Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Il n’est donc plus d’espoir
XLVII[1]
Il n’est donc plus d’espoir, et ma plainte perdue
À son esprit distrait n’est pas même rendue !
Couchons-nous sur sa porte. Ici, jusques au jour
Elle entendra les pleurs d’un malheureux amour.
Mais, non… Fuyons… Une autre avec plaisir tentée
Prendra soin d’accueillir ma flamme rebutée,
Et de mes longs tourments pour consoler mon cœur…
Mais plutôt renonçons à ce sexe trompeur.
Qui ? moi ? j’aurais voulu sur ce seuil inflexible
Tenter à mes douleurs un cœur inaccessible ;
J’aurais flatté, gémi, pleuré, prié, pressé !…
À me dire coupable elle m’aurait forcé ?…
Que l’amour au plus sage inspire de folie !
Allons ; me voilà libre, et pour toute ma vie.
Oui, j’y suis résolu ; je n’aimerai jamais ;
J’en jure… Ma perfide avec tous ses attraits
Ferait pour m’apaiser un effort inutile…
J’admire seulement qu’à ce sexe imbécile
Nous daignions sur nos vœux laisser aucun pouvoir ;
Pour repousser ses traits on n’a qu’à le vouloir.
Ingrate que j’aimais, je te hais, je t’abhorre…
Mais quel bruit à sa porte ?… Ah ! dois-je attendre encore ?
J’entends crier les gonds… On ouvre, c’est pour moi !…
Oh ! ma… m’aime et me garde sa foi…
Je l’adore toujours… Ah ! dieux ! ce n’est pas elle !
Le vent seul a poussé cette porte cruelle.
- ↑ Édition 1833.