Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Souvenir d’enfance

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 338-339).

XXV[1]

SOUVENIR D’ENFANCE[2]


En me rappelant les beaux pays, les eaux, les fontaines, les sources de toute espèce que j’ai vus dans un âge où je ne savais guère voir, il m’est revenu un souvenir de mon enfance que je ne veux pas perdre. Je ne pouvais guère avoir que huit ans, ainsi il y a quinze ans (comme je suis devenu vieux !) qu’un jour de fête on me mena monter une montagne. Il y avait beaucoup de peuple en dévotion. Dans la montagne, à côté du chemin à droite, il y avait une fontaine dans une espèce de voûte creusée dans le roc ; l’eau en était superbe et fraîche, et il y avait sous la petite voûte une ou deux madones. Autant que je puis croire, c’était près d’une ville nommée Limoux, au bas Languedoc. Après avoir marché longtemps, nous arrivâmes à une église bien fraîche, et dans laquelle je me souviens bien qu’il y avait un grand puits. Je ne m’informerai à personne de ce lieu-là, car j’aurai un grand plaisir à le retrouver, lorsque mes voyages me ramèneront dans ce pays. Si jamais j’ai, dans un pays qui me plaise, un asile à ma fantaisie, je veux y arranger, s’il est possible, une fontaine de la même manière, avec une statue aux nymphes, et imiter ces inscriptions antiques : De Fontibus sacris, etc.

  1. Publié par H. de Latouche, dans la Revue de Paris, décembre 1839.
  2. Ce souvenir se rapporte à l’âge de huit ans, et il y avait quinze ans de cela quand il écrivait ces lignes. Elles datent donc de l’année 1785.