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À Jules Sandeau après la mort de son fils

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À Jules Sandeau après la mort de son fils
Revue des Deux Mondes3e période, tome 20 (p. 685-687).

POÉSIE

À JULES SANDEAU
APRÈS LA MORT DE SON FILS.


Ainsi trente ans de pure gloire,
Qui protégeront ta mémoire
Contre l’assaut du temps vainqueur,
N’ont pu de même te défendre
Contre la mort qui venait prendre
La meilleure part de ton cœur ?

Que dirai-je, pauvre poète ?
Tu pleures, tu courbes la tête,
Brisé par l’effroyable deuil…
Ta douleur devenait la mienne,
Quand je t’ai vu, qu’il t’en souvienne,
Chancelant près de ce cercueil !

Quoi ! forts de leur grandeur passée,
Tes livres, fils de ta pensée,
Vivent et jamais ne mourront,
Quand ton enfant, — quelle ironie ! —
Moins vivace que ton génie,
Meurt la jeunesse sur le front !

Pourtant ton œuvre est sans souillure,
Et jamais une page impure
Ne mérita ce châtiment.
Veux-tu savoir quel est ton crime ?
Pourquoi tu deviens la victime
Du sort qui frappe aveuglément ?

Apprends-le donc. J’ai la croyance
Que Dieu choisit pour la souffrance
Ceux qu’il choisit pour le talent ;
Comme s’il voulait faire en sorte
Que l’épreuve que l’on supporte
Haussât le cœur en le brûlant !

De même que la foudre injuste,
Pardonnant toujours à l’arbuste,
N’épargne le chêne jamais ;
De même que l’énorme trombe
Quand il lui faut une hécatombe
Ne ravage que les sommets ;

En voyant ton front qui dépasse,
L’âpre destin, que rien ne lasse,
Voulut t’écraser sous sa loi ;
Et cherchant ce qu’il pouvait faire,
Il comprit que c’était le père
Qu’il atteindrait le mieux en toi !

Tu l’adorais tant, ce jeune homme !
Et comme il t’admirait ! et comme
L’un de l’autre vous étiez fiers !
Lui de ton œuvre glorieuse,
Toi de la course audacieuse
Qu’il faisait par delà les mers !

« — Mon fils, l’officier de marine !.. »
Tu le disais, et ta poitrine

Se gonflait de joie et d’orgueil…
Las ! que reste-t-il à cette heure ?
Il reste une mère qui pleure,
Une tombe, — et le père en deuil !

Ah ! n’attends pas que je te dise,
Devant le sanglot qui te brise
Un seul mot pour te consoler ;
Mais pense à Dieu, le Dieu qui t’aime,
Car il te bénit, alors même
Que sa main semble t’accabler.

Incline-toi sous la tempête :
Dans la souffrance le poète
Ne se console qu’à prier.
Ce sont les volontés divines…
Toujours les couronnes d’épines
Près des couronnes de laurier !


Albert Delpit.

Mars 1877.