Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Un jeune homme fou par amour

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 130-131).


LXIII[1]


UN JEUNE HOMME FOU PAR AMOUR.


A. — Il est fou ; il est la fable de tous les jeunes Cnidiens.

Pour lui ce Praxitèle a, de sa main savante,
Des antres de Paros fait sortir une amante ;
Car, malheureux rival d’Anchise et de Pâris,
Il aime ce beau marbre, image de Cypris.
Il a su, se cachant au fond du sanctuaire,
Passer toute une nuit près de l’idole chère,
Dont les contours divins ont laissé voir au jour
La trace des fureurs d’un fol et vain amour.
Il est toujours au temple avec son immortelle ;
Et là, seul, il la flatte, il lui dit qu’elle est belle,
L’appelle par des noms mielleux, tendres, brûlants,
Et parcourt à plaisir et son sein et ses flancs.
D’autres fois, il arrive inquiet, irascible ;
La gronde, la nommant dure, froide, insensible ;
Lui dit qu’elle est de pierre et qu’elle est sans appas ;
Puis lui pardonne, pleure, et la tient dans ses bras.
« Baise-moi », lui dit-il. Et sa bouche insensée
Baise et presse longtemps cette bouche glacée,
D’un doux reproche encor la caresse ; et sa main
La punit mollement d’un injuste dédain.

Lucian. Amor.

B. — Peut-être espère-t-il quelle fera pour lui ce qu’elle fit pour Pygmalion.

Conter la chose comme Ovide (voyez Métamorphoses, liv. X, vers 243 à 297).

Elle vit à la fois le ciel et son amant.

  1. Éd. G. de Chénier.