Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Lydé

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 65-68).


VII[1]

LYDÉ.


« Mon visage est flétri des regards du soleil.
Mon pied blanc sous la ronce est devenu vermeil.
J’ai suivi tout le jour le fond de la vallée ;
Des bêlements lointains partout m’ont appelée.
J’ai couru : tu fuyais sans doute loin de moi :
C’étaient d’autres pasteurs. Où te chercher, ô toi
Le plus beau des humains ? Dis-moi, fais-moi connaître
Où sont donc tes troupeaux, où tu les mènes paître.
Pour que je cesse enfin de courir sur les pas
Des troupeaux étrangers que tu ne conduis pas[2]
Une femme, une poétesse chante ainsi :

Ô jeune adolescent ! tu rougis devant moi.
Vois mes traits sans couleur ; ils pâlissent pour toi :

C’est ton front virginal, ta grâce, ta décence ;
Viens. Il est d’autres jeux que les jeux de l’enfance.
Ô jeune adolescent, viens savoir que mon cœur
N’a pu de ton visage oublier la douceur.
Bel enfant, sur ton front la volupté réside.
Ton l’égard est celui d’une vierge timide.
Ton sein blanc, que ta robe ose cacher au jour,
Semble encore ignorer qu’on soupire d’amour.
Viens le savoir de moi. Viens, je veux le l’apprende ;
Viens remettre en mes mains ton âme vierge et tendre,
Afin que mes leçons, moins timides que toi,
Te fassent soupirer et languir comme moi ;
Et qu’enfin rassuré, cette joue enfantine
Doive à mes seuls baisers cette rougeur divine.

Dans cet âge où le jeune adolescent ressemble encore à une vierge, qu’il a une voix argentine… qu’il est incertain, et peut devenir un homme ou une fille (peindre cela le mieux possible.)


Oh ! je voudrais qu’ici tu vinsses un malin
Reposer mollement ta tête sur mon sein !
Je te verrais dormir, retenant mon haleine,
De pour de l’éveiller, ne respirant qu’à peine.
Mon écharpe de lin que je ferais flotter,
Loin de ton beau visage aurait soin d’écarter
Les insectes volants dont les ailes bruyantes
Aiment à se poser sur les lèvres dormante. »
....................
La nymphe l’aperçoit, et l’arrête et soupire.
Vers un banc de gazon, tremblante, elle l’attire ;
Elle s’assied. Il vient, timide avec candeur,

Ému d’un peu d’orgueil, de joie et de pudeur.
Les deux mains de la nymphe errent à l’aventure.
L’une, de son front blanc, va de sa chevelure
Former les blonds anneaux. L’autre de son menton
Caresse lentement le mol et doux coton.
« Approche, bel enfant, approche, lui dit-elle,
Toi si jeune et si beau, près de moi jeune et belle.
Viens, ô mon bel ami, viens, assieds-toi sur moi.
Dis, quel âge, mon fils, s’est écoulé pour toi ?
Aux combats du gymnase as-tu quelque victoire ?
Aujourd’hui, m’a-t-on dit, tes compagnons de gloire,
Trop heureux ! te pressaient entre leurs bras glissants,
Et l’olive a coulé sur tes membres luisants.
Tu baisses tes yeux noirs ? Bienheureuse la mère
Qui t’a formé si beau, qui l’a nourri pour plaire.
Sans doute elle est déesse. Eh quoi ! ton jeune sein
Tremble et s’élève ? Enfant, tiens, porte ici ta main.
Le mien plus arrondi s’élève davantage.
Ce n’est pas (le sais-tu ? déjà dans le bocage
Quelque voile de nymphe est-il tombé pour toi ?)
Ce n’est pas cela seul qui diffère chez moi.
Tu souris ? tu rougis ? Que ta joue est brillante !
Que ta bouche est vermeille et ta peau transparente l
N’es-tu pas Hyacinthe au blond Phébus si cher ?
Ou ce jeune Troyen ami de Jupiter ?
Ou celui qui, naissant pour plus d’une immortelle,
Entr’ouvrit de Myrrha l’écorce maternelle ?
Ami, qui que tu sois, oh ! tes yeux sont charmants,
Bel enfant, aime-moi. Mon cœur de mille amants
Rejeta mille fois la poursuite enflammée ;
Mais toi seul, aime-moi, j’ai besoin d’être aimée.

Vois-tu sur la colline, vois-tu ceci, vois-tu cela ?… Si tu veux m’aimer tout cela sera à toi.


Mon amour, aime-moi… Sur l’herbe chaque soir,
Au coucher du soleil, nous viendrons nous asseoir.

Je ferai ceci et cela pour te plaire.




« Laisse, ô blanche Lydé, toi par qui je soupire,
Sur ce pâle berger tomber un doux sourir,
Et, de ton grand œil noir daignant chercher ses pas,
Dis-lui : « Pâle berger, viens ; je ne te hais pas. »

— Pâle berger aux yeux mourants, à la voix tendre,
Cesse, à mes doux baisers enfin de prétendre.
Non, berger, je ne puis ; Je n’en ai point pour toi.
Ils sont tous à Mœris, ils ne sont plus à moi[3]. »

  1. Édition 1819.
  2. Ces deux vers, supprimés par les premiers éditeurs ont été rétablis par M. G. de Chénier.
  3. Ces divers fragments ne se lient qu’imparfaitement entre eux.