e si chetarono, le quali aveva sostenute nel tempo della notte, cioè nel tempo tenebrosa vita, quando egli erra peccatore.
    Et au deuxième chant de l’Enfer Et venni a te Questa fiera fu la lupa della quale ha parlato capitolo primo, la quale è assimigliata ad avarizia, per la quale cagione (sic) egli lascio lo studio della scienza che cominciato avea nel tempo della giovinezza ed era presso a ben sapere scienza e virtù.
  8. Purgatorio XXX, tercets 42 et suiv.

    Si tosto come in su la soglia fui…
    Tanto giù cadde, che tutti argomenti
    Alla salute su a erra gia corti,
    Fuor che mostrargli le perdute genti.

  9. Purgatorio XXX, 12 :

    Piagendo dissi : Le presenti cose
    Col falso lor piacer volser mi’passi,
    Tosto che’l vostro viso si nascose.

    Le recueil des compositions lyriques de Dante n’atteste que trop la violence et la mobilité de ses passions.

  10. Le calcul est fait par tous les commentateurs, et repose principalement sur un passage de l’Inferno XXI ; le poëte pénètre en enfer le samedi saint, 4 avril, de l’an 1500. Il en sort le jour de Pâques. Cf. une excellente dissertation du P. Pianciani, insérée aux Annali delle scienze religiose de Rome di una nuova opinione intorno all’ anno in cui Dante finge d’aver fatto il suo Poetico viaggio.
  11. Ad Basilicas accedentibus reverenter, vere pœnitentibus et confessis, vel qui vere pœnitebunt, et confitebuntur in hujusmodi praesenti et quolibet centesimo secuturo, non solum plenam et largiorem, imo plenissimam omnium suorum veniam concedimus peccatorum. (Bulle du Jubilé de Boniface VIII.)
  12. Raynaldus, Annales ecclesiastici contin. ad ann. 1300.
  13. Giovanni Villani, ad ann. 1300. E trovandomi io in quello benedetto pellegrinaggio nella santa città di Roma, veggendo le grandi e antiche cose di quella, leggendo le storie e gran de fatti Romani scritte per Virgilio et per Sallustio, Lucano, Tito Livio, etc… presi lo stile e la forma di loro.
  14. Balbo, Vita di Dante. Dante in patria, x. Il est certain que Dante alla plusieurs fois en ambassade à Rome (Pelli, Memorie) or, il n’y parut qu’une fois depuis son entrée aux fonctions de prieur, le 15 juin 1300. Il faut donc qu’il y ait été envoyé précédemment.
  15. Purgatorio, XXXI, 11, 15.
  16. Inferno XVIII, 10

      Come i Roman per l’esercito molto,
    L’anno del giubileo, sù per to ponte
    Hanno a passar la gente, molto tolto.
    Che dall’un tato tutti hanno la fronte
    Verso, castello e vanno a San Pietro,
    Dall’altra sponda vanno verso il monte.

  17. Cette conjecture est fondée sur l’opinion que Dante est surtout un génie sincère, qui ne feint pas gratuitement, et que derrière sès fables il y a toujours plus de vérité qu’on ne pense. C’est dans cet esprit que j’interprète )e texte du Purgatorio, chant IX, terc. 31 et suiv. On est au quatrième jour du pélerinage, te 7 avril au matin : c’est précisément le jeudi saint, jour de l’absolution générale des pécheurs, qui faisaient pénitence publique. Dante arrive à une porte mystérieuse qui rappelle la porte sainte du jubile. Trois degrés y conduisent l’un, de marbre blanc et poli l’autre, d’une pierre sombre, rude et calcinée ; le troisième, d’un porphyre d’une couleur sanglante. Ce sont les trois conditions de la pénitence : la confession sincère, la contrition, la satisfaction. Tous tes interprètes l’entendent ainsi. L’ange, image du prêtre, est assis en haut. Il tient à la main l’épée dont il touche le front des pécheurs, comme le pénitencier frappe de sa baguette la tête des pèlerins agenouillés devant lui. Dans sa main sont les deux clefs, l’une d’or, l'autre d’argent ;.l’une symbole de l'autorite, l’autre de la science sacerdotale. Mais toutes deux, il les a reçues de saint Pierre « Da’Pier le tengo ». C’est l’exercice d’une prérogative papale. Le poète-se jette à ses pieds, il frappe trois fois sa poitrine c’est le rite même de la confession sacramentelle. Que faut-il de plus pour reconnaître l’acte où le poète repentant reçut le pardon, et qu'il voulut marquer d’un souvenir ineffaçable ? L’Ottimo commento semble l’entendre comme moi : « Convertito l’ autore per la illuminaziono della divina grazia, accède al vicario di Cristo per confessare le peccata.»
  18. Vita Nuova, et les recherches sur Béatrix : Œuvres complètes d’Ozanam, t. VI, chap. II de la IV° partie.
  19. Vasari, Vite de Pittori
  20. De Romanis, Conclusione circa l'originalita della Divina Comedia dans l'édition des Œuvres de Dante, 1830, Florence in-8o, t. V.
  21. Paradiso, cant. XXXI, 1

    In forma dunque di candida rosa
    Mi si mostrava la milizia santa
    Che nel suo sangue Christo fece sposa.

  22. La rubrique dit : Accipiant eas demones, et prœcipitentur in infernum. Voyez Théâtre français du moyen âge, publié par MM. Monmerque et Francisque Michel.
  23. Villani, anno 1504. Il ne faut pas croire, avec Denina, que cette triste fête donna la première pensée de la Divine Comédie. Dante n’était, pas à Florence, d’où on l’avait banni deux ans auparavant.
  24. Histoire littéraire de France, t. XVIII, p. 787, 790, 793 Legrand d’Aussy, Fabliaux, t. H, p. 22, 30, 36. —Labitte, la Divine Comédie avant Dante, VIII. Je me suis fait un devoir de citer le travail de M. Labitte toutes les fois que je me suis éclairé de ses indications. On trouve aussi des citations instructives dans le recueil de Poésies populaires latines publiés par M. du Méril (p. 298). J’y remarque une satire latine contre les faux visionnaires, qui altéraient par de grossières images, la pureté du dogme chrétien.

    Heriger, urbis — Maguntincensis
    Antistes, quemdam — vidit prophetam
    Qui ad infernum se dixit raptum, etc.

    M. du Méril mentionne le fabliau de sainte Gale qui ne se voult marier ; celui de la Bourgeoise qui fut damnée, sa fille menée pour voir les tourments de sa mère et les joies de son père. (Desroches, Hist. du Mont saint Michel, t. II, p. 341, catalogue de la Vallière, t. II, p. 133.) Trois visions latines indiquées au catalogue de Mss. de la bibliothèque Harleienne, t. III, p. 61 ; une autre enfin, citée par Warton, t. III, p. 34. Ajoutez-y la vision de Fulbert, publiée aussi par du Méril, p. 217.

    Vir quidam exsiterat dudum heremita…

  25. Ferrario, Antiqui romanzi di cavalleria t. III. Nous reconnaissons bien, avec Bottari, que le roman italien de Meschino, dans sa première forme, est postérieur la Divine Comédie ; mais la rédaction française remonte sans doute bien plus haut.
  26. Gervinus, Geschichte der deutchen Poesie, t. I, p. 221. Rosenkrantz, Geschichte der deutchen Poesie in dem Mittellater, , p. 366. J’ai suivi l’ordre du poème allemand de Lampreclit. On trouve dans la même langue l’ Alexandre de Rodolphe de Montfort, celui d’Ulrich d’Eschembach, ceux de Berchthold, de Biterolf, etc.. Il est inutile de citer les poèmes français bien plus connus de Benoit de Saint-More, Alexandre de Bernay, etc. Par une complication semblable, le souvenir des voyages de saint Brendan se retrouve dans le poème de Lohengrin.
  27. Oeuvres de Marie de France, tom. II ; Delarue, Essais historiques sur les Bardes, etc., tom. Ill, pag. 245 Ferdinand Denis, le Monde enchanté. Au dix-septième siècle, le Purgatoire de S. Patrice est porté sur le théâtre espagnot par Calderon ; et en 1764, on imprimait encore à Madrid la ballade de la Cueva de San Patricio. L’histoire de cette légende a été éclairée par le savant travail de M Wright S. Patrick 's Purgatory an Essay on the legends of purgatory hell and paradise, current during the middle age. Il est impossible de pousser une recherche avec plus de perspicacité et d’érudition. Mais pourquoi porter l’amertume de la controverse protestante et la rancune anglaise contre l’Irlande dans l’étude d’une innocente tradition qui ne fut jamais qu’un récit poétique, qui n’entra jamais dans les croyances théologiques de l’Eglise, et que les papes ne laissèrent pas introduire dans le bréviaire romain ?
  28. Dante se purifie de ses péchés en traversant le purgatoire. Purgatorio, passim.
  29. Dante est aussi arrêté par. les démons à l’entrée de la cité de Satan, Inferno, XI.
  30. On se rappelle le crucifiement de Caiphe, les concussionnaires plongés sous la poix bouillante, et les jeux grotesques de leurs bourreaux, les voluptueux entrainés par une tempête eternelle, le puits des géants. Inferno XXIII, XXIV, XXXI.
  31. Le pont de l’Epreuve, emprunté à la mythologie persane, se retrouvera dans les deux visions suivantes : Dante en a conservé comme une trace au chant XXIII, in fine.
  32. Gens erent de religiun
    Qui firent la processiun...
    Contre le chevalier alerent
    S'ils reçurent et le menèrent
    Od duz chant et duz melodie
    et od le son de l'harmonie

    Cette scène offre une frappante ressemblance avec celles qui terrminent le Purgatoire de Dante le Paradis terrestre au terme des expiations, la procession des vieillards et des Vertus, les chants, les parfums et tes leçons que reçoit le miraculeux voyageur.

  33. La Légende de saint Brendaines, publiée par Achille Jubinal ; Paris, 1836. La grande chronique de Gotfrid de Viterbe, pars secunda, contient un récit pareil, d’après Un livre conservé dans l’église de Saint-Matthieu, ultra Britanniam in finibus terrae. Les voyageurs arrivent au delà des mers a une montagne d’or qui porte une ville toute d’or, habitée par des anges. Enoch et Elie y servent Dieu dans une église d’or. Les voyageurs y demeurent trois jours : mais, lorsqu’ils reviennent dans leur patrie, il se trouve que trois siècles et sept générations se sont écoulés.
  34. .

    ………..Nous somes de ceus
    Qui jus caïrent des saints pas.cieux
    Mais nous ne consentiment pas.

    A peu près comme les anges neutres de Dante (Inferno, II)

    …………….Che non furon ribelli
    Ne fur fedeli a Dio, ma per se foro

    .
  35. « Je suis, fait-il, li fel Judas.
    por paor del Sauveour
    Ci sui.au dimence en l’.onor
    De la miséricorde Crist
    C’au dimence surrexit»

    Rien de plus touchant que ce. pardon partiel, le seul que Dieu puisse accorder aux réprouvés. On y reconnait les habitudes de douceur que la religion introduisait dans la société moderne. Où pouvait s’arrêter une pitié qui descendait jusqu’à Judas ?

  36. La terre voient plaine tempre,
    Les pummiers si cum en septembre,
    Environ prisent à aller
    C’ aine nuit ni visent fors jor clerc.

    Les navigateurs espagnols ont longtemps cherché l’île de Saint Brendan. Elle est comprise au traite d’Evora dans la cession faite par la couronne de Portugal à. celle de Castille. Voyez Ferdinand Denis, Le Monde enchanté. M. Wright (S.Patrick’s Purgatory) a publié une belle description du Paradis, en vers anglo-saxons qui semblent remonter à la fin du dixième siècle. Il cite une carte du douzième, où, vis-à-vis des bouches du Gange, est représentée l’île de Paradis. L’ Imago mundi place to jardin d’Eden à l’extrémité de l’Asie, derrière un mur de feu qui monte jusqu’au ciel. S. Patrick’s Purgatory, 93, 94.

  37. Delarue, Essais historiques, tom. III, pag.139 ; Fauriel, Cours inédit. On a plusieurs manuscrits du récit latin.Warton, History of poetry I, 19, cite le début d’une traduction anglaise. L’auteur annonce son œuvre comme une traduction

    ………Aidez-moi a translater
    la vision-saint Pol le ber.

    Il est probable que Dante connut la version ou l’original car,

    au IIe chant de l’Enfer, il parait supposer que saint Paul l’y précéda.

    Andovvi poi lo vas d’elézione.

    Et la glose de Giacopo ne laisse pas de doute sur le sens du vers. Dice ancora l’autore Paolo apostolo, lo quale fu vaso d’elettione, ando al inferno. Or, l’Ecriture, qui rapporte le ravissement de l’apôtre au ciel, ne le fait point descendre parmi les damnés.

  38. Le texte semble indiquer ici des sociétés secrètes, ou l’on aurait juré la destruction du catholicisme

    A sainte Iglise firent guerre.
    Et par sa mort se parjurouent.

    Dante représente aussi les violents plonges dans

    un lac de sang dont la profondeur varie selon leur culpabilité.

  39. Dante met tes hérétiques dans des tombes, canto XI.
  40. Rosenkrantz, Geschichte der Deutschen Poesie; 184 , Gervinus, t. I .-Wackernagel , Deutschte Lesebuch.
  41. Le récit de saint Jean Damascène est bien plus étendu que celui de la légende italienne. Je la cite de préférence comme inédite et comme contemporaine de Dante. Le manuscrit où elle est contenue porte le n° 93, fonds la Vallières , sous ce titre : Leggenda di Barlaame e di Giosaffate.
  42. E incontenento fo porta el so spirito in cello, e foge mostra la gloria del Paradiso e li ordeni de li agnoli, eli patriarchi, e li profecti, e lii apostoli, e una grande multitudine de chavalieri, vergini e l’agnolo go disso quiesti sic martiri. (Quatre peintures représentent la procession des personnages célestes.)E di ce l’agnolo Giosafat, se tu combattere per la toa virginita tu sere in questa schera. J’ai voulu donner un spécimen de ce grossier dialecte.
  43. Edda Soemundar, t. I. Solar-liod. Sans doute le skalde islandais fut inconnu du poëte de Florence ; mais les rapports qu’on trouvera dans leurs récits montreront encore mieux l’antiquité des sources où tous deux puisent.
  44. Solar-liod, 58, 59. Cruenta saxa. Nigrae illae feminae. Trahebant tristi modo. Multos homines vidi. Sauciatos ire. In illis pruna obsitis viis. Cf. Inferno, VII, XIV, XXVIII . La peine des avares, des sodomites et des schismatiques.
  45. Solar-liod, 63, 64. Catervatim ibant illi. Ad Plutonis’ arcem. Et gestabant onera e plumbo. Hommes vidi illos. Qui multos pecunia et vita spoliarant. Pectora. Raptim pervadebant viris istis. Validi venenati dracones. Cf. le château de Satan, les chapes de plomb des hypocrites, les serpents qui poursuivent les voleurs de grand chemin. Inferno, VIII, XXIII, XXIV . Le dernier de ces rapprochements est si remarquable, qu’on aurait peine à le croire fortuit.
  46. Wackernagel, Deutsche Lesebuch, Von jungsten Gesicht :

    Dar ni mac denne mac andremo
    Helfan vora demo Muspille.

    On peut citer aussi la peinture terrible du jugement dernier dans L’Harmonie des Evangiles, par le Saxon Héliand, Gervinus, Geschichte der Deutschen Poésie, t. I. Sur les montagnes creuses Grimm, Deutsche Sage.

  47. Gelasius papa, apud Gratiani decretum dist. xv, cap. Sancta Ecclesia . «Vitas Patrum, Antonii, Pauli, Hilarionis, et omnium eremitarum, quas tamen vir beatus scripsit Hieronymus, cum omni honore suscipimus.» Cassiodore, Instit. Divin. cap. XXXII. S. Benedictus, in Regula, cap. LXII : Monachi omni tempore, sive jejunii sive prandii fuerit, mox ut surexerint a cœna, sedeant omnes in unum, et tegat unus collationes et vitas Patrum, aut certe aliquid quod œdificet audientes.
  48. Tiraboschi, Storia della Letteratura ab anno 1183 ad annum 1300, Lib. II, cap. I
  49. Legenda aurea de S. Patricio, de S. Josaphat, de ~Memoria defunctorum etc. On y trouve aussi les histoires de saint Fursy, de saint Carpe et de sainte Christine, que je rapporterai plus loin. La légende de la fête de tous les Saints décrit ta procession merveilleuse des Saints, des Anges et du Christ, qui apparut pendant la nuit au gardien de l’église de Saint-Pierre du Vatican. La même procession revient dans la légende de S. Bonus, publiée par M. du Meril, Poésies latines populaires, p. 190.

    Praesul erat Deo gratus
    Ex Francorum genere natus, etc...

  50. Legenda aurea ,. de resurrectione Domini. Cf. Fabricius, Codex apocryph., p. 282. Le texte primitif est en grec. Grégoire de Tours (Hist. Franc., I, 21, 24) donna déjà une traduction abrégée de l’évangile de Nicodème. Cette histoire, devenue populaire au moyen âge, passa dans toutes les langues et sous toutes les formes littéraires. Au dixième siècle un moine, dont la vision est racontée par Ansellus le Scolastique, accompagna le Sauveur aux enfers, et assista à la délivrance des âmes, qui se renouvelle chaque année. Mais le pauvre religieux revient sous la conduite d’un démon. Cette pièce a été publiée par M. du Méril, Poésies latines populaires , p. 200. Il faut citer aussi le soixante-sixième chapitre l’Histoire de Perceforest où l’on voit « comment le roy Alfaran a s’en alla en l’ysle de vie publier la foi catholique, et racompter au long la passion et la résurrection de Jésus-Christ au roy Gadifer d’Ecosse et au roy Perceforest d’Angleterre, à la sage royne, et aux aultres. » Voyez enfin l’excellent trayait de M. Douhaire sur tes apocryphes, dans l’ Université catholique, année 1858.
  51. Manuscrit de la Bibliothèque du roi, du. quinzième siècle, n° 7762 « De tre monaci che zeno a lo Paradiso terrestro. Lo Paradiso terrestre si è in terra in questo mondo, in ne le parte d’Oriente suso uno monte altissimo. »
  52. Vite de Santi Padri; — Venezia, 1448; Firenze,1738.
  53. Vite de Santi Padri, libro V, cap. x. Per una vatte terrihile e tonebrosa, e coperta di caligine di morte, profondissime e piena di carboni affuocati, e di sopra era un coperchio di fen’o fatto a modo di una gradella, etc. Inferno XXI Dolorosi lessi. Tantalo est la forme italienne et presque mythologique du nom irlandais de Tantale. La légende, irlandaise d’origine, passa en latin dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, lib. XXVI, c. LXXXVIII, 104. M. Wright, S. Patrick Purgatory., p. 82. en cite plusieurs traductions anglaises, allemandes, françaises. M. Turnbull a publié the Visions of Tundale together with metrical moralization and other fragments of early poetry, Edimburg, 1843. On en connait plusieurs versions a ! allemandes, flamandes, françaises. Cf. Greith, Spicilegium Vaticanum; Hahn, Gedichte der XII und XIII Jahrhundert , etc.
  54. Vite de Santi Padri, libro V Cap XI Era ancora tutto quello inimico de Dio ligato per tutte le membre con cathene di ferro molte affocate di foco. E quando ha piene le mani lestringe et spremezele in bocca come fa el vino de l'uva. Cf. Inferno XXXIV. Tutti questi tormenti son per li prelati e guidatori dei popoli, quati vanno cercando e proccaciando le signorie e grandi onori del mondo o benefici, o per cupidita, o per potere fare danno ad altrui. e coloro che giudicano falsamente per amore, o per doni, o per difetto di scienza. e che vendono il sacramento della Chiesa.
  55. Adam Bremens, Hist. Eccles., Hist. de Grégoire VII
  56. Othlonis monachi Ratisbonensis Liber visionum tum suarum tum aliorum Apud Bernard Pez, Thes. Anecdot. Novissim.t. III.
  57. Visiones, 6, 11 Ibi sunt inclusi nuper defuncti qui Cœsari Henrico pacem undique patrare studenti resistere prœsumpserunt.
  58. Visio 14
  59. Visio 17 Quia videlicet muha superflua et luxuriosa mulierum ornamenta quibus Gracia uti solet, sed eatenus in Germaniai Francisque provinciis erant incognita, tune primo delata.
  60. Liber visionum; 23. Aux numéros 19 et 20 se trouvent les récits de saint Boniface et de Bede, qu’on lira ci-après.
  61. Acta sançtorum ordinis S. Benedicti, saec. IV, pars II, p.263.
  62. Ibid.

    Quem plumbea possidet arca
    Judicii usque diem dubio sub fine vomendum

    .

    cf Inferno, IX. . Le supplice des hérétiques.

  63. Acta Sanctorum ordinis um ordinum S. Benedicti.

    His visis celsum montem cœloque propinquum
    Adspiciunt ....... ibidem
    Abluit incauto quidquid neglexerat actu.
    ..... Fixo consistere gressu.
    Oppositumque animal lacerare virilia stantis
    Laetaque per reliquum corpus lue membra carebant.

  64. Ibid.

    Unde tibi jubeo auctoris de nomine nostri
    Ista palam referens ut clara voce revolvas

    .
  65. Vita sancti Anscharii, auctore Remberto, Bollandist., 3 fév.
  66. Qui splendor tantœ magnitudinis erat, ut nec initium ejus nec finem contemplari valerem. Ipse omnes exterius circumdabat, ipse omnes interius satiando regebat, superius protegebat, inferius sustinebat. Sol vero nec luna nequaquam lucebant ibi, nec cœlum ac terra ibidem visa sunt, nam erant cuncta incorporea. C’est l’aspect tout spirituel du paradis de Dante.
  67. S. Bonifacii epist. 21 et 71, edidit Würdtwein. Ibid, ep. 28, Vita auctore Willibaldo, apud part. 3, Monumenta Germaniae Historica.
  68. Epist. Panormitanorum ad dominos cardinales. Apud Amari, Vespro siciliano, t. II «  Hispidae gentis finitima in feram barbariam et convictam crudeliter efferatur. Hinc indiscreta dominia, hinc dira regimina. » Ce texte est souvent corrompu.
  69. Joinville, Vie de saint Louis.
  70. Girard, la Fleur des Saints, t. II, p. 445, et Labitte, la Divine Comédie avant Dante, n°. VI
  71. Ampère, Hist. littéraire de France, t. III, p. 283.
  72. Ampère, Hist. littéraire, t. III, p. 120. Labitte, la Divine Comédie avant Dante n° V. Cf. le continuateur de Bède, de Gestis Anglorum, lib.II, cap. xi. Vincent de Beauvais, Specul. hist. Albéric des Trois-Fontaines ad annum 889 , Chroniques de Saint Denis, etc.
  73. Ampère, Hist. littéraire, t. III, p. 117. –Labitte, la Divine Comédie avant Dante~, n° v.– Hincmar, Opera, t. II. Flodoard, Hist. Remens., I. III.
  74. Ampère, Hist. littéraire, t. III, p. 119. D. Bouquet, Recueil des historiens de France, t. VII, p.289.
  75. Lenglet-Dufresnoy, Dissertation sur les apparitions, t. I. Labitte, la Divine Comédie avant Dante. n° IV. Une lettre écrite par plusieurs évêques à Louis le Germanique (858) rapporte la vision de saint Euchère d’Orléans, qui vit Charles Martel tourmenté en enfer, pour avoir violé les biens de l’Église. (Baluze, t. II, p. 109.)
  76. Ampère, Hist. littéraire, t. III, p. 120. Alcuin, Epist. 5.
  77. Lenglet-Dufresnoy, Dissertation sur les apparitions, t. I. Labitte, la Divine Comédie avant Dante.
  78. Labitte, la Divine Comédie avant Dante, IV. Gregor. Turon., Hist. Franc., VIII, 5
  79. Gregor. Turon., Hist. Franc., VII, 1. Labitte, la Divine Comédie avant Dante, III.
  80. Muratori, Antiquit. Italic.IV, dissertat. 54, p. 729. La préface de cette messe est admirable : « Omnipotens aeterne Deus, respice propitius in faciem Ecclesiae tuae, quœ de suorum gemit contritione membrorum. Esset namque tolerabilius, si gentili gladio ferienda traderetur, quam christianorum destrueretur incursione malorum. Ne pravis, Domine, poena cumuletur œterna, nobisque eorum sit inféstationibus onerosa, diutius illorum non sine prœvalere severitatem. Per Christum, etc
  81. Ampère, Hist. littéraire de la France, III, p. 115. Mabillon, Acta SS. Ord. S. Benedicti, saec. II, p. 307. Wright, S. Patricks Purgatory, p. 9.
  82. Vincent Bellov., Specul. histor., XXVII, 84, 89, et XXIX, 6, 10. Matthieu Pâris, ad ann. 1196, 1206. Wright, S. Patrick’s Purgatory.
  83. Labitte, la Divine Comédie avant Dante, v ; Annales S. Bertini, ad. Ann. 889
  84. Bède, Historia ecclesiast. gentis Anglicae , l. V, cap. XIII. Les rapports avec le Purgatoire de S. Patrick sont évidents. Cf. Inferno IX. Dante secouru par l’ange. Ibid., XXV, XXVII. Les flammes parlantes, où sont recélés les conseillers perfides.
  85. Romancero del Cid.

    Moriras en treinta dias
    Desde oy,que esto te fablo :
    Dios te quiere mucho, Cid,

    Y esta merced te ha otorgado...
    De rodillas se ha postrado
    Para besarle los pies
    Al buén apostol sagrado,
    Dixò S. Pedro : Rodrigo
    Aqueso ya es escusado.

  86. Ferdinand Denis, le Monde enchanté, p. 130, 283.
  87. Fauriel, Cours inédit de littérature étrangère, 1838.
  88. Historia arabica, apud Byzantin. per chronic. oriental p. 22.
  89. De Vitis Patrum auctore Moscho, cap. L. Visio et dictum Georgii abbatis.
  90. Pallad., de Vitis Patrum XXVII. De contemplatione quam vidit abbas Antonius.
  91. Rosweid, Vitae Patrum. Vita S. Mascarii Romani, servi Dei, qui inventus est juxta paradisum. L’époque semble indiquée par la question de saint Macaire, qui demande a ses hôtes des nouvelles des Sarrasins. L’opinion selon laquelle le paradis terrestre touche au ciel est déjà marquée dans ces vers d’Avitus :

    Quo perhibent terram confinia jungere coelo
    Lucus inaccessa cunctis mortalibus arce.

    Dante s’y conforme, et l’Éden, selon lui, domine la sphère de l’air et touche à celle du feu. Gervais de Tilbury, Otia imper., 111, 113, rapporte une tradition qui place le purgatoire dans l’air.

  92. La présence de saint Macaire dans le lieu du paradis que Dante destine aux contemplatifs, et sa figure peinte au Campo Santo, prouvent assez la popularité de son histoire au moyen âge.
  93. Inferno, IX, XXIII. Vision de Drihthelm; de s. Fursy. Purgatoire de S. PAtrick, etc
  94. Inferno XXXIII 46. Cf. S. Patrick. Vision de S. Paul, de Tundale, etc..
  95. Inferno XXXIV. Cf. Tundal. S. Antoine
  96. Purgatorio XXVII . Cf. S. Patrick et plus loin le bon larron de S.François, la vision d’Albéric, etc.
  97. Dante partout. Cf. S. Patrick, S. Fursy, Tundale, et toutes les légendes françaises.
  98. Paradiso, XXVIII. Cf. Vettin., S. Boniface, et la vision d’AIberic.
  99. Fioretti di san Francesco. Delle sacre santé stimate di san Francesco, e delle loro considerazioni. Della seconda considerazione.
  100. Fioretti, cap. XLIII, XLIV, , xuv, L, LI, et particulièrement c.XLVIII. Come frate Jacopo della Massa vide in visione tutti i fratri minori del monde in visione d’une arbore, e conobbe la virtù, o i meriti e i vizi di ciascuno.
  101. Fioretti, cap. xx. D’una molto bella visione, che vide un frate Giovane, il quale avea in tanta abbominaziono la cappa, che era disposto di lasciare l’abito e uscire dell’ ordine.
  102. Fioretti, cap.XXVI. Corne Francesco converti tre ladroni micidiali, e della nobilissima visione che vide l’uno di loro.
  103. Voyez l’éloquente Vie de saint Dominique , par le R. P. Lacordaire.
  104. Elle fut publiée pour. la première fois par l’abbé Cancellieri, Rome, 1814. Voyez aussi, dans l’édition des Œuvres de Dante, Firenze. 1830, les Dissertations de Boltari, du P. de Costanzo, et les lettres de Cancellieri, Gherardo de Rossi, et de Romanis.
  105. Toujours l’alternative du feu et de la glace, que Dante n’a pas manqué d’observer. Lui aussi appelle Satan « il gran Verme. » Même ressemblance pour le supplice des simoniaques.
  106. Vision d’Albéric, cap. xx. Dante est obligé de-passer par les flammes. Purgatorio, XXVII .
  107. Ici surtout l’analogie est décisive : « Qualiter a colomba et beato Petro ductus est in cœlum, » etc. (Albéric, § 33. Dante, Paradiso, XXVII.) Si Foscolo y eût pris garde, il n’aurait pas argumenté de ce passage du Paradis pour établir les intentions protestantes du poëte ou bien, il y aurait associé l’humble moine du mont Cassin, qui, certes, n’eut jamais de pareilles tentations.
  108. Vita apud Bolland., 29 maii.
  109. Dante, Paradiso, II, x, 47

    II Calavrese abate Giovacchino

    Di spirito profetico dotato

    .
  110. Joachim abbatis Opéra.
  111. Joachim in Jeremia. a Quod imperatores olim pro Christo paupere suaé dignitatis tunicam exuentes, induerunt eum quasi novum hominem . in Sylvestro. Nunc necesse est ut summus pontifex ex eorum manibus spoliatus effugiat. » Dante, dans la belle vision qui termine le Purgatoire, semble s’être souvenu de cette - parole de l’abbé Joachim : Quod patrimonium J. Ch. boni et mali scientiae lignum fuit. L’abus que l’on faisait des opinions de Joachim fut condamné par un concile d’Arles en 1260. Elles passèrent ensuite dans les doctrines des Fratricelles et des Lollards.
  112. Joachim, Visio.

    Visionem admirandae ordiar historié ;
    Succincte scribam textum felicis memoriœ.
    Quidam vir religiosus, fama non ingenitus,
    Scripsit rem quam vidit quondam in visione positus

    .

    Remarquez l’analogie du début avec celui du premier chant de l’Inferno . Le chemin de la vie, les bêtes féroces qui ferment la route, aucune autre voie pour leur échapper que la visite des lieux éternels.

  113. Je regrette d’avoir dù resserrer ainsi l’admirable récit traduit de main de maître par M. Villemain, Tableau de la Littérature française au moyen âge, leçon 1.
  114. Malespini Storia cap. i A onore e riverenza dell’alto Iddio padro, da cui discende il sommo bene, e a frutto e utilità di coloro che leggeranno, si degli alletterati, come de laici
  115. Ricordano Malespini, Storia, cap. XLVIII E avenne per volontà di Dio che essendo a cacciare. per lo bosco si smarri dà sua gente, e capito in sua visione a una fabbrica là ove s’usava di fare lo ferro ; quivi trovando uornini neri e formati, che in luogo di ferro parea che tormentassono con fuoco e con martello nomini. Je retrouve la forêt dans une chanson latine du dixième siècle, publiée par Grimm et Schmeller, Lateinische Gedichte, p. 335 Subjunxit totum-esse infernum-accinctum densis–undiquo sylvis.
  116. Mabillon, Acta SS. Ord. S. Benedicti, saecul. III.
  117. Gregor. de Vita et Miraculis Patrum italicorum et de aeternitate animorum etc..., lib IV, I. Postquam de paradisi diis culpa exigente expulsus est primus humani generis parens, in hujus caecitatis atque exsilii quam patimur venit aerumnam, quia, peccando extra semetipsum fusus, jam illa cœlestis patriae gaudia quae prius contemplabatur videre non potuit. Ac si enim pregnans mulier mittatur in carcerem, ibique pariat puerum qui natus in carcere nutriatur et crescat ; cui si forte mater... solem, lunam, stellas, montes et campos nominet, ille vero veraciter esse diffidat..
  118. Ibid., cap. VI Nulla visibilia nisi per invisibilia videntur.
  119. Ibid., cap. XLI.
  120. Lib.I,12 ; II,37 : III, 17 ; IV, 7,11 14, 15.
  121. Lib. IV, 30.
  122. Lib. IV, 36. Le grand esprit de saint Grégoire éclate partout au sujet d’un anachorète qui s’était attaché dans sa cellule avec une chaine de fer : « Teneat te non catena ferri, sed catena Christi». Après le récit d’une résurrection : « Majus est miraculum verbo peccatorem convertere quam carne mortuum resuscitare. »Et tout le chapitre XLVIII du livre IV sur le discernement des songes et des visions.
  123. Paradiso, XXVIII, 44.
  124. Dionys. Areop., Epist. VIII. Labitte, la Divine Comédie avant Dante,II.
  125. S. Augustin, de Origin. Animalis. lib. II. –Labitte, la Divine Comédie avant Dante, II.
  126. Ruinard, Acta martyrum sincera, passio SS. Perpétuae, etc.
  127. Bollandist., Act. SS., 21 août. Labitte, la Divine Comédie avant Dante, II.
  128. Hormis Judas l’Iscariote, dont l’Évangile dit : «  Il vaudrait mieux pour cet homme qu’il ne fût jamais né. » Du reste, ces principes sur la critique de la Vie des Saints sont exposés dans la belle préface des Bollandistes, au tome 1 des Acta Sanctorum.
  129. L’ Introduction de Porphyre aux Catégories d’Aristote, traduite en latin par Boëce, a fait la base de tout l’enseignement philosophique au moyen âge. Voyez l’Introduction de M. Cousin à son édition des Œuvres d’Abailard.
  130. Tosti, Storia della Badia di monte Cassino, anno 1071. Petrus diaconus, de Viris illustribus monasterii Cassinensis.
  131. Tiraboschi, Chronicon Novalicense, apud ~Muratori Script. Je trouve dans un catalogue de Bobbio, au dixième siècle, Pline, Virgile, Lucain, Juvénal, Martial, Perse, Horace, Claudien, Lucrèce, Térence, plusieurs écrits de Cicéron, de Sénèque et de Démosthènes.
  132. Othlonis, liber Rhythmicus de doctrina spirituali, apud Bernard Pez, Thesaurus anecdotorum novissimus t.III:

    Numquid tam vilis fore lectio sancta probatur,
    Ut merito libris sit postponenda profanis ?
    Ut sunt Horatius, Terentius et Juvenalis,
    Ac plures alii quos sectatur schola mundi.
    Illa tripartita Maronis et inclyta verba,
    Lectio Lucani quam maxime tunc adamavi...

  133. Bernard Pez, Thesaurus anecdotorum novissimus, T.II partIII. Acta S. Christophori. prosa et versu descripta a Waltero subdiacono Spirensi. Primus libellus de studio poetae ;

    Quotquot Niliacis descripsit Graecia libris

    , etc.

    Suit un resumé général de la mythologie grecque.

  134. On voit déjà la trace de l’antiquité. Virgile, Tite Live, dans les légendes écrites par Jonas, moine de Bobbio, au septième siècle. -Mabillon, Acta SS. Ord. S. Benedicti .- Vies de SS Taso, Tato et Paldo, par Ambroise Autpert. Le récit en prose est coupé par des couplets de trois hexamètres. -Luitprand. Rerum gestarum ab Europae imperatoribus et regibus libri VI. –Hroswitha, Préface de ses comédies sacrées. - Tiraboschi, Charlemagne à Otton III.
  135. Sur l'Histoire populaire de Virgile au moyen âge, voyez Görres Volksbücher ; et l’analyse du livre hollandais intitulé Eene schone Historie von Vigilius, von zijn-leven, doot, ende van zijn wonderlike werken di hj deede by Nigromantien, ende by dat Behulpe des Duyvels, Amsterdam, 1552. Boccace, Comento sopra Dante, canto 1, in fine. Nous avons vu Virgile dans les drames des Vierges sages et des Vierges folles on le retrouve jusqu’en Espagne dans la vieille romance de Vergilios.
  136. Inferno, IV, 39 : In luogo aperto, luminoso e alto. Cette doctrine s’accorde à peu près avec celle de saint Anselme, de Guillaume de Paris, de Cajetan,.de Salmeron, de Cornélius à Lapide, qui destinent les âmes reléguées dans les limbes à revenir peupler, après le dernier jugement, la terre régénérée et revêtue de sa beauté première. Voyez le commentaire de Tirinus, sur le chapitre III de la 2° épitre de saint Pierre. Voyez aussi saint Thomas, in Sentent., lib. II, dist. 33 ; quaest. 2, art. 2 « Utrum animas cum sola originali culpa decedentes affligantur poena ignis ? » Il résout la question négativement.
  137. Convito, II, 13.
  138. Bernard de Chartres, fragment publié par M. Cousin, à la suite d’Abailard, p. 642 : Et quia profundius philosophicam veritatem in hoc volumine declarat Virgilius, ideo...in eo diutius immoramur. Spiritu vero corpus esse inferius evidentissimum est. cumque ita nil inferius humano corpore, infernum idem appellatur. Quod autem inferis legimus animas coactione teneri, a spiritibus carceriis, hoc idem dicebant pâti animas in corporibus a vitiis. - Remarquez la ressemblance de cette interprétation avec celle que Dante veut appliquer à la Divine Comédie, dans son épitre dédicatoire à Can Grande : « Secundum allegoricum sensum poeta agit de inferno isto, in quo peregrinando ut viatores mereri et demereri possumus. »
  139. Cicéron, de Republica, liber ultimus. Macrobe, in Somnium Scipionis, I, 2. Sacrarum rerum notio sub pio figmentorum velamine, honestis et tecta rebus, et vestita hominibus enuntiatur.
  140. Platon, de Republica.~, lib. X ; Proclus, dans un fragment publié par S. Ém. le cardinal Mai (Auctores classici, tome 1) exprime ainsi le dessein de Platon : Αλλὰ καὶ τῆς πολιτείας ὂλης τὸ εἶδοσ ἐν τῷ παντὶ προθπάρχον ἀποφαίνει . La peinture des peines et des récompenses qui suivent la mort revient encore dans le Gorgias et dans le Phédon.
  141. Plutarque, De his qui a Numine sero puniuntur
  142. Fulgentius Planciades (Mythologicorum, III) rapporte la fable de Psyché, d’après Apulée et Aristophante l’Athénien. Sur la descente de Pythagore aux enfers, voyez Lobeck, Aglaophamus, p. 156.
  143. Lucien, Necyomantia. Mémoire de M. Hase (Notice des Manuscrits, tome IX) sur trois pièces satiriques imitées de Lucien. Ἐπιδήμία Μαζαρι ἐς ἅδου. publié par M. Boissonade. On comprend bien. que ; nous n’avons jamais voulu prêter à Dante la connaissance des sources grecques.
  144. Servius ad Eneidos Vt Unde etiam in antiquis invenimus, opus hoc appellatum esse non Eneidem, sed Gesta populi romani. Totus quidem Virgilius scientia plenus est, in quâ hic liber possidet principatum. Et dicuntur multa per altam sententiam philosophorum theologicorum Egyptiorum, adeo ut plerique de his singulis hujus libri integras scripserint πραγματείας~ L’habitude se conserva au moyen âge.
  145. Je ne pense pas qu’il faille chercher dans l’école pythagoricienne la source de la doctrine professée au sixième livre de l’Énéide l’émanation, l’expiation, le retour des âmes, sont des dogmes primitifs de la théologie romaine. Voyez Ottfried Müller, die Etrusker.
  146. Voyez l’excellent Mémoire de M. Egger sur les historiens d’Auguste, et particulièrement l’Appendice sur les Augustales. Ovide, Fastes, v, 129.
  147. Ovide, Métamorphoses , VII, 409 ; IV, 432 ; X, 12 ; XI, 105. Le moyen âge lisait beaucoup les Métamorphoses d’Ovide. Parmi les professeurs, de l’université de Bologne au quatorzième siècle (1525), je trouve maître Vital, docteur en grammaire, engagé, au prix de cent livres par an, pour lire et pour commenter Cicéron et les Métamorphoses.
  148. Silius Italicus, Punic., lib. XIII
  149. Lucain, Pharsal., VI. 419.
  150. Stace, Thebaid. IV, 407. Il ne peut se refuser le plaisir de ces descriptions en deux autres endroits de son poème, II, 1, VIII ,123.
  151. Valerius Flaccus, Argonautic., 1-738.–Claudien, de Raptu Proserpinae et dans le second livre contre Rufin, la descente de Rufin au Tartare.
  152. Cicéron, Tusculan., I, 16. Aulu-Gelle, Noctes Atticae , XVI, 7.
  153. Magnin, Origines du théâtre, I, 237. Clément d’Alexandrie, Protreptica, cap.II.
  154. Plaute, Captivi  :

    Vidi ego multo saepe picta que Acherunti fierent
    Cruciamenta

  155. Horace, Satir. II, 5

    O Laertiade, quidquid dicam aut erit aut non
    Divinare etenim mihi magnus donat Apollo :

  156. Pausanias, X, 28. Pline, cité par Winkelman Monument. ant. ined., p. 211. —Creutzer, Symbolik, atlas, tab. 56, etc.
  157. C’est Hercule qui la lui arrache à la fin de la tragédie, et je ne puis m’empêcher de citer ces vers d’une théologie étrange ; Hercule parle : « J’irai, j’épierai le Trépas au noir vêtement, ce roi des morts. Je pense le trouver s’abreuvant du sang des victimes auprès du tombeau je t’attendrai en embuscade, et, me montrant tout à coup, je le saisirai, je le serrerai de mes mains et nul ne m’arrachera de sa poitrine haletante, jusqu’à ce qu’il m’ait rendu l’épouse d’Admète.  »
    Ἐλθῶν δ ἂνακτα τὸν μελάμπεπλον νεκρῶν
    θάνατου φυλάξω κάί νιν εὑρήσειν δοκῶ

    Dans l’Hercule furieux d’Euripide, le récit de la descente aux enfers trouvait aussi sa place.

  158. Aristote, Poetic., 16. Klausen, Aeschyli theologoumena.
  159. Apollodore, Bibliothec., II, 5, 12. Servius,ad Aeneid., VI, 392. Scriptores rerum Mythicarum latini tres (edidit Bode)III, 13, 3.
  160. Pausanias, IX, 31 ;X, 28.
  161. Photius, Bibliothec., de Cyclicis.
  162. Clément d’Alexandrie, Stromata. Lobeck, Aglaophamus, p. 353.
  163. Argonautic. 1118.
  164. Pausanias, x, 28. Proclus, Chrestomathie VII, 3.
  165. Iliade, I, 3.
  166. Eustathe, ad Odyss., Ὁ δε Ὁμερικὸς νοῦς τοῦ τὸν Ὀδυσσεα εῖς ᾃδου ἒλθειν μέθοδος εστι τῶν εφεξῆς δηλωθησομενων μύθων
  167. Eustathe, ad Odyss. Αναπληρων τε απερ τῇ Ἰλιαδὶ ἐλλέλειπται. Je ne prétends pas résoudre la question longtemps controversée, si l’Iliade et l’Odyssée sont du même auteur : il suffit qu’elles soient de la même école poétique. Mais j’avoue que je ne vois point dans le onzième livre de l’Odyssée les interpolations et le désordre qu’on y suppose. Je penche même à croire que l’énumération des héroïnes n’y est pas insérée sans dessein, et qu’elle faisait une partie nécessaire de l’épisode, puisque je la vois reproduite dans le Culex, imitée dans les Lugentes campi de l’Énéide et dans l’Enfer de Silius Italicus. Je m’explique moins la seconde description des enfers au chant XXIV de l’Odyssée.
  168. Eustath., ad Odyss. X. Ὀ ποιητὴς τὴν τοιαὺτην εἰς ᾃδου κάθοδον πλάττει πρὸς χορηγίαν γραφῆς πλείονα Pour compléter les idées d’Homère sur l’autre vie, Cf. Iliade, IX, 16. XVI, 671. Odyssée IV, 564 ; XXIV, passim. Halkart, psychologia homerica.
  169. Oupnek’hat, t. II, XXXVII. Les mêmes scènes reviennent dans les chants de l’Edda. Dans le Vafthrudnismal, 40, 43, le géant Vafthrudnis, interrogé par Odin, lui raconte comment il a visité les neuf mondes, les joies du Valhalla, et le sombre empire des morts. Le Vegtamsquih raconte la descente d’Odin chez les morts, pour arracher à la prophétesse Volva le secret du destin qui menace Ballder, le plus jeune et le plus beau des immortortels.
  170. Quintilien, Institut. orator. proem.
  171. Paradiso, xxv, 1

    Se niai continga che’l poema sacro
    Al quale ha posto mano cielo e terra
    Si che m’ha fatto per più anni macro.

  172. Fréret, Observations sur les oracles des morts.–Kalbkart, Psychologia homerica .–Ptutarque, in Aristid. Pindare, Olympic, I, 308. Ovide, Fastes, libII. Ottfried Müller, Die Etrüsker. Cf. Lois de Manou, livre III, 82-285.
  173. Fréret, Observations sur les oracles des morts. –Herodot., Terpsichor., 92. Pausanias, t X, 50. Allatius, ad Dissertationem Eustathii, de Engastrimitho. Lobeck, Aglaophamus, p. 900. Magnin, Origines du théâtre . 71. Plutarque, De sera Numinis vindicta. Le même auteur, au traite du Démon de Socrate, décrit la vision de Timarchus dans l’antre de Trophonius. Timarchus y passa deux nuits et un jour. Au milieu des ténèbres qui l’environnaient, il aperçut un abime profond d’où s’élevaient des voix, des cris, des gémissements, et il y vit descendre d’innombrables étoiles tombantes qui étaient des âmes.
  174. Lobeck, Aglaophamus, 90, 117.–Magnin, Origines du théâtre, 78.
  175. Lucien, Cataplus. ΜΊΚ: Εἰπὲ μοι, ἐτελέσθης γὰρ τὰ Ἐλευσίνια , οὐχ ὃμόια τοῖς ἐκεῖ τὰ ἐνθάδε σοι δοκεῖ;- ΚΥΝ Εὖ λέγεις; Sainte-Croix, Recherches sur les Mystères. Magnin, Origines du théâtre, 88, 96. –Lobeck , quoique d’une opinion différente, convient cependant que les divinités du ciel et de l’enfer étaient données en spectacle aux initiés d’Eleusis.
  176. Lobeck. Aglaophamus, p. 179.
  177. Sainte-Croix, Recherches sur les mystères, I, 55, 204, 425. Lobeck, Aglaophamus, 571, 699 Zagreus ou Bacchus l’Ancien, égorge par les Titans, pour renaître ensuite. — Plutarque, De sera Numinis vindicta : Bacchus descend aux enfers pour y chercher Sémélé. Sur Jupiter, Apollodore, Biblioth., t, 8.
  178. Guigniaut, Symbolique, I, 450 ; II, 46, 58. Même tradition chez les Scandinaves Ballder, le plus beau des dieux, est frappé a mort par l’artifice des divinités infernales. Sa chute est le signal de l’incendie du monde mais de ses cendres sortira un autre univers plus pur et plus durable.
  179. Guigniaut, Symbolique, t. I ;
  180. Cicéron, de Natura Deorum, lib.II.–Chaeremon, Macrobe, Porphyre, cites par M. Guigniaut, Symbolique, I, 396, 870; II, 50. 65. Strabon, Geograph., 1. Pausanias, III, 25.–Ammien, Marcellin, XIX, 4. Sénèque, Epist., 88
  181. Oupneck’hat, t.II, p. 17 et 19.
  182. Cicéron, Tusculanes, Ι. Il faut rappeler aussi cet ineffaçable texte dé Platon, ce grand acte d’humilité du plus grand génie philosophique qui fut jamais Alcibiades, I Αναγκαῖον οὗν ἐστι περιμένειν ὥσ ἄν τισ μάθῃ ῶσ δεῖ πρὸς θεοὺς καὶ πρὸς ανθρῶπούς διακείσθαι<