Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Seul dans la forêt

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 289).


LXXV[1]


Seul dans la forêt, le solitaire est à moraliser… ceci et cela… tout à coup il entend un cheval accourir au galop ; il regarde ; il aperçoit un visage charmant. Cheveux flottants, etc… assise sur son cheval et tenant un pommeau de selle avec sa main. Il s’élance sur la route. Le coursier s’arrête. Le bel ange pâlit et bégaye, dit : — Étranger, hôte de la forêt, pardonne ; ne me fais point de mal. — Il se précipite vers elle ; il embrasse ses genoux. — Moi te faire du mal, bel ange ! ne crains point ; que la sérénité revienne sur ton front enfantin. Seul ici, je t’ai entendu venir. J’ai vu ton beau visage, ta jolie taille… Il s’interrompt. Il embrasse le coursier, il le baise. Ô heureux coursier ! qui portes ce bel ange ! Aies-en bien soin ; sois bien doux, obéis à sa pensée ; garde bien d’avoir un trot dur qui blesserait, qui meurtrirait ses membres délicats. Oh ! que ne suis-je aussi heureux que toi ! que n’est-ce moi qui porte une charge si belle ! Elle sourit alors, pressa son coursier et s’éloigna. Mais il la suivit et fut pour jamais son esclave. Car cette seule vue lui avait imposé un frein pour le guider au gré de la belle errante, et avait mis en de si belles mains les rênes de son cœur.


Jeune vierge à l’œil doux, à la voix douce et tendre
Tu fuis, tu ne sais pas, tu ne veux point entendre
Que de tes yeux charmants la grâce et la douceur
Ont remis dans ta main les rênes de mon cœur.

  1. Éd. G. de Chénier, mais avec une transposition.