Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Toi, de Mopsus ami !
XXXV[1]
Toi, de Mopsus ami ! Non loin de Bérécynthe
Certain satyre un jour trouva la flûte sainte
Dont Hyagnis calmait ou rendait furieux
Le cortège énervé de la mère des dieux.
Il appelle aussitôt, du Sangar au Méandre,
Les nymphes de l’Asie, et leur dit de l’entendre ;
Que tout l’art d’Hyagnis n’était que dans ce bui ;
Qu’il a, grâce au destin, des doigts tout comme lui.
On s’assied. Le voilà qui se travaille et sue.
Souffle, agite ses doigts, tord sa lèvre touffue,
Enfle sa joue épaisse, et fait tant qu’à la fin
Le buis résonne et pousse un cri rauque et chagrin.
L’auditoire étonné se lève, non sans rire.
Les éloges railleurs fondent sur le satyre
Qui pleure, et des chiens même, en fuyant vers le bois,
Évite comme il peut les dents et les abois[2].
Tu sais, tu te souviens dans quels nobles combats
Quel animal bourbeux vient défier Pallas[3].
Tu sais, tu te souviens dans quel plaisant délire
Quel animal bruyant chanta contre la lyre ?[4]
....................
Ne te souvient-il plus que les bois de Célène
Virent punir jadis une audace aussi vaine ?
Si Marsyas aussi n’eût bravé ses vainqueurs
Ni son père Hyagnis, ni les nymphes ses sœurs,
Olympe son ami, les satyres ses frères,
N’auraient pleuré des dieux les victoires sévères,
Et ne l’auraient point vu, ceint d’humides roseaux,
Errer dans la Phrygie en transparentes eaux[5].
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Soit que son souffle anime un simple chalumeau,
Ou qu’il fasse courir sa lèvre harmonieuse
Sur neuf roseaux que joint la cire industrieuse,
Soit quand la flûte droite où voltigent ses doigts
Vient puiser dans sa bouche une facile voix,
Ou quand il fait parler, sur ses lèvres pressée,
La flûte oblique, chère aux grottes du Lycée[6].
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Syrinx, que tes roseaux, à mordre insidieux,
Gardent bien d’outrager ses doigts industrieux.
- ↑ Édition 1819.
- ↑ À ce fragment, M. G. de Chénier a rattaché les fragments qui suivent.
- ↑ Ὗς ποτ’ Ἀθαναίαν ἔριν ἤρισεν… (Théocr., idyl. V, v. 23.)
- ↑ Ὄνος πρὸς λύραν.
- ↑ Célène, ville de Phrygie. Insignes satyro pendente Celœnœ. Stat. lib. 4.
La flûte, invention phrygienne, fut attribuée à Minerve, Hyagnis, Marsias, Olympe, etc. Voyez Spanheim sur Callimaque, et Casaubon sur Athénée, libr. XIV, c. 2. Les autres vers sont imités d’Ovide, lib. VI (Métamorphoses), et d’Antipater, épigr. XXIX, Analecta, vol. II, page 116. (Note d’André Chénier.)
- ↑ Σῦριγξ, fistula, la flûte à neuf roseaux. Αὐλός, flûte droite hautbois, clarinette, etc. Invention de Minerve selon quelques-uns ; δόναξ, roseau, simple chalumeau. Πλαγίαυλος, flûte oblique, invention de Pan. (Note d’André Chénier.)