Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Élégie (Souverain qui regis l’influence des vers)

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ELEGIE.


Souverain qui régis l’influence des vers
Aussi bien que tu fais mouvoir tout l’univers,
Ame de nos esprits, qui dans nostre naissance
Inspiras un rayon de ta divine essence,
Pourquoy ne m’as-tu fait les sentimens meilleurs ?
Pourquoy tes beaux trésors sont-ilz coulez ailleurs ?
Je voy de toutes parts des escrivains sans nombre.
Dont la grandeur a mis mon petit nom à l’ombre.
Je n’ay qu’un pauvre fond d’un médiocre esprit.
Où je vay cultiver ce que le Ciel m’apprit ;
Des tristes sons rimeurs, d’un style qui se traine,
Espuisent tous les jours ma languissante veine.
Si j’avois la vigueur de ces fameux Latins,
Ou l’esprit de celuy qui força les destins,
Qui vit à ses chansons les Parques desarmées
Et de tous les damnez les tortures charmées.

Quand pour l’amour de luy le prince des enfers
Laissa vivre Euridice et la tira des fers ;
Ou, si c’est trop d’avoir ces merveilleux génies,
Qu’à nostre siècle infâme à bon droit tu dénies,
Je me contenterois d’esgaler en mon art
La douceur de Malherbe ou l’ardeur de Ronsart,
Et mille autres encore à qui je fais hommage,
Et de qui je ne suis que l’ombre et que l’image.
Je donnerois ma plume à ces soins violans,
A peindre ces sanglots et ces désirs bruslans.
Que depuis peu de jours quelque démon allume
Dans mon sang, où l’amour se plaist et me consume.
Si mes vers retenoient encore la ferveur
Qui les fit autrefois naistre pour la faveur.
Et tant d’écrits perdus, que pour chanter leur flame,
Mille de mes amis m’ont arraché de l’ame
Cloris, qui te sçais si bien faire adorer,
Qui l’ame par les yeux m’as peu si bien tirer,
Beauté que désormais je nommeray mon ange.
Je le consacrerois sans doute à ta louange ;
J’ay si peur que ma Muse ait perdu ses appas
A flater vainement ceux que je n’aime pas.
Que ma plus belle ardeur aujourd’huy se retire,
M’estant si nécessaire à ce nouveau martire.
Et qu’au meilleur besoin, mes esprits finissans
Ne me fournissent plus que des vers languissans.
Mon esprit, espuisé dans des travaux funestes.
N’aura pour ton subject rien gardé que des restes.
Cloris, je le confesse, et qu’en ce beau dessein
Mon ardeur s’amortit en mon timide sein ;
Mais le feu de l’amour, qui s’est rendu le maistre
De tous mes sentimens, la peut faire renaistre,
Et sa douce fureur, par un traict de tes yeux,
Peut rendre à mon esprit ce qu’il avoit de mieux.
Ainsi, sur cet espoir dont ta beauté me flate,

Ta beauté dont le feu par tous moyens esclate ,
Encore mon esprit ose se faire fort
De sauver ton mérite et mon nom de la mort.
Je conçois un poëme en l’ardeur qui me pique,
De ce vaste dessein qu’on appelle héroïque.
Je sçay que les François n’ont pas encor apris
De pousser dans ce champ leurs délicats esprits ;
Je me veux engager à ce pénible ouvrage,
Car tu m’en fourniras la force et le courage.
Si je suis le premier à ce divin effort.
Ce n’est à mon advis que le plaisir du sort.
Qui, voulant que premier ceste œuvre j’escrivisse.
Voulut que le premier ceste beauté je visse,
Et que dans tes appas je prinsse une chaleur.
Où les sœurs d’Appollon n’ont rien donné du leur,
Où rien que ton objet ma passion n’allume.
Où je n’ay que ta main pour conduire ma plume.
Dieux, pourray-je bien, sans vous fascher un peu.
Suivre les mouvemens de mon aveugle feu ?
Desjà comme l’amour m’engage à la furie,
Je croy que l’adorer n’est pas idolâtrie ;
Deussay-je despiter vostre divin courroux ,
Tout ce que j’en veux dire est au dessous de vous ;
S’il vous plaist que le monde uniquement vous ayme ,
Si vous voulez purger la terre du blasphème.
Faire que les mortels rendent la liberté
De leurs désirs pervers à vostre volonté.
Sans les espouvanter de l’esclat du tonnerre.
Changez-vous en Cloris et venez sur la terre.
Alors de vostre amour ils seront tous ravis.
Alors absolument vous en serez servis.
Il est vray que tout cède à l’amoureuse peine.
Que Paris et sa ville ont bruslé pour Heleine,
Et les antiquitez font voir aux curieux
Que l’Aube mist Titon dans le siège des Dieux ;

Et de tant de beautez qui fuient les maistresses
De l’aisné de Saturne on en fait des Déesses,
Qui n’ont esté pourtant, non plus que leur amant,
Que le triste butin d’un mortel monument.
Mais, d’autant que l’amour est le bien de la vie
Qui seul ne peut jamais esteindre son envie,
Qui tousjours dans la peine espère le plaisir,
Qui dans la résistance augmente le désir.
Et que les sentimens de ceste douce flame
Suivent jusqu’à la fin les derniers traits de l’ame,
On a creu de l’amour qu’il estoit immortel.
Et qu’aussi son subject ne peut estre que tel.
Ainsi ces Dieux payens furent ce que nous sommes,
Ainsi les vrais amans seront plus que les hommes.
Pour moy, qui n’ay souffert que d’un jour seulement ;
Je n’oze m’asseurer de passer pour amant ;
Je ne sçay si l’Amour me croit de son empire,
Depuis si peu de temps qu’il voit que je souspire ;
Il faut bien que ce soit un objet violent.
Pour me donner si tost un désir si bruslant,
Ou que mon ame soit d’une matière aisée
Et d’une humeur bien prompte à se voir embrasée.
Ce feu brusle si viste à force qu’il me plaist
Qu’à peine ay-je loisir de regarder qu’il est.
Les Dieux, qui peuvent tout avec les Destinées,
S’aident de mille maux et de beaucoup d’années,
Et faut que des soleils l’un l’autre se suivans
A force d’esclairer esteignent les vivans,
Qu’un siècle, ce flambeau, passe sur nostre vie,
Et Cloris d’un traict d’œil me l’a desja ravie.
Mes sens, enveloppez dans un profond sommeil,
Ne sçavent plus que c’est des clartez du soleil ;
Mes premiers sentimens sont dans la sépulture ;
Ton amour, ô Cloris, a changé ma nature ;
L’esclat des diamans ny du plus plus beau métal,

Bacchus, tout Dieu qu’il est, riant dans le cristal,
Au prix de tes regards n’ont point trouvé la voye
Qui conduit dans mon ame une parfaite joye.
Si le sort me donnoit la qualité de roy,
Si les plus chers plaisirs s’adressoient tous à moy,
Si j’estois empereur de la terre et de l’onde,
Si de ma propre main j’avois basti le monde,
Et, comme le soleil, de mes regards produict
Tout ce que l’univers a de fleur et de fruict,
Si cela m’arrivoit, je n’aurois pas tant d’aise
Ny tant de vanité que si Cloris me baise ;
Mais j’entens d’un baiser où le cœur puisse aller
Avec les mouvemens des yeux et du parler,
Que son ame sans peine avec moy s’entretienne,
Et que sa volonté seconde un peu la mienne.
Amans qui vous piquez vers un object forcé,
Qui ne sçavez que c’est d’un baiser bien pressé,
Qui ne trouvez l’amour que dans la tyrannie
Et n’aymez les faveurs qu’en tant qu’on vous les nie,
Que vous estes heureux en vos lasches désirs,
Puisque mesme vos maux font naistre vos plaisirs !
Pour moy, chère Cloris, je n’en suis pas de mesme ;
Je ne sçaurois aimer si je ne voy qu’on m’aime,
Et, si peu qu’on refuse à ma saincte amitié,
Je sens que mon ardeur decroist de la moitié.
J’entens que le salaire égale mon service ;
Je pense qu’autrement la constance est un vice,
Qu’amour hait ces esprits qui luy sont trop dévots,
Et que la patience est la vertu des sots ;
Ce que je dis, Cloris, avec plus d’assurance
D’autant que je te voy flatter mon espérance,
Et que, pour nous tenir dans cet heureux lien,
Je voy desjà d’accord ton esprit et le mien.
Aymons-nous, je te prie, et, lorsque mon visage
Te voudra rebuter, ou mon poil, ou mon aage,

Regarde en mon esprit où j’ay mis ton tableau ;
Lors tu verras en moy quelque chose de beau :
Tu te verras logée en un petit empire
Où l’esprit de l’amour avecques moy souspire ;
Il se tient glorieux de recevoir ta loy,
Et semble qu’il poursuit mesme dessein que moy.
Si je vay dans tes yeux, il y va prendre place ;
Je ne voy là dedans que ses traicts et ma face.
Je doute s’il y fait ou mon bien ou mon mal,
Et ne sçay plus s’il est mon maistre ou mon rival.
Je cognois bien l’amour, je sçay qu’il est perfide,
Et, si pour le chasser je suis un peu timide,
Je luy feray tousjours un traictement humain,
Puis que je l’ay receu d’une si bonne main,
Puis que c’est toy, Cloris, après l’avoir fait naistre,
Qui l’as mis dans mon ame, où ton œil est le maistre,
Où tu vis absolue en tes commandemens,
Où ton vouloir préside à tous mes sentimens.
C’est par toy que ces vers, d’une vaine animée,
S’en vont à ma faveur flatter la Renommée ;
Mais je dirai partout que tes seules beautez
Ont esté le démon qui me les a dictez,
Et, tant que tes regards luiront à ma pensée,
Sans ouvrir une veine aucunement forcée.
Ma muse se promet de mériter un jour
Que ses vers soient nommez les fruicts de ton amour.
Autant que ton humeur ayme la poésie,
Je te prie, ô Cloris, ayde ma frénésie,
Et, puisque je m’engage à ce divin project,
Ne te lasse jamais de me servir d’objet.
Aujourd’huy donne-moy tes beaux cheveux à peindre,
Tu verras une plume au Pactole se teindre
Et d’une lettre d’or graver, selon mes vœux,
Mon ame entrelacée avecques tes cheveux.
Je ne veux point laisser ma passion oysive,

Ma veine est pour Cloris et sans fond et sans rive ;
Demain je descrirai ces yeux et ce beau front ;
Pour elle mon génie est abondant et prompt,
Et, pour voir que ma veine en ce subject tarisse,
Il faudra voir plustost que sa beauté périsse,
Que mes yeux dans ses yeux ne treuvent plus d’amour,
C’est-à-dire il faut voir périr l’astre du jour.
Car je ne pense point que ses attraicts succombent
Sous l’injure des ans ; tant que les cieux ne tombent,
Ils se renforceront au lieu de deffaillir,
Comme l’or s’embellit à force de vieillir,
Et comme le soleil, à qui le vieil usage
N’a point osté l’ardeur ny changé le visage.
Toutesfois il n’importe à mon contentement
Que mon soleil esclaire ou meure promptement,
Puis que desjà ma vie à demy consommée
Ne ne peut asseurer d’estre long-temps aymée,
Que je dois deffaillir à ce divin flambeau,
Et perdre avecques moy sa mémoire au tombeau.
Mais, tandis que le ciel me souffrira de vivre
Et que le traict d’amour me daignera poursuivre.
Je me veux consommer dans ce plaisir charmant
Et me resous de vivre et mourir en aymant.
Je sçay bien que Cloris ne me veut pas contraindre
Au soin perpétuel de servir et de craindre ;
Qu’elle a des mouvemens sujects à la pitié,
Et qu’au moins sa raison songea mon amitié.
Cloris, si je venois, aveuglé de tes charmes,
Le cœur tout en souspirs et les yeux tous en larmes,
Demander instamment un amoureux plaisir.
Je croy que ton amour m’en laisseroit choisir.
Maintenant que le ciel despouille les nuages,
Que le front du printemps menasse les orages,
Que les champs comme toy paroissent embellis
De quantité d’œillets, de rozes et de lis,

Que tout est sur la terre, et qu’une humeur féconde
Qu’attire le soleil fait rajeunir le monde,
Comme si j’avois part à la faveur des cieux,
Qui redonne l’enfance à ces bocages vieux,
Et que ce renouveau, qui rend tout agréable,
Me rendist à tes yeux plus jeune et plus aymable,
Je te veux conjurer avec des vœux discrets
De passer avec moy quelques momens secrets.
Nous irons dans des bois, sous des fueillages sombres
Où jamais le soleil n’a sceu forcer les ombres ;
Personne là dedans n’entendra nos amours :
Car je veux que les vents respectent nos discours
Et que chaque ruisseau plus vistement s’enfuye
De devant tes regards, de peur qu’il ne t’ennuye.
Maintenant que le roy s’esloigne de Paris,
Suivy de tant de gens au carnage nourris,
Qui, dans ces chauds climats, vont recueillir les restes
Du danger des combats et de celuy des pestes.
Il faut que je le suive, et Dieu, sans me punir,
Cloris, ne te sçauroit empescher d’y venir.
Si tu fais ce voyage, (et mon amour te prie
D’y ramener tes yeux, car c’est là ma patrie,
C’est où les rais du jour daignèrent dévaler
Pour faire vivre un cœur que tu devois brusler,)
Là tu verras un fonds où le paysan moissonne
Mes petits revenus sur les bords de Garonne,
Le fleuve de Garonne, où de petits ruisseaux
Au travers de mes prez vont apporter leurs eaux,
Où des saules espais leurs rameaux verds abaissent
Pleins d’ombre et de frescheur sur mes troupeaux qui paissent.
Cloris, si tu venois dans ce petit logis,
Combien qu’à te l’offrir de si loin je rougis,
Si ceste occasion permet que tu l’approches,
Tu le verras assis entre un fleuve et des roches,
Où sans doute il falloit que l’amour habitast

Avant que pour le ciel la terre il ne quittast.
Dans ce petit espace, une assez bonne terre,
Si je la puis sauver du butin de la guerre,
Nous fournira des fruicts aussi délicieux
Qui sçauroient contenter ou ton goust ou tes yeux.
Mais, afin que mon bien d’aucun fard ne se voile,
Mes plats y sont d’estain et mes rideaux de toile ;
Un petit pavillon, dont le vieux bastiment
Fut massonné de brique et de mauvais ciment,
Monstre assez qu’il n’est pas orgueilleux de nos tiltres ;
Ses chambres n’ont plancher, toict, ny portes, ny vitres,
Par où les vents d’yver, s’introduisans un peu,
Ne puissent venir voir si nous avons du feu.
Je ne veux point mentir, et, quand le sort avare,
Qui me traicte si mal, m’eust esté plus barbare
Et qu’il m’eust fait sortir d’un sang moins recogneu,
Je te confesserois d’où je serois venu,
Que j’ay bien plus de peine à descouvrir ma face
Devant tes yeux si beaux qu’à te monstrer ma race.
Dans l’estât où je suis, j’ay bien plus de raison
De te faire agréer mes yeux que ma maison.
Je jure les rayons dont ta beauté m’esclaire
Que le but de mon ame est le soin de te plaire.
Et que j’ayme si fort ta veue et tes propos
Qu’à ton suject la nuict est pour moy sans repos.
Et, sans faire l’amour à la façon commune.
Sans accuser pour toy le ciel ny la fortune,
Sans me plaindre si fort, j’ay ce coup plus profond
Que les autres mortels, j’ayme mieux qu’ils ne font ;
Et, si ton cœur n’en tire une preuve assez bonne.
De ces vers insensez que mon amour te donne,
Pour m’en justifier à tes yeux adorez.
Je respandray le sang d’où je les ay tirez,
Si ton humeur estoit de me le voir respandre.
Et qu’autrement ton cœur ne me voulust entendre.