Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Le Gascon puny
Un Gascon, pour s’estre vanté,
De posseder certaine Belle,
Fut puny de sa vanité
D’une façon assez nouvelle.
Il se vantoit à faux, et ne possedoit rien.
Mais quoy ! tout médisant est Prophete en ce monde :
On croit le mal d abord ; mais à l’égard du bien,
Il faut qu’un public en réponde[1].
La Dame cependant du Gascon se moquoit :
Même au logis pour luy rarement elle estoit,
Et bien souvent qu’il la traitoit
D’incomparable et de divine,
La Belle aussi-tost s’enfuyoit,
S’allant sauver chez sa voisine.
Elle avoit nom Philis, son voisin Eurilas,
La voisine Cloris, le Gascon Dorilas,
Un sien amy Damon : c’est tout, si j’ay memoire.
Ce Damon, de Cloris, à ce que dit l’histoire,
Estoit Amant aymé, Galant, comme on voudra,
Quelque chose de plus encor que tout cela.
Pour Philis, son humeur libre, gaye et sincere
Monstroit qu’elle estoit sans affaire,
Sans secret et sans passion.
On ignoroit le prix de sa possession :
Seulement à l’user chacun la croyoit bonne.
Elle approchoit vingt ans ; et venoit d’enterrer
Un mary (de ceux-là que l’on perd sans pleurer,
Vieux barbon qui laissoit d’écus plein une tonne).
En mille endroits de sa personne
La Belle avoit dequoy mettre un Gascon aux Cieux,
Des attraits par-dessus les yeux,
Je ne sçay quel air de pucelle,
Mais le cœur tant soit peu rebelle ;
Rebelle toutesfois de la bonne façon.
Voilà Philis. Quant au Gascon,
Il estoit Gascon, c’est tout dire.
Je laisse à penser si le sire
Importuna la Veuve, et s’il fit des sermens.
Ceux des Gascons et des Normans
Passent peu pour mots d’Evangile.
C’estoit pourtant chose facile
De croire Dorilas de Philis amoureux ;
Mais il vouloit aussi que l’on le crust heureux.
Philis, dissimulant, dit un jour & cet homme :
Je veux un service de vous :
Ce n’est pas d’aller jusqu’à Rome ;
C’est que vous nous aydiez à tromper un jaloux.
La chose est sans peril, et mesme fort aisée.
Nous voulons-que cette nuit-cy
Vous couchiez avec le mary
De Cloris, qui m’en a priée.
Avec Damon s’estant broüillée,
Il leur faut une nuit entiere, et par delà,
Pour démêler entre-eux tout ce differend-là.
Nostre but est qu’Eurilas pense,
Vous sentant prés de luy, que ce soit sa moiti&.
Il ne luy touche point, vit dedans l’abstinence,
Et soit par jalousie, ou bien par impuissance,
A retranché d’Hymen certains droits d’amitié ;
Ronfle toûjours, fait la nuit d’une traite :
C’est assez qu’en son lit il trouve une cornette.
Nous vous ajusterons : enfin, ne craignez rien ;
Je vous recompenseray bien.
Pour se rendre Philis un peu plus favorable,
Le Gascon eust couché, dit-il, avec le diable.
La nuit vient, on le coëfe, on le met au grand lit,
On esteint les flambeaux, Eurilas prend sa place ;
Du Gascon la peur se saisit ;
Il devient aussi froid que glace,
N’oseroit tousser ny cracher,
Beaucoup moins encor s’approcher ;
Se fait petit, se serre, au bord se va nicher,
Et ne tient que moitié de la rive occupée :
Je crois qu’on l’auroit mis dans un fourreau d’épée.
Son coucheur cette nuit se retourna cent fois,
Et jusques sur le nez luy porta certains doigts
Que la peur luy fit trouver rudes.
Le pis de ses inquietudes,
C’est qu’il craignoit qu’enfin un caprice amoureux
Ne prist à ce mary : tels cas sont dangereux,
Lors que l’un des conjoints se sent privé du somme.
Toûjours nouveaux sujets alarmoient le pauvre homme :
L’on étendoit un pied, l’on approchoit un bras ;
Il crût mesme sentir la barbe d’Eurilas.
Mais voicy quelque chose à mon sens de terrible.
Une sonnette estoit prés du chevet du lit :
Eurilas de sonner, et faire un bruit horrible.
Le Gascon se pâme à ce bruit
Cette fois-là se croit détruit,
Fait un vœu, renonce à sa Dame,
Et songe au salut de son ame.
Personne ne venant, Eurilas s’endormit.
Avant qu’il fust jour on ouvrit ;
Philis l’avoit promis ; quand voicy de plus belle
Un flambeau, comble de tous maux.
Le Gascon, aprés ces travaux,
Se fust bien levé sans chandelle.
Sa perte étoit alors un poinct tout asseuré.
On approche du lit. Le pauvre homme éclairé
Prie Eurilas qu’il luy pardonne.
Je le veux, dit une personne
D’un ton de voix remply d’appas.
C’estoit Philis, qui d’Eurilas
Avoit tenu la place, et qui sans trop attendre
Tout en chemise s’alla rendre
Dans les bras de Cloris qu’accompagnoit Damon.
C’estoit, dis-je, Philis, qui conta du Gascon
La peine et la frayeur extrême,
Et qui pour l’obliger à se ruer soy-mesme,
En luy monstrant ce qu’il avoit perdu,
Laissoit son sein à demy nu.
- ↑ . Edition de 1685 :
Il faut que la veuë en réponde.