Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Enfant ailé, seul dieu

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 124-126).

LIX[1]

En commencer ou finir une ainsi :


Enfant ailé, seul dieu de mes jeunes travaux,
À qui fais-tu ce don de mes bouquets nouveaux ?

À toi, belle D’. Z[2]… Pour toi mes mains rustiques
Ont formé le tissu de ces fleurs bucoliques.
Viens voir dans nos hameaux quel encens t’est plus doux,
Quelle déesse enfin tu veux être pour nous.
Soit que ta main, tenant la faucille et l’eau pure,
Veuille aux roses tes sœurs prodiguer leur culture,
Ou bien de fruits dorés couronner les rameaux ;
Ou soit que ton beau corps, caché dans les roseaux,
Aime mieux habiter sous les ondes limpides ;
Soudain Flore et Pomone et Naïades humides
Souscrivent à ton choix, et laissent en tes mains
L’empire des vergers, des eaux ou des jardins.
Moi, pontife, à tes pieds, en des fêtes chéries,
J’apporte des pasteurs les offrandes fleuries ;
Je les vois sur ton front étaler leur éclat ;
Plus d’éclat luit encor sur ton front délicat ;
De plus fraîches couleurs ta joue est animée ;
Leurs parfums sont moins purs que ta bouche embaumée ;
Mourantes sur ton sein, je les vois se flétrir ;
Il est bien doux d’y vivre et bien doux d’y mourir.


En terminer une ainsi :


Ô nymphe du ruisseau, sors de ton onde, sors[3] ;
Prends ces chants de berger médités sur les bords,

Porte-les à D’. Z. N., cette belle insulaire.
À leurs sons amoureux puisse-t-elle se plaire !
Et, le ris sur la bouche, au-devant de tes pas,
Venir les recevoir de ses doigts délicats !
Le malin d’un beau jour frais, calme, sans nuage,
Est moins fleuri, moins pur, moins doux que son visage.
Dis-lui, car tu le sais, oh ! dis-lui quel amour,
Dis-lui quel souvenir me poursuit chaque jour.
Dis-lui pour qui ma voix, en soupirs égarée,
Fait gémir les détours de ta grotte azurée ;
Dis-lui quel nom ma bouche, au sein de tes roseaux,
Enseigne à répéter à ton peuple d’oiseaux.

  1. Éd. G. de Chénier.
  2. Il y a contestation sur ces initiales. M. Becq de Fouquiéres lit : D’. R., D’. R. N. Le même éditeur croit que ces initiales pourraient bien cacher Mme  de Bonneuil, qui était créole et née à l’île Bourbon.
  3. Le manuscrit offre cette variante :
    Ô nymphe du vallon, sors de ton onde, sors. (G. de Chénier.)