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Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Imitation de Virgile

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 345-347).

IMITATION DE VIRGILE[1]


Hâte-toi, Lucifer, que ta marche trop lente
Nous ramène du jour la clarté bienfaisante.

Trahi d’une perfide indigne de mes soins,
Dieux, quoique de son crime inutiles témoins,
C’est cependant à vous qu’à mon heure dernière
Je viens contre l’ingrate adresser ma prière.
Amour, tu me fus cher entre les immortels ;
De roses mille fois décorant tes autels,
Et couronnant ton front de pieuses guirlandes,
À tes pieds j’épandis mes plus belles offrandes.
Que Mopsus, s’il le peut, t’en vienne dire autant.
Ta faveur m’était due : une ingrate pourtant
Goûte avec ce perfide une infidèle joie ;
À des bras étrangers ses charmes sont en proie.
Nise unie à Mopsus ! pour quels vœux désormais,
Amants, pourriez-vous craindre un funeste succès ?
Bientôt au noir corbeau s’unira l’hirondelle ;
Bientôt à ses amours la colombe infidèle,
Loin du nid conjugal, portera sans effroi
Au farouche épervier et son cœur et sa foi.
Ô de ton digne époux, de Mopsus, digne épouse :
C’est ainsi qu’autrefois quand ma flûte jalouse,
Pleurant, te reprochait ton ingrate rigueur,
Fière et d’un rire amer tu déchirais mon cœur.
Tu raillais ma pâleur et ma langue glacée,
Mes cheveux négligé, et ma barbe hérissée ;
Et moi, faible incrédule, impuissant de mes feux,
Tu m’étais chère encore et possédais mes vœux…
Ah : je connais l’Amour ; son enfance cruelle
D’une affreuse lionne a sucé la mamelle ;
Et depuis, n’inspirant que trouble et que malheurs,
Sa rage ne se plaît qu’à nager dans les pleurs.
Dans le sang de ses fils, par l’amour égarée,


Une mère trempa sa main dénaturée.
Mère, tu fus impie, et l’amour inhumain.
Qui d’elle ou de l’amour eut plus de barbarie ?
L’amour fut inhumain ; mère, tu fus impie !


(10 Octobre 1778[2]).



  1. VIIIe églogue. Édition de G. de Chénier
  2. Dix ans plus tard, l’auteur, relisant cette petite pièce faite au collège, écrivait au bas : « J’avais seize ans. Il y a quelques bons vers. » (G. de Chénier.)

    Il en a même utilisé les six derniers, comme on le voit, tome I, p. 93.