Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Bacchus
IX[1]
BACCHUS
Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée,
Ô Dyonise, Évan, Iacchus et Lénée ;
Viens, tel que tu parus aux déserts de Naxos,
Quand tu vins rassurer la fille de Minos.
Le superbe dépliant, en proie à ta victoire,
Avait de ses débris formé ton char d’ivoire.
De pampres, de raisins mollement enchaîné,
Le tigre aux larges flancs de taches sillonné,
Et le lynx étoile, la panthère sauvage,
Promenaient avec toi ta cour sur ce rivage.
L’or reluisait partout aux axes de tes chars.
Les Ménades couraient en longs cheveux épars
Et chantaient Évoë, Bacchus et Thyonée,
Et Dyonise, Évan, Lacchus et Lénée,
Et tout ce que pour toi la Grèce eut de beaux noms.
Et la voix des rochers répétait leurs chansons.
Et le rauque tambour, les sonores cymbales,
Les hautbois tortueux, et les doubles crotales
Qu’agitaient en dansant sur ton bruyant chemin
Le faune, le satyre et le jeune sylvain,
Au hasard attroupés autour du vieux Silène,
Qui, sa coupe à la main, de la rive indienne,
Toujours ivre, toujours débile, chancelant,
Pas à pas cheminait sur son âne indolent.
C’est le dieu de Niza, c’est le vainqueur du Gange,
Au visage de vierge, au front ceint de vendange,
Qui dompte et fait courber sous son char gémissant
Du lynx aux cent couleurs le front obéissant[2]
Bacchus, Hymen, ces dieux toujours adolescents[3]
Apollon et Bacchus, un crin noir et sauvage
N’a hérissé jamais votre jeune visage.
Apollon et Bacchus, vous seuls entre les dieux,
D’un éternel printemps vous êtes radieux.
Sous le tranchant du fer vos chevelures blondes
N’ont jamais vu tomber leurs tresses vagabondes[4].