Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Chanson des yeux

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 106).

XLIV[1]

CHANSON DES YEUX

Le commencement est imité de Shak. f. p. of Henry IV[2].


Viens : là, sur des joncs frais ta place est toute prête.
Viens, viens, sur mes genoux viens reposer la tête.
Les yeux levés sur moi, tu resteras muet,
Et je te chanterai la chanson qui te plaît.
Comme on voit, au moment où Phœbus va renaître,
La nuit prête à s’enfuir, le jour prêt à paraître.
Je verrai tes beaux yeux, les yeux de mon ami,
En un demi-sommeil se fermer à demi.
Tu me diras : « Adieu, je dors, adieu, ma belle.
— Adieu, dirai-je, adieu, dors, mon ami fidèle,
Car le… aussi dort le front vers les cieux, »
Et j’irai te baiser et le front et les yeux.
....................
....................
Ne me regarde point, cache, cache tes yeux[3] ;
Mon sang en est brûlé ; tes regards sont des feux.
Viens, viens. Quoique vivant, et dans ta fleur première,
Je veux avec mes mains te fermer la paupière,
Ou, malgré tes efforts, je prendrai ces cheveux
Pour en faire un bandeau qui te cache les yeux.

  1. Édition 1833.
  2. Scène première, acte III.
  3. Cette fin est également imitée de Shakespeare, Mesure pour mesure, acte IV, sc. I. C’est à ce dernier morceau que le titre Chanson des yeux est appliqué par l’auteur.